Libreville, Autant la dernière sortie du président de l’Union nationale dénonce la marche actuelle du pays, autant elle suscite bien des interrogations.
Zacharie Myboto a convié la presse samedi dernier en sa résidence de la Sablière à Libreville où il a fait une déclaration publique et non au siège de l’Union nationale (UN, opposition), la formation politique qu’il dirige. Au cours de cette sortie, le sujet principal qui constitue la trame de son discours porte essentiellement sur l’état de santé du président de la République, Ali Bongo Ondimba. Tout au long de son récit aux allures d’un véritable réquisitoire contre les régimes d’Omar Bongo Ondimba et d’Ali Bongo Ondimba, l’orateur se veut à la fois vindicatif, conciliateur, rassembleur et pacifiste à souhait.
Déclaration de la vacance à la présidence de la République
Le constat fait par M. Myboto est que depuis qu’est survenu le malaise du président de la République le 24 octobre 2018, le Gabon vit une «situation dramatique». «Cette situation qui met notre pays dans une véritable nébuleuse, heurte foncièrement la conscience du citoyen et acteur politique, doublé de la primogéniture, que je suis, comme elle inquiète bon nombre de compatriotes qui ont besoin d’être rassurés», souligne-t-il. «Cette nébuleuse est aujourd’hui la préoccupation majeure des Gabonaises et Gabonais qui veulent savoir, embarrassés, qui dirige leur pays, notre pays, privé de l’action et de la présence du président de la République depuis près de quatre mois. Cet embarras est très fondé, et cette question a tout son sens», poursuit le patriarche.
Il tient ainsi à dénoncer pêle-mêle le jeu joué par certains proches du chef de l’Etat, le Maroc et la France qui, à son avis, semblent se «substituer au président de la République». Fondant sa pensée sur certaines dispositions constitutionnelles relatives à la vacance à la présidence de la République ou à l’empêchement de son tenant, Zacharie Myboto dénonce un blocage au sommet de l’Etat par une non-application stricte de la loi.
«La situation de blocage actuelle est tout simplement la conséquence du refus des autorités compétentes du pouvoir en place, d’appliquer les dispositions de l’article 13», pense-t-il. «A quoi sert-il donc d’entourer l’état de santé d’un être humain, fût-il président de la République, de mystères et de mensonges d’État?», s’offusque le président de l’UN. «Il devient urgent pour les autorités compétentes, à savoir le gouvernement, le Parlement et la Cour constitutionnelle, de déclarer, conformément à l’article 13, la vacance de la présidence République pour quelque cause que ce soit», tranche Zacharie Myboto.
Myboto rattrapé par l’actualité
Malheureusement, le temps n’a pas laissé l’appel de l’homme politique prospérer auprès des institutions interpelées. Car, au lendemain de sa déclaration, Ali Bongo Ondimba a regagné le pays sous les youyous et la clameur de ses compatriotes. Et l’agenda du chef de l’Etat s’annonce fort chargé avec sa présence annoncée le 4 mars prochain à la rentrée solennelle de la Cour constitutionnelle, la tenue dans les tout prochains jours d’un Conseil des ministres et la tenue de plusieurs séances de travail avec ses collaborateurs. Zacharie Myboto a donc là la preuve que même le bon Dieu n’est pas d’avis avec la démarche et la stratégie mises en place par l’opposition et les détracteurs du régime pour renverser les institutions en place.
Autrement dit, ceux qui croient que le temps est arrivé pour espérer faire partir Ali Bongo Ondimba ont tout à fait tort. Car, même s’il arrivait aujourd’hui que l’actuel locataire venait à se retirer de son propre chef, l’opposition ne serait pas en même de désigner un candidat commun pour renverser dans les urnes le candidat de la Majorité. La preuve, aujourd’hui l’union sacrée autour de la Coalition pour la nouvelle République (CNR) conduite par Jean Ping à la présidentielle de 2016 est en lambeaux. Les récentes élections législatives et locales en disent d’ailleurs long.
La consigne de boycott lancé par leur mentor n’a pas été suivie d’effet. Les uns et les autres ayant préféré aller à ce double scrutin en rangs dispersés. En plus, certaines figures emblématiques de l’opposition, se voulant patriotes, ont décidé, de leur propre gré, d’accompagner le vaste programme de réformes économiques mis en place par le président Ali Bongo Ondimba. L’appel de Zacharie Myboto semble s’apparenter à un vrai coup d’épée dans l’eau.
