Paul-Marie Gondjout, Secrétaire exécutif adjoint chargé des élections à l’Union nationale, s’interroge, à travers la tribune libre ci-après, sur l’efficience de la mise en place de l’Assemblée nationale issue des consultations de septembre et octobre derniers. «Engager une nouvelle législature sans engager préalablement le processus de vacance de pouvoir, [lui] paraît être dangereux dans le contexte particulier que nous vivons en ce moment».
Dans quelques jours la Cour Constitutionnelle va procéder à la proclamation des résultats des dernières élections législatives, dont l’organisation a démontré que le pouvoir PDG et ses satellites n’allaient lésiner sur rien, même pas par honte, pour conserver le pouvoir.
Citoyen gabonais que je suis, je ne peux m’empêcher de me questionner aujourd’hui sur la validité de l’issue d’une telle élection, dans le contexte politique incertain d’une probable vacance de pouvoir qui devrait voir le président du Sénat assurer l’intérim du chef de l’État défaillant, pour cause de maladie.
En effet, Ali Bongo Ondimba avait planifié de se donner une majorité confortable, pour tordre le cou à une opposition nationale (sociologiquement majoritaire dans la réalité des faits) et une opinion internationale, qui n’ont eu de cesse de lui rappeler qu’il avait triché pour obtenir le fauteuil présidentiel, faisant de lui un président illégitime. Cette réalité n’a pas changé et ne changera pas. Quelles que soient les circonstances, pour moi, 2016 restera 2016. L’équation est donc là aujourd’hui.
Une Assemblée Nationale obsolète ?
Je me demande, à quoi servirait une Assemblée Nationale telle que celle issue des consultations de septembre et octobre 2018, si elle se mettait en place dans un contexte de vacance de pouvoir, quand on sait que celle-ci doit théoriquement mettre entre parenthèses le clivage politique pour que le pays s’organise à se donner un nouveau chef, un nouveau président de la République, qui devrait à son tour se constituer une nouvelle majorité conforme à ses aspirations politiques. Quelle serait l’utilité de la mettre en place pour quelques mois, et coûter au contribuable plus de 400 millions par mois ? Qui en serait le chef ? Le premier ministre de l’intérim devrait-il en être issu ? Devrait il avoir la confiance de cette Assemblée nationale pour gouverner, alors qu’une vacance dont on connaît l’objectif principal serait en cours ?
Ce sont là, autant de questions dont je ne prétends nullement disposer de toutes les réponses, mais qui ont le mérite d’être là, sous-jacentes. Elles attendent, au demeurant, d’être examinées et traitées, dans l’environnement que l’on sait vicié de la situation politique gabonaise, surpris qu’est le pays aujourd’hui par la soudaine et grave maladie dont souffre Ali Bongo.
Un nouveau président de la République, une nouvelle Assemblée Nationale
Il n’étonnera personne que la vacance de pouvoir, quand elle interviendra, ne se passera pas du tout dans les mêmes conditions que celle que le pays a vécue en 2009. L’élection présidentielle chaotique de 2016 est passée par là, qui laissé des traces durables et dommageables dans le cœur et l’esprit des Gabonais. L’on ne devrait donc pas fermer les yeux sur ces faits-là, et dire que hier c’était hier, sans réfléchir aux conséquences d’un mépris qu’on afficherait face aux justes revendications d’une population qui recherche la vérité et veut faire son deuil des affres de 2016 ?
À mon sens il nous faut nous demander si cette Assemblée nationale ne gagnerait pas à se renouveler consécutivement à l’élection d’un nouveau président de la République, car aujourd’hui, deux (2) alternatives se présentent avec chacune ses conséquences politiques :
La première serait que la vacance soit déclarée avant la proclamation des résultats des élections législatives, pour enclencher le processus constitutionnel y relatif. À cet effet, le pays dans son ensemble l’attend, mais les conservateurs du Pouvoir s’y opposent ;
La seconde reposerait sur le nouvel alinéa de l’article 13 qui amène la notion « d’indisponibilité temporaire ». Elle consisterait elle, à proclamer les résultats des élections législatives et entamer ensuite l’autre processus constitutionnel : mettre en place le Bureau de la nouvelle Assemblée Nationale et débuter la nouvelle législature.
Danger de s’opposer à la vacance de pouvoir
Cette dernière alternative a les faveurs des Conservateurs du Pouvoir, ceux qui voient le Gabon par le petit bout de la lorgnette. Ils s’opposent à la déclaration de vacance de pouvoir pour gagner du temps et se préparer à mieux conserver et perpétuer l’exercice de celui-ci par le clan. Ainsi pour eux, un nouveau gouvernement serait mis en place avant la fin de l’année qui se préparerait à présenter devant l’Assemblée Nationale son programme de politique générale dans la semaine du 1er mars 2019.
Je pense qu’il est important de soulever ce débat sur tous les angles possibles, pour que chacun en connaisse les implications et les conséquences politiques. Je me surprends, pour m’en plaindre, à entendre les silences lourds des constitutionnalistes et des analystes politiques gabonais sur un sujet d’une telle importance.
Engager une nouvelle législature sans engager préalablement le processus de vacance de pouvoir, me paraît être dangereux dans le contexte particulier que nous vivons en ce moment. J’entends déjà ceux qui m’inviteront à attendre que le nouveau président investi dissolve l’Assemblée Nationale et organise de nouvelles élections. C’est en effet possible, mais adhérer à cette invitation, correspondrait à valider le choix que Marie-Madeleine MBORANTSUO, sous la pression des Conservateurs, ferait de retarder et repousser le plus longtemps possible la déclaration officielle de vacance. Le pays continuerait alors de fonctionner avec un gouvernement et une Assemblée Nationale qui se mettrait en place, assurant de fait la complétion de toutes les institutions au service d’un Clan qui piloterait le pays en lieu et place de M. Ali BONGO ONDIMBA, déclaré convalescent et indisponible temporairement.
J’ai parlé plus haut de situation dangereuse parce que je pense que rien n’empêcherait alors les membres du Clan, dans cette configuration, de modifier la Constitution pour envisager les meilleurs scénarios possibles qui leur permettraient de se garantir un remplacement facile et légale du chef de l’Etat. Madame MBORANTSUO nous a, plus d’une fois, administrer la preuve qu’elle n’a envie de s’entourer d’aucun scrupule pour faire de la Constitution ce qu’elle veut, pour protéger les intérêts du Clan, comme une lionne pour ses lionceaux.
Quel que soit le choix des alternatives, je pense que le temps est venu de faire un humble examen intérieur et la lecture de la grande horloge, pour se rappeler qu’il y a un temps pour tout sous le ciel : un temps pour venir, un temps pour partir, un temps pour commencer, un temps pour finir, un temps pour vivre, un temps pour mourir, etc. C’est la sagesse villageoise qui nous l’enseigne, elle qui sait lire les signes.
Le Clan comme les Conservateurs doivent savoir que nous, les Hommes de Progrès, n’accepterons ni ne suivrons aucune voie qui ne soit tracée dans l’intérêt de tous car, nul n’a le droit de s’approprier seul ou en bande(s), l’exercice de la souveraineté.
Acceptons d’ouvrir une nouvelle page de notre histoire commune, c’est le mieux que nous puissions faire et nous souhaiter.