Six mois après son entrée au gouvernement, le ministre de l’Enseignement supérieur garde une dent contre le leader de la Coalition pour la nouvelle République (CNR).
Annoncée il y a quelques jours, sa sortie était attendue. Six mois après son entrée au gouvernement, Jean de Dieu Moukagni-Iwangou revient dans le débat politique. À l’évidence, il garde une dent contre le leader de la Coalition pour la nouvelle République (CNR). À travers un post publié le 17 décembre courant sur son compte Facebook, il l’a laissé percevoir (lire «Un tacle sur Jean Ping»). Évoquant la différence entre «homme d’Etat» et «homme politique», le ministre de l’Enseignement supérieur a accusé le leader de la CNR de verser dans le populisme, l’invitant à davantage de prospective et d’éthique. Dénonçant une culture de l’injure, il a pointé son égocentrisme supposé. Revendiquant la paternité de certaines idées, il en a appelé au renouvellement de la pratique politique. C’est dire si l’homme s’est longtemps senti incompris, offensé et, peut-être même, méprisé. C’est aussi dire si les sarcasmes de certains ont éveillé en lui un désir de vengeance.
Le prêt d’une voiture
Appelé au gouvernement en mai dernier, Jean de Dieu Moukagni-Iwangou avait répondu positivement (lire «Moukagni-Iwangou ne décline pas»). Malgré les dénégations de ses principaux lieutenants d’alors, en dépit de circonvolutions rhétoriques de son parti (lire «Pour un sursaut républicain»), il avait cédé aux feux faustiens. Pour l’opinion, ses explications paraissaient inaudibles (lire «Je ne suis pas passé à la majorité»). Entre cris de déception, accusations diverses et procès en légitimité (lire «La déception des jeunes upégistes»), les internautes firent leurs choux gras de cet épisode. Détournant son propos pour mieux s’en gausser, ils lui renvoyèrent le pseudonyme «Bantou». Depuis lors, l’homme s’est replié sur lui-même, se gardant de commenter l’actualité tout en essayant de se montrer assidu à sa tâche. Même sa candidature aux législatives d’octobre dernier fut gérée sans tambours ni trompettes.
Présenté comme un héritier de Pierre Mamboundou, Jean de Dieu Moukagni-Iwangou était aussi décrit comme un opposant irréductible, un homme au-dessus de tout soupçon. Dans la bataille judiciaire pour le contrôle de l’Union du peuple gabonais (UPG), il bénéficia sinon du soutien, du moins de la neutralité bienveillante des ténors de l’opposition. Membre-fondateur du Front de l’opposition pour l’alternance, il en prît la tête en avril 2015 (lire «Moukagni-Iwangou, nouveau président du Front»). Si on le présentait comme un grand leader en devenir, on le disait alors proche voire très proche de Jean Ping. On l’imaginait lui faire la courte échelle en vue de sa désignation comme candidat unique de l’opposition. Mais, très vite, ces supputations furent démenties par les faits, les deux alliés s’affrontant à fleurets mouchetés, notamment sur les procédures (lire «Moukagni-Iwangou et les profito-situationnistes-de-gauche»). Le prêt d’une voiture acheva de les diviser. Il fallut attendre la présidentielle de 2016 pour les voir composer de nouveau.
Procès à charge
Au vu de la charge de lundi dernier, ces rappels historiques revêtent toute leur importance. Après tout, au lendemain de la composition de l’actuel gouvernement, Jean Ping avait traité Moukagni-Iwangou de «gangster», «bandit notoire» et «voyou», affirmant l’avoir «lancé comme une marque de café». Revenant sur leur collaboration passée, il avait révélé avoir beaucoup misé «politiquement et financièrement» sur lui. Sur le financement du congrès constitutif de l’Union et Solidarité (US) ou le fameux prêt de voiture, il livra des détails pas toujours à l’avantage de sa cible. Était-ce bien nécessaire ? Ancien candidat consensuel de l’opposition, Jean Ping demeure la principale figure de la CNR. Peu importent les sentences des dévots, il lui appartient de maintenir la cohésion de sa famille politique. De ce point de vue, chaque départ doit être vu comme un rejet de sa gouvernance.
Les alliances ne se forment ni dans le culte du chef, ni dans la culture de l’argent, encore moins dans le mépris de l’autre. Elles se scellent dans le respect mutuel, la compréhension partagée des enjeux et la tolérance : hormis au sein des organisations criminelles ou des appareils d’État corrompus, les gens sont généralement jaloux de leur liberté. Jean Ping ayant fait peu de cas de ces fondamentaux, Jean de Dieu Moukagni-Iwangou avait cru bon aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte. Pour ainsi dire, il avait préféré les procès en traitrise aux humiliations de ses alliés. Paradoxalement, son entrée au gouvernement lui donnait le sentiment de recouvrer dignité et respectabilité. Du haut de sa fonction actuelle, il s’autorise maintenant à distribuer bons et mauvais points. N’est-il pas collègue du ministre de l’Intérieur, destinataire des demandes d’autorisation à manifester formulées par la CNR ? Malgré les procès à charge instruits par des procureurs autoproclamés, le ministre de l’Enseignement supérieur semble satisfait de lui-même. Si elle n’a rien d’une revanche, sa dernière sortie a tout d’une vengeance préméditée.