Léon Mba : le Gabon s’en souviendra toujours
Dans un hommage rendu au Père de la Nation gabonaise, Zacharie Myboto invite à privilégier l’intérêt du Gabon avant celui des individus comme l’a souhaité le tout premier président du pays. «S’agissant du président Léon Mba, il a légué au Peuple gabonais un héritage éternel dans son invitation contenue dans son expression « Gabon d’abord ». « Gabon d’abord » est à comprendre comme : un Gabon au-dessus de soi, un Gabon au-dessus de tout, pour chaque Gabonaise et chaque Gabonais dont l’intérêt personnel est à l’intérieur de l’intérêt général du Peuple gabonais. Il faut toujours s’y référer», se souvient-il.
L’homme politique qui compte des fils Bongo Ondimba dans sa famille est loin d’oublier la prophétie lancée par Omar Bongo Ondimba avant sa mort. «Nous croyons en Dieu ; mais Dieu ne nous a pas donné le droit de faire du Gabon, ce que nous sommes en train de faire. Il nous observe ; il dit amusez-vous ; mais le jour où il voudra aussi nous sanctionner, il le fera. Que Dieu protège le Gabon», avait déclaré l’ancien président gabonais.
D’après lui, cette déclaration est une «sévère mise en garde testamentaire, tant contre toute autre dérive politique et politicienne, que surtout, contre tout instinct de possession et de conservation du pouvoir, source de nos jours, de la peur, de la haine, du rejet de l’autre, de la division, de la méchanceté, de l’intolérance, de la violence, de l’injustice et de l’insécurité, qui détruisent hélas, gravement la paix sociale et partant, notre vivre-ensemble dans ce beau pays, réputé hier, un havre de paix !». Face à ce qu’il qualifie de dérive, il invite les uns et les autres à la retenue. «Ressaisissons-nous, chers compatriotes, par la culture de l’amour de notre Patrie et par notre volonté de préservation de la paix !», recommande l’opposant.
Aux origines altogovéennes
M. Myboto n’oublie non plus d’où il vient. L’occasion faisant le larron, il a tenu à rappeler à l’assistance ses origines de la province du Haut-Ogooué. Pour lui, bien que depuis 1967 le pouvoir est aux mains des fils de cette province, après Léon Mba de l’Estuaire, tous les filles et fils de cette partie du Gabon ne tirent toujours pas profit de cette appartenance régionale. «De 1967 à nos jours, sous les présidents Omar Bongo Ondimba et Ali Bongo Ondimba, le pouvoir ne saurait être la propriété du Haut-Ogooué», tient-il à préciser.
«Pour ce qui me concerne, je confirme ce que j’ai dit plus haut, à savoir qu’en Démocratie, le Pouvoir appartient au Peuple souverain, qui le délègue, par des élections libres, justes, transparentes et crédibles. Il ne saurait donc être la propriété d’une province à cause de la présence à la tête du pays, quelle qu’en soit la durée, d’un fils ou d’une fille originaire de cette province. En conséquence, pour moi, le pouvoir n’appartient pas à la province du Haut-Ogooué, dont je suis aussi originaire, et dont certains autres de ses fils ont payé, eux aussi, un lourd tribut de ce système sur le plan politique», souligne-t-il.
Même s’il reconnait que de sa position supposée privilégiée pendant plus de 51 ans, «la province du Haut-Ogooué, minière de surcroît, n’a rien de plus éclatant et de plus distinctif, en termes de développement, que les huit autres provinces du pays. On le voit, le Gabon va au même rythme et est au même niveau partout, sur toute l’étendue de son territoire national. Telle est la Vérité», tient-il à relever. «À propos de l’instinct de possession et de conservation du pouvoir, il n’existe pas seulement dans le Haut-Ogooué. Il est le propre du système Bongo-PDG dans toutes les provinces, et même, au-delà des frontières nationales du Gabon. Il habite et est entretenu par tous ceux et celles qui s’évertuent, par tous les moyens, à maintenir et à perpétuer, à leurs fins égocentriques, ce système nocif pour le Gabon», poursuit-il.
Après cette sortie de Zacharie Myboto, quelques questions taraudent tout de même les esprits. Pourquoi le patriarche a-t-il choisi sa résidence que le siège de son parti ? Pourquoi a-t-il préféré parler en son nom propre et non comme président de l’Union nationale? Dans quel intérêt tient-il à rappeler aux uns et aux autres ses origines altogovéennes en précisant tout de même que tous les fils et filles de cette partie du pays ne sont pas toujours gâtés par les régimes successifs d’Omar Bongo Ondimba et d’Ali Bongo Ondimba, tous originaires du Haut-Ogooué ?
Homme politique avisé et rusé, Zacharie Myboto, en des termes à peine voilés, serait-il en train de réclamer quelque chose? Laquelle ? Jusqu’où le président de l’UN compte bien aller dans sa réclamation de la déclaration de la vacance au sommet de l’Etat, après le retour au bercail d’Ali Bongo Ondimba ? C’est là que gît le lièvre!