En se gardant d’entendre les personnalités de la majorité nommément citées par Kelly Ondo Obiang tout en procédant à l’arrestation de militants de l’Union nationale (UN), la police alimente le soupçon d’une enquête à la tête du client.
Pour agir sous couvert de la justice, il faut préalablement faire la preuve de son indépendance et de son impartialité. Il faut aussi apporter des garanties de neutralité. Surtout, il faut traiter tous les protagonistes et toutes les affaires de la même manière. Révélée en avril 2015, l’affaire des armes découvertes au large du Cap Estérias s’est enlisée dans les sables mouvants de l’île Nendjé (lire «L’invraisemblable trouvaille»). Ayant défrayé la chronique en juin 2017, l’affaire Aba’a Minko est, depuis, tombée aux oubliettes (lire «Un ultimatum à Ali Bongo»). Dans l’un ou l’autre des cas, la justice n’a jamais pu démêler l’écheveau (lire «L’enquête impossible»). À maints égards, elle a même donné le sentiment de servir des intérêts bassement politiciens, laissant de nombreuses questions en suspens (lire «Que de zones d’ombre» ).
Protéger la liberté et la sécurité
Les événements du 7 janvier dernier connaîtront-ils le même traitement ? Si on peut le redouter, on peut aussi craindre un basculement dans l’arbitraire. Et pour cause : ayant récemment procédé à l’arrestation de quatre militants de l’Union nationale (UN) (lire «Firmain Ollo’o sous les verrous»), le pouvoir ne semble guère disposé à rompre avec ses vieilles méthodes, unanimement décriées mais jamais abandonnées. Soupçonnés d’intelligence avec le commando mené par le lieutenant Kelly Ondo Obiang, Firmain Ollo’o et ses compagnons bénéficient, jusqu’à preuve du contraire, de la présomption d’innocence. Pour les besoins de l’enquête, ils auraient pu être convoqués. Ils auraient pu être invités à se rendre à la police pour y faire leurs dépositions, au lieu d’être arrêtés et emmenés vers un lieu toujours inconnu de leurs proches.
Certains pourront toujours évoquer le passé de Firmain Ollo’o et ses amis. Ils auront tout le loisir de gloser sur les nombreux séjours du coordinateur national du mouvement des jeunes de l’UN à Sans-famille. Ils auront toute la liberté de disserter sur ses vidéos ou sur les écrits de ses proches. Mais tout cela ne lèvera pas les doutes sur les fondements de leur mise à l’ombre. La justice a peut-être de bonnes raisons de s’intéresser à eux. Mais, dans l’enquête sur la supposée tentative de coup d’Etat (lire «Déclaration militaire sur Radio Gabon»), elle avait mieux à faire. Elle aurait dû se donner pour objectif de protéger deux droits naturels : la liberté et la sécurité. Au vu de la gravité des faits, un juge d’instruction aurait dû être désigné, en toute transparence. Mieux, l’opinion aurait dû être régulièrement informée de l’avancement du dossier.
Différence de traitement
Après tout, Kelly Ondo Obiang avait nommément cité de nombreuses personnalités. Jean-Philippe Ntumpa Lebani, Lucie Milébou Aubusson, Marius Assoumou ou Eric Dodo Bouguendza furent, notamment, invités à le rejoindre. Général déchu, le premier nommé fut, dans un passé récent, accusé de tentative de coup d’Etat puis emprisonné, avant de bénéficier d’une grâce présidentielle (lire Ntuma «Lebani sort de prison»). La deuxième a vocation à assurer l’intérim du président de la République en cas de vacance définitive. Les deux derniers occupent respectivement les fonctions de président du mouvement des jeunes et secrétaire général du Parti démocratique gabonais (PDG). Sans préjuger de rien, l’enquête devrait normalement commencer par eux. Peu importent leurs accointances diverses, ils auraient dû être entendus. L’ont-ils été ? Personne n’ose le croire.
Dans ce contexte, l’intérêt de la police pour les prises de position des jeunes militants de l’opposition peut paraître suspect voire orienté. D’une certaine manière, il accrédite l’idée d’une justice à la carte, alimentant le soupçon d’une enquête à la tête du client. Surtout si l’on se remémore les événements du passé : interpellé en juillet 2016 pour «délit d’attroupement armé», Firmain Ollo’o fut libéré quelques jours plus tard, avant d’être accusé d’avoir pris part à l’incendie de l’ambassade du Bénin en avril 2015 (lire «Acharnement judiciaire ?») puis jeté en prison et finalement élargi en décembre 2016 (lire «Enfin libre»). Ces micmacs l’empêchèrent de mener campagne durant la présidentielle d’août 2016. Au vu des incertitudes nées de l’état de santé d’Ali Bongo, on peut se demander si son interpellation ne vise pas à le tenir en dehors du débat politique en cours. Pourquoi l’interpeler et laisser les personnalités citées par Kelly Ondo Obiang libres de leur mouvement ? Cette différence de traitement nourrit, en tout cas, toutes les rumeurs. Une enquête impartiale ne saurait se limiter aux uns sans toucher les autres.