La diffusion du discours du président de la République a transformé l’impression de duperie en certitude. Jusqu’où le pouvoir compte-t-il aller ? Combien de temps espère-t-il tenir ainsi ?
Les doutes demeurent. L’impression de duperie se mue en certitude. Loin de taire la polémique, les vœux à la nation du président de la République l’ont relancée. Comme les images en compagnie du roi du Maroc, comme celles de la visite d’une délégation d’officiels (lire «Ali Bongo vivant»), le discours du 31 décembre dernier n’a nullement apaisé les esprits. Il n’a pas permis à l’opinion de se faire une idée précise des réelles capacités physiques, mentales et intellectuelles d’Ali Bongo. Du coup, la préoccupation de fond revient en boucle : est-il encore en capacité d’assumer les lourdes missions de sa charge ? Lancinante, cette question renvoie à l’exigence d’une expertise médicale (lire «Issoze Ngondet interpelé»).
Incertitudes
Quand bien même certains internautes se sont risqués à parler de décès, l’opinion ne demande pas des preuves de vie. Elle veut plutôt savoir si l’empêchement est temporaire ou définitif. Pour l’heure, certitudes et conclusions pleuvent. Pour les uns, Ali Bongo ne pouvait être plus prolixe. Pointant des difficultés d’élocution, ils tiennent cette prestation de moins de trois minutes pour une vraie prouesse (lire «Je vais mieux»). Pour d’autres, il a désormais des problèmes de vue. Disant avoir relevé un strabisme subit, ils parlent même de regard livide. Il s’en trouve aussi pour s’interroger sur la motricité de sa main droite. Bien entendu, les implications de cette situation sont également analysées. Et pour cause : sauf ambidextrie reconnue, un droitier ne peut écrire, signer ou parapher de la main gauche.
Au vu des incertitudes actuelles, seul un diagnostic dressé par un médecin assermenté peut éloigner la suspicion. Autrement dit, seule une expertise médicale peut réconcilier les points de vue. Si le Premier ministre et la Cour constitutionnelle se sont jusque-là opposés à cette idée, ces vœux ont fragilisé leur position. Paradoxalement, ils ont apporté de l’eau au moulin des sceptiques. Déjà, de nombreuses forces sociales donnent de la voix. Livrant leur compréhension de la Constitution et des traités internationaux, elles parlent de «vacance définitive», s’interrogeant même sur la «valeur juridique des textes pris en dehors du territoire national» (lire «44 partis d’opposition favorables à une transition»). Tirant des conclusions du flou entretenu, elles disent redouter une «prise de pouvoir par la force». Rien de moins…
Crise de confiance
Pour sûr, les concepteurs des vœux du président de la République croyaient faire œuvre utile. Dans leur entreprise, ils ont néanmoins omis un élément essentiel : une preuve de vie n’est ni une preuve de vitalité ni une preuve d’aptitude. Où l’on en vient à se demander si leur objectif n’était pas de noyer le poisson. Où l’on se surprend à questionner le sens républicain des détenteurs de l’autorité publique. Où l’on en arrive à s’interroger sur leur disposition à se conformer à l’esprit de la Constitution et de nos institutions. Dans quel intérêt fallait-il diffuser des images d’un Ali Bongo aussi affaibli et diminué ? Quitte à faire l’impasse de ce discours, ne valait-il pas mieux faire montre de transparence ? Sans s’appesantir sur son parcours de soins, n’était-il pas plus décent de recourir au bulletin de santé ? Ici, la «tradition républicaine» se heurte au respect de la dignité humaine. Même s’ils diront avoir répondu à une exigence de l’opinion, tout cela ressemble à une manœuvre destinée à gagner du temps.
Si le pouvoir croyait détourner l’attention de l’opinion, c’est raté. Sans le vouloir, il a conforté deux rumeurs véhiculées depuis des mois : l’éventualité d’une hémiplégie affectant le côté droit et, de probables problèmes de vue. Aujourd’hui, rien n’atteste de la capacité d’Ali Bongo à s’acquitter de sa lourde mission. Rien ne permet de croire en l’authenticité d’éventuels actes signés de lui. Comment sortir d’une crise de confiance d’une telle ampleur ? Jusqu’où le Premier ministre et la présidente de la Cour constitutionnelle comptent-ils aller ? Combien de temps espèrent-ils tenir ainsi ? Pour eux comme pour l’opinion, les réponses à ces questions ne relèvent nullement de l’évidence. Autant le dire : les vœux du 31 décembre dernier ont constitué un pas de plus vers l’inconnu.