Très discret ces derniers mois, Raymond Ndong Sima est réapparu en public à l’occasion d’un entretien accordé à Gabon 1re et diffusé le 28 novembre. L’ancien Premier ministre y aborde plusieurs sujets brulant, notamment l’absence d’Ali Bongo et la promulgation de la Loi de finances 2019, les fluctuations du prix du carburant à la pompe ou encore le système de pointage des agents publics. Ci-après, l’entretien retranscrit par les soins de Gabonreview.
Gabon 1re : Comment expliquer la récente hausse du prix du carburant à la pompe au Gabon, alors que le cours du baril de pétrole est en baisse sur le marché international ?
Raymond Ndong Sima : La hausse du prix du carburant est liée à la façon dont l’Etat a décidé de relier le prix du pétrole sur le marché international à celui de la pompe sur le marché national. Par le passé, le pays pratiquait un système de soutien des prix à la pompe. C’est-à-dire qu’il essayait de séparer les variations des prix du pétrole sur le marché avec ceux des produits raffinés sur le marché national. Il faut comprendre que les sociétés qui raffinent le pétrole se basent sur le prix du pétrole sur le marché international. Au moment du raffinage, les sociétés déterminent un prix de production incluant les frais supportés pour la transformation du brut. Dans le passé, il arrivait que les prix sur le marché international étant très élevés, l’Etat prenait la différence à sa charge pour que les consommateurs gabonais ne subissent pas les augmentations sur les prix du pétrole.
Il s’est passé que progressivement, les montants que l’Etat devaient supporter pour limiter l’augmentation des prix à la pompe, étaient de plus en plus importants. Il y a quelques mois, l’Etat a donc décidé de changer sa façon de calculer les prix. L’on prend désormais comme prix de référence, ceux sur le marché international. En d’autres termes, le fait de rattacher les prix au marché international entraine qu’au bout d’une période si les prix sont à la hausse, les services fixant les prix imputent cela sur les produits pétroliers au niveau local. Il y a quelque temps, j’avais relevé que cette opération devait se faire dans les deux sens : si les prix baissent sur le marché international sur une période donnée, les prix à la pompe doivent suivre la même tendance sur la même période.
L’absence du chef de l’Etat peut-elle avoir une incidence sur la Loi de finances 2019, actuellement en examen au Sénat ?
Il faut commencer par définir ce qu’est le Projet de Loi de finances. Le Projet de Loi de finances et la Loi de finances elle-même, sont une autorisation que le gouvernement demande au Parlement de mettre sous forme de loi. Il s’agit de l’autorisation de prélever des recettes et engager des dépenses sur l’ensemble de l’année à venir. Et c’est pour cette raison que l’on dit que le Projet de Loi de finances doit être présenté en équilibre. C’est-à-dire que le gouvernement doit demander au Parlement le droit de prélever des recettes, qui s’équilibre avec les dépenses et vice-versa. Lorsque le Projet de Loi de finances est envoyé au Parlement, ce que font les parlementaires c’est d’examiner dépense par dépense, recette par recette, si les autorisations demandées par le gouvernement sont justifiées et réalistes.
Une fois que le Projet de Loi des finances a été adopté par le Parlement, celui-ci vote la Loi de finances. Et cette loi doit être promulguée par le président de la République. La question est de savoir qui va le faire dans le contexte actuel ? Nous ne sommes qu’en novembre, il y a encore du temps (…) Lorsque la session parlementaire arrivera à son terme, au 31 décembre 2018, le président doit promulguer les lois votées pour leur entrée en vigueur à partir de janvier 2019. Et parmi ces lois, il y a la Loi de finances.
Et si l’indisponibilité du chef de l’Etat perdurait au-delà de janvier 2019 ?
Nous serions dans une situation particulière dans la mesure où à ce moment-là, la question sera clairement posée : y a-t-il oui ou non continuité de la fonction de président de la République ? Autrement dit, y a-t-il vacance du pouvoir ou non ? Car seul le président est habilité à promulguer les lois. Certes, le président du Sénat est investi des