Aucune Constitution ne traite de la dimension tribunitienne de la fonction de président de la République, c’est-à-dire de son rapport au peuple souverain.
La tradition républicaine revêt-elle un sens précis ? Dans le silence de la loi, est-elle incontournable ? A l’approche de la date du 31 décembre, ces questions alimentent bien des débats (lire «L’ultime épreuve»). Eu égard au flou artistique autour de l’état de santé d’Ali Bongo, elles prennent une toute autre résonance. Surtout, au regard des échéances à venir. Pour les tenants de la majorité au pouvoir, point d’exigences en dehors de celles prescrites par la Constitution. En leur entendement, rien n’oblige le président de la République à prononcer la traditionnelle allocution de nouvel an. Rien ne permet non plus à la population de l’exiger.
Une dérobade à moindre frais
Partout dans le monde, la tradition républicaine complète le droit public. Aucune Constitution ne prévoit toutes les situations. Aucune d’elle ne les règle toutes dans le moindre détail. Aucune d’elle ne traite de la dimension tribunitienne de la fonction de président de la République, c’est-à-dire de son rapport au peuple souverain. Si elles codifient le fonctionnement des institutions, les lois fondamentales se contentent de poser de grands principes. Dans aucun pays, les vœux de fin d’année ne sont consignés dans la Constitution. La solennité et l’importance de ce rendez-vous ne dépendent pas de son inscription dans la loi. Ils tiennent du contexte. Après tout, la Saint-Sylvestre marque le passage d’une année à une autre. Pour le président de la République, c’est le moment idéal pour dresser un bilan d’étape, repréciser les choses et redonner du souffle à l’action publique. Comme le rappelait Ali Bongo lui-même, le 31 décembre 2015, ce «rendez-vous de la tradition républicaine (lui) offre l’agréable devoir de (s) ’adresser (aux Gabonaises et Gabonais)». C’est tout dire…
En se réfugiant derrière la lettre de la Constitution pour mieux banaliser le discours de fin d’année, le pouvoir verse dans le sophisme. Il raisonne comme si la tradition républicaine n’existait pas, comme si tout était écrit. Or de nombreuses pratiques ne sont pas consignées. A titre d’exemple, les lieux de vie et de travail du président de la République ne sont inscrits nulle part. Mais, il ne viendra à l’idée de personne de lui contester le droit d’établir son domicile et son bureau dans les locaux de la présidence de la République. Dès lors, le débat sur la légalité d’une pratique solidement enracinée ne se justifie pas. Sauf, bien entendu, à vouloir occulter la question de fond : les réelles capacités physiques et intellectuelles d’Ali Bongo. Sur cette question, tant de choses ont été dites (lire «Chaque jour le président travaille»). Mais, les pouvoirs publics n’ont jamais pu convaincre de leur bonne foi. Systématiquement leurs dires ont été contredits puis raillés par l’opinion. C’est dire si le recours à la loi fondamentale apparait comme une posture politicienne, une dérobade à moindre frais.
Stériles querelles byzantines
N’en déplaise aux bien-pensants, les vœux à la nation s’inscrivent dans la tradition républicaine. S’ils ne sont pas obligatoires, ils ont généralement été émaillés d’annonces majeures. D’une certaine manière, ils s’apparentent à un discours sur l’état du pays. Toutes choses étant égales par ailleurs, ils peuvent même être décrits comme un rapport d’évaluation de l’action publique. Peut-on les passer par pertes et profits sans explications sérieuses ? Peut-on les enjamber sans nourrir les doutes et raviver la polémique ? Sans préjuger de la suite, le pouvoir devrait méditer ces questions. Faute de s’y résoudre, il pourrait bien ouvrir la porte à toutes les supputations, à toutes les dérives. Au-delà des apparences, la vraie question reste la même : Ali Bongo est-il en capacité d’assumer la lourde charge de président de la République (lire «La solution de RHM») ? Dans un Etat de droit, la réponse passe inévitablement par une expertise médicale. Ne pas l’admettre, c’est entretenir de stériles querelles byzantines.