La puissance publique sortira-t-elle renforcée ou affaiblie de l’épisode en cours ? Entre bricolages juridiques, collusions institutionnelles, prégnance d’intérêts privés et couardise, sa politisation pourrait lui être fatale.
La puissance publique sortira-t-elle renforcée ou affaiblie de l’épisode en cours ? La République pourra-t-elle sortir par le haut de la séquence historique actuelle ? Le déroulement des événements ne suscite ni optimisme ni enthousiasme. Entre bricolages juridiques, collusions institutionnelles, prégnance d’intérêts privés et couardise, la partialité de l’Etat ne se discute plus. Entre dénis de droit, mélange des genres, personnalisation du débat public et irresponsabilité, sa politisation pourrait lui être fatale. Dans la gestion des ennuis de santé du président de la République, les institutions nationales n’ont jamais été à leur avantage. Bien au contraire. En se gardant d’entrer en contact avec les autorités saoudiennes, elles ont fait preuve d’une passivité coupable. A ce triste épisode, elles sont en passe d’ajouter un autre, de même teneur : la délocalisation de la présidence de la République en terre étrangère (lire «Transfert de la présidence du Gabon à Rabat»). En défendant cette idée, elles prennent le risque de favoriser des interférences voire des «ingérences étrangères inopportunes» (lire «Mises en garde de l’Union nationale»). Si personne n’a encore osé parler de République bananière, notre Etat est manifestement défaillant.
Revenir à l’essentiel
Depuis le déclenchement des ennuis de santé d’Ali Bongo, de nombreuses forces sociales ont donné de la voix. Dans la majorité des cas, elles ont formulé des exigences. Généralement, elles ont exigé de la transparence et de la méthode (lire «Les doutes de Richard Moulomba»). En optant pour la dissimulation, le mensonge, les arrangements d’arrière-cour et les manipulations constitutionnelles, les institutions ont semé le doute. Arrogantes, dogmatiques, peu enclines à établir des passerelles officielles avec leurs homologues saoudiennes ou marocaines, elles ont laissé le sentiment d’être dépassées par les événements ou, tout au moins, de les subir. Du coup, il convient de leurs rappeler certains fondamentaux. Au-delà des intérêts privés, au vu des normes diplomatiques et au regard des dispositions constitutionnelles, cette affaire mérite un tout autre traitement.
Pour sûr, certains rueront dans les brancards. Ils invoqueront les libertés individuelles, les relations d’amitié ou de confiance. Ils établiront des parallèles hasardeux avec d’autres séquences historiques. Ils tâcheront de placer notre représentation diplomatique au centre de leur démarche. Mais ils ne pourront occulter l’essentiel : le statut d’Ali Bongo et ses implications diplomatiques, politiques ou institutionnelles. En clair, chacun doit se pencher sur les incidences de la situation actuelle sur nos destinées individuelles et collectives. Au-delà, tout le monde doit songer à la respectabilité du Gabon et de ses institutions. Sans doute faudra-t-il revenir sur les quolibets et commentaires peu amènes de la presse internationale. En tout cas, elle peine à saisir la démarche de nos institutions. Quelle image ces hésitations et entorses aux règles donnent-elles de nous, de notre Etat et de notre pays ? A chacun selon son éthique…
Question tranchée
Si elle dénote d’une faible culture républicaine, l’attitude de nos institutions prend racines dans une idée reçue, jamais clairement exprimée : la sacralité supposée de la fonction présidentielle. De façon tacite, ce lieu commun a fait florès. Or il ne correspond à aucune réalité juridique. Le président de la République n’est pas un monarque de droit divin, exonéré de toute responsabilité. Comme toutes les institutions, son autorité procède d’une construction sociale. Délégataire de la souveraineté populaire, il conserve une dimension tribunitienne. De ce point de vue, il doit des comptes au peuple souverain. Pourtant, en dépit des appels à plus de transparence et de responsabilité, les chantres d’un présidentialisme absolu n’ont rien voulu entendre. Croyant protéger l’institution présidentielle, ils ont encouragé le black-out, au point d’en arriver à échafauder les scénarii les plus baroques, notamment la signature de décrets depuis l’ambassade du Gabon au Maroc.
A défaut de nourrir d’âpres débats, cette hypothèse aurait pu faire sourire. Mais cette question semble tranchée. Aux termes de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, les ambassades ne jouissent pas de l’extraterritorialité. Elles bénéficient plutôt de l’inviolabilité (lire «Les précisions d’Ondo Edou» ). Autrement dit, notre représentation diplomatique à Rabat n’est pas un bout de Gabon en terre marocaine. C’est un bout de Maroc où les autorités marocaines ne peuvent entrer sans l’autorisation du Gabon. Normalement, cette réalité devrait inciter au respect de la Constitution et des traités internationaux. Mais nos institutions sont habituées à enjamber les principes et les lois. Peut-être faudra-t-il leur rappeler ce mot d’Aimé Césaire : «Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde»…