Après Kemi Seba, activiste et essayiste franco-béninois et Kako Nubukpo, économiste et politicien togolais, le tour est venu récemment en France, au Président de la Commission de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (Cemac), le Professeur Ona Ondo d’inviter l’ancien colonisateur ; la France, à une nouvelle perspective de réflexion sur le FCfa. Cette monnaie commune à une dizaine de pays d’Afrique, perçue à tort ou à raison comme la cause du sous-développement du continent. Ce que rejette de manière catégorique l’économiste béninois, Nadim Michel Kalife qui accuse « la mauvaise gestion des finances publiques » et le manque de « vision » des dirigeants africains.
En Afrique, les mouvements de contestation contre le franc CFA se multiplient au point de remettre en cause l’implication historique de cette monnaie, (Ndlr : héritage colonial de la France), sur la destinée économique de 14 pays du continent : les « pays de la zone francs ». Un peu partout dans le continent, on accuse cette monnaie d’être la cause du « retard de développement économique des pays » de la zone pour la plupart, des anciennes colonies françaises. Ce revirement de situation est nouveau et s’explique par la montée du populisme africain, caractérisé par une recherche effrénée de la démocratie et de l’indépendance économique des pays du continent. Mais si le francs CFA passionne tant, c’est avant tout à cause des effets justifiés que cette monnaie implique sur le développement des économies qui la partagent.
Imprimé en France et entièrement tributaire de l’euro sur plusieurs plans, le francs CFA est selon Kako Nubukpo, économiste togolais, « une monnaie qui pose problème ». « Héritage colonial et postcolonial, sa compatibilité avec le processus d’émergence des 14 économies africaines qui l’utilisent, est une vraie question économique. Sa persistance, presque 80 ans après sa création le 26 décembre 1945, renvoie à la question sensible de la souveraineté politique des Etats africains » fait constater l’économiste et ancien ministre Togolais. Contrairement aux positions tranchées, le franc CFA a assujetti les économies coloniales et retardé l’insertion de ces économies dans le commerce international. Son utilisation 80 ans après, ne permet plus d’envisager l’avenir car « elle obère également la compétitivité-prix à l’export des économies qui l’utilisent » et « incite enfin à la double répression financière et monétaire, du fait de la primauté de la défense de sa parité fixe avec l’euro ».
Et pourtant, malgré les démonstrations de forme et de fond relatives au rôle « destructeur » de cette monnaie de la zone francs, la question de la mal gouvernance qui relève du commun des dirigeants africains apparaît comme une contre-vérité qui remet en cause la responsabilité totale de la monnaie, héritage colonial de la France, sur le devenir des 14 économies africaines. Pour l’économiste béninois, Nadim Michel Kalife, la France à travers le franc CFA n’est pas totalement responsable de ce qui arrive au continent.
L’économiste pointe « la mauvaise gestion des finances publiques » et le manque de « vision » des dirigeants africains dans le retard accumulé par les pays du continent. « L’expérimentation industrielle » facteur de développement, n’a pas été le point d’ancrage des économies africaines. De part et d’autres sur le continent, alors que certains pays s’attelaient il y a plusieurs à structurer leurs économies, la réalisation des ‘’Grands travaux’’ au sein des 14 ou du moins d’une frange, dès les années 70, s’est soldée par des « surfacturations » et de la mauvaise gestion des finances publiques. Ces mécanismes de détournement sans complaisances ont engendré de « graves pertes économiques » et une « dette démesurée » qui selon Nadim Michel Kalife, se sont répercutées sur les réserves de changes de la zone franc CFA avec pour effet, pour la première fois depuis sa création, la dévaluation de 50% de la valeur de la monnaie communautaire survenu en 1994.
Le tort de l’échec du développement économique de ces Etats ne doit pas être imputé à la France, mais au 14 qui durant des années, ont fait preuve d’une gestion approximative centrée sur les « intérêts » de ce qui dirigent avec pour volonté de perpétuer l’ « héritage politique des pratiques déstructurantes de la Françe-afrique ». « Ils auraient pu industrialiser nos pays en transformant sur place nos matières premières avant exportation, grâce à la manne extraordinaire des recettes d’exportation de nos matières premières… », s’indigne l’économiste pour qui, c’est aux dirigeants du continent qu’il faut réellement demander des comptes en dépit de toute participation de la France dans la classification de la monnaie des 14.
« S’ils avaient une vision de bâtisseur pour l’industrialisation de leur pays, les chefs d’Etat auraient depuis longtemps procédé à une dévaluation intelligente dite « compétitive » de leur monnaie commune avec des mesures d’accompagnement, comme l’on fait les pays devenus émergents aujourd’hui alors qu’ils étaient qualifiés de « sous-développés » comme les africains en 1960 » fait-il remarquer. La misère du continent, le manque de perspectives économique et d’emploi, le sous-développement des initiatives personnelles (AGR), le chômage des jeunes et bien d’autres questions relèvent selon lui, du ressort des dirigeants africains qui « ne se soucient pas prioritairement de leurs populations, malgré toutes les aides extérieurs fournies par la Banque mondiale et les autres bailleurs de fonds et pays amis ».