Presqu’aphone depuis le 24 octobre 2018, hormis quelques interviews de sa présidente dans les médias internationaux, la Cour constitutionnelle est sortie de son mutisme, le 14 mars 2019, à travers un communiqué fleuve dans le quotidien “L’Union”. L’institution déplore un acharnement sans précédent à son endroit et sa présidente, surtout. Elle dénonce le lancement de pétitions visant l’application de l’article 13 de la Constitution ainsi que les appels à l’insurrection. Recadrant l’opinion quant à son rôle et son action, elle explique la modification (prétendument provisoire) du même article 13, non sans marteler que «la décision du 13 novembre 2018 n’est pas la première du genre et ne sera certainement pas la dernière». Justifiant sa présence lors des dernières audiences du président de la République ayant fait dire à certains que sa présidente exerce le pouvoir exécutif, la Cour constitutionnelle regrette que ce «raisonnement émane de personnes se voulant des leaders d’opinion qui, à l’évidence, ignorent tout du fonctionnement des Institutions de la République, encore moins du principe de la séparation des pouvoirs». Et de brandir, au final, la menace d’un recours au «Tribunal de Première Instance de Libreville pour violences et voies de fait, menaces, outrage à magistrat et à juridiction.» Ci-après l’intégralité dudit communiqué.
Depuis quelques mois, notamment postérieurement à sa décision n°219/CC du 14 novembre 2018, relative à l’interprétation des articles 13 et 16 de la Constitution, la Cour Constitutionnelle fait l’objet d’un acharnement politique sans précédent relevant d’une démarche visant à déstabiliser l’Institution et surtout, la personne de son Président, Madame Marie Madeleine MBORANTSUO.
Cette démarche de déstabilisation se caractérise par des critiques acerbes, virulentes et outrageantes non seulement à l’endroit de l’Institution mais surtout à celui de son Président qui est accusé, entre autres, de «refuser de constater la vacance de la présidence de la République, d’avoir modifié la Constitution et d’exercer le pouvoir exécutif en violation du principe de la séparation des pouvoirs».
Au demeurant, certains des détracteurs de la Cour Constitutionnelle s’emploient présentement à faire signer une pétition par laquelle ils envisagent d’obtenir un maximum d’adhésions en vue de parvenir à l’organisation d’un référendum portant sur cette question de la vacance de la Présidence de la République. A n’en point douter, par ces critiques et autres actes préconisés, les détracteurs de la Cour Constitutionnelle prennent comme prétexte la décision rendue par la Haute Juridiction pour appeler à l’insurrection.
Aussi, compte tenu de ce qui précède, la Cour Constitutionnelle tient-t-elle à faire les observations et à apporter les précisions suivantes :
– premièrement, la Cour Constitutionnelle est une juridiction collégiale. A ce titre, le Président de la Cour Constitutionnelle ne décide pas seul et ne peut d’ailleurs le faire, au regard des procédures contenues dans la Loi Organique de celle-ci ainsi que dans son Règlement de Procédure.
En effet, toute décision rendue par la Cour Constitutionnelle procède nécessairement et obligatoirement d’une délibération de tous ses membres. Au demeurant, le Président de la Cour Constitutionnelle n’a pas voix prépondérante. Les décisions rendues par la Haute Juridiction engagent donc tous les Juges Constitutionnels ;
– deuxièmement, c’est le lieu d’affirmer et de réaffirmer que les membres de la Cour Constitutionnelle sont solidaires entre eux et par conséquent avec le Président de l’Institution ;
– troisièmement, par rapport au prétendu refus du Président de la Cour Constitutionnelle de déclarer la vacance de la Présidence de la République, la Cour Constitutionnelle rappelle qu’à l’instar des autres juridictions, elle a l’obligation de donner suite à toute saisine qui lui est soumise, sous peine de déni de justice. Pour ce faire, elle est tenue au respect du principe général du droit selon lequel le juge ne doit pas statuer «ultra petita». En d’autres termes, le juge ne peut se prononcer au-delà de ce qui lui est demandé.
Pour rappel, par requête enregistrée au Greffe de la Cour le 13 novembre 2018, le Premier Ministre, Monsieur Emmanuel ISSOZE NGONDET, exposait à la Cour Constitutionnelle que le Gouvernement se proposait de faire examiner un certain nombre d’affaires et d’adopter d’importants textes réglementaires et législatifs en Conseil des Ministres ; que du fait de l’indisponibilité temporaire du Président de la République, Chef de l’Etat, il se posait le problème de la convocation et de la présidence d’une session du Conseil des Ministres ; qu’en application des dispositions des articles 83 et 88 de la Constitution, il sollicitait donc de la Cour Constitutionnelle, l’interprétation des articles 13 et 16 de la Loi Fondamentale pour qu’il lui soit indiqué les dispositions à prendre pour que ladite session se tienne. Il joignait à cet effet l’ordre du jour proposé.
Comme on le constate, la saisine de la Cour Constitutionnelle n’avait pas pour objet la constatation d’une quelconque vacance de la Présidence de la République, mais tout simplement l’interprétation des dispositions des articles 13 et 16 de la Constitution.
Au sujet du pouvoir d’interprétation, il importe de souligner que les articles 88 de la Constitution, 60 et 61 de la Loi Organique sur la Cour Constitutionnelle donnent à la Haute Juridiction le pouvoir d’interpréter la Constitution et les autres textes à valeur constitutionnelle en cas de doute ou de lacune.
Dans le cas d’espèce, il était avéré que la Constitution en son article 13, en prévoyant les cas qui pouvaient donner lieu à la constatation de la vacance de la Présidence de la République, n’avait pas envisagé la situation intermédiaire où le Président de la République en exercice pouvait simplement être temporairement indisponible, ainsi que le relevait du reste le Premier Ministre dans sa requête. De ce fait, la Cour Constitutionnelle, après avoir constaté que cet article 13 comportait effectivement une lacune, a indiqué la solution que l’on sait pour combler provisoirement ladite lacune et permettre ainsi la continuité de l’Etat, conformément aux dispositions de l’article 83 de la Constitution qui fait de la Haute Juridiction Constitutionnelle l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics.
Il convient d’insister sur le fait que cette solution reste provisoire comme bien d’autres avant elle, le constituant étant seul habilité à prendre en compte intégralement ou non, ou même partiellement ces solutions jurisprudentielles provisoires, lors des révisions constitutionnelles ultérieures. Autrement dit, à ce jour, la Cour Constitutionnelle n’a nullement modifié les dispositions de l’article 13 de la Constitution qui lui ont été soumises pour interprétation. Elle a plutôt préconisé une solution qui reste applicable jusqu’à la prochaine révision de la Constitution.
Faut-il le préciser, cette compétence, qui n’est pas spécifique à la Cour Constitutionnelle de la République Gabonaise, est l’apanage de nombre de juridictions similaires de par le monde.
La décision du 13 novembre 2018 n’est pas la première du genre et ne sera certainement pas la dernière. La Cour Constitutionnelle, sur saisine des autorités compétentes, ayant déjà eu, à plusieurs reprises, à combler des lacunes ou à préciser le sens d’une disposition qui présente un doute quant à sa compréhension.
Au demeurant, la solution provisoire qui a permis la tenue d’un Conseil des Ministres présidé par le Vice-président de la République, sur un ordre du jour déterminé, n’a pas transféré de manière pérenne à ce dernier les pouvoirs du Président de la République. A preuve, c’est le Chef de l’Etat lui-même qui a présidé le dernier Conseil des Ministres, tout comme il a personnellement reçu le serment des membres du Gouvernement en place.
Dans ce registre, l’on peut citer la décision n°005/CC du 18 mars 2008 relative à l’interprétation des dispositions de l’article 108 de la Constitution. Dans cette espèce, la Cour Constitutionnelle avait été saisie par le Premier Ministre, Monsieur Jean EYEGHE NDONG, en interprétation des dispositions précitées, aux fins de savoir si l’expiration du mandat des Conseillers Départementaux et Municipaux en janvier 2008 devait entraîner, pour les dix-huit représentants des collectivités locales au Conseil Economique et Social, la perte de leur qualité de membre de cette institution.
Dans la décision ci-dessus référencée, la Cour Constitutionnelle avait estimé que l’article 108 en question comportait une lacune en ce qu’il n’y avait pas été tenu compte des modalités de remplacement des membres du Conseil Economique et Social issus, soit des collectivités locales, soit des syndicats et associations ou groupements socio-professionnels qui perdraient leur légitimité ou seraient exclus de leur entité d’origine en cours de mandat.
Pour combler cette lacune, la Cour Constitutionnelle avait ajouté provisoirement aux cas de décès ou de démission déjà prévus par le constituant à l’alinéa 3 de l’article 108 de la Constitution, ceux d’exclusion ou de perte de légitimité pour quelque cause que ce soit d’un membre du Conseil Economique et Social. C’est cette solution provisoire qui avait été appliquée pour le remplacement des représentants des collectivités locales au Conseil Economique et Social ayant perdu leur qualité d’élu local, jusqu’à ce que le constituant intègre formellement dans la Constitution les cas d’exclusion ou de perte de légitimité pour quelque cause que ce soit, à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2011.
L’on peut aussi relever la décision n°003/CC du13 mars 2017 relative à l’interprétation des dispositions de l’article 78 de la Constitution. Saisie par requête du Premier Ministre, Monsieur Emmanuel ISSOZE NGONDET, aux fins d’interprétation des dispositions dudit article 78 de la Constitution dans le but de savoir si les anciens membres du Gouvernement, anciens présidents d’Institutions constitutionnelles continuaient de relever de la Haute Cour de Justice.
La Cour Constitutionnelle, après avoir constaté effectivement qu’il y avait un doute dans la compréhension des dispositions de l’article 78 de la Constitution, avait précisé que le constituant par ces dispositions visait exclusivement les personnalités qui exercent effectivement certaines fonctions au moment où intervient la mise en accusation ; qu’en d’autres termes, dès l’instant où ces personnalités ont cessé d’exercer les fonctions en question, elles perdaient automatiquement le privilège qu’elles avaient d’être justiciables de la Haute Cour de Justice et redevenaient, en conséquence, des citoyens ordinaires qui doivent répondre de leur forfait devant les juridictions de droit commun.
Lors de la dernière révision constitutionnelle du 12 janvier 2018, la prise en compte de la solution provisoire ainsi préconisée par la Cour Constitutionnelle a conduit le constituant non seulement à modifier l’article 78, mais également à créer une autre juridiction d’exception, la Cour de Justice de la République.
Dans le même ordre d’idées, l’on peut également évoquer la décision n°006/CC du 12 novembre 1999 relative à l’interprétation des alinéas 1 et 2 de l’article 48 de la Constitution. Par requête en date du 15 octobre 1999, le Premier Ministre, Monsieur Jean-François NTOUTOUME EMANE, avait demandé à la Cour Constitutionnelle d’interpréter les dispositions des alinéas 1 et 2 de l’article 48 de la Constitution aux fins de tirer de leur analyse la solution juridique susceptible d’être envisagée dans le cas où le Gouvernement ne déposerait pas le projet de loi de finances dans les délais fixés par la Constitution.
Il est à noter que dans cette espèce, lors de la révision constitutionnelle d’octobre 2000 et de la modification de la loi organique relative aux lois de finances qui avaient suivi, le constituant et le législateur n’avaient pas repris entièrement les solutions jurisprudentielles préconisées par le juge constitutionnel pour répondre aux préoccupations du moment telles qu’elles avaient été exprimées par le Premier Ministre, mais avaient, pour le premier, prorogé les délais de dépôt du projet de loi de finances au Parlement et, pour le second, prévu des mesures pratiques à mettre en œuvre lorsque la loi de finances de l’année n’a pas été adoptée avant la fin de la session budgétaire.
Enfin, l’on peut également retenir la décision n°032/CC du 12 juin 2009 relative à l’interprétation des dispositions de l’article 34 alinéa 1er de la Constitution, sur saisine du Président de la République par intérim au regard des lectures contradictoires qui en étaient faites. Il faut rappeler que ledit article stipulait que les fonctions du Gouvernement cessaient à l’issue de la prestation de serment et de la proclamation des résultats des élections législatives par la Cour Constitutionnelle.
Ayant en effet, relevé le doute et la lacune que comportaient ces dispositions, la Cour Constitutionnelle avait précisé, d’une part, que par Président de la République, le constituant visait non seulement celui élu, mais aussi le Président de la République par intérim et, d’autre part, que les fonctions du Gouvernement cessaient aussi bien à la prestation de serment du Président de la République élu qu’à celle du Président de la République par intérim.
A la faveur de la révision constitutionnelle de janvier 2011, le constituant a complété l’article 34 alinéa 1 de la Constitution en y intégrant la solution provisoire préconisée par la Cour Constitutionnelle.
Quant au grief qui est fait au Président de la Cour Constitutionnelle d’exercer le pouvoir exécutif pour, entre autres, avoir été convié par le Protocole d’Etat à certaines audiences accordées par le Président de la République au Vice-Président de la République, au Premier Ministre, au Président du Sénat et au Président de l’Assemblée Nationale, violant ainsi, selon eux, le principe de la séparation des pouvoirs, et, pour avoir pris la parole lors de la prestation de serment des membres du Gouvernement, la Cour Constitutionnelle est affligée de constater qu’un tel raisonnement émane de personnes se voulant des leaders d’opinion qui, à l’évidence, ignorent tout du fonctionnement des Institutions de la République, encore moins du principe de la séparation des pouvoirs.
En tout état de cause, ainsi qu’on vient de le démontrer à travers ces exemples dont la liste n’est pas exhaustive, la Cour Constitutionnelle ne modifie pas la Constitution. Elle avance des solutions jurisprudentielles provisoires pour permettre de régler ponctuellement des situations non prévues par le constituant et le législateur jusqu’à ce que ces derniers, eux-mêmes, procèdent aux modifications jugées nécessaires.
Dès lors, accuser la Cour Constitutionnelle et son Président, d’une part, de refuser de constater la vacance de la Présidence de la République et, d’autre part, d’avoir modifié la Constitution, mais également, pour son Président, d’exercer le pouvoir exécutif, est un grossier mensonge. Toute cette cabale procède ou de la méconnaissance des règles de fonctionnement de l’Etat, ainsi que les compétences de la Cour Constitutionnelle et des règles de procédure applicables devant elle ou de la mauvaise foi, mais encore et surtout, d’une volonté manifeste de jeter l’opprobre sur l’Institution et de livrer à la vindicte populaire son Président. Ce d’autant que nombre de concitoyens et de détracteurs de la Cour Constitutionnelle n’ont jamais pris connaissance ni de l’objet de la requête du Premier Ministre, Monsieur Emmanuel ISSOZE NGONDET, datée du 13 novembre 2018, ni de la décision en cause ou alors s’ils l’ont fait, ils n’y ont absolument rien compris.
Aussi, la Cour Constitutionnelle, en vertu des dispositions de l’article 13a de sa Loi Organique aux termes desquelles les membres de la Cour Constitutionnelle sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit dont ils peuvent être l’objet dans l’exercice de leurs fonctions, se réserve-t-elle le droit de saisir le Procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Libreville pour violences et voies de fait, menaces, outrage à magistrat et à juridiction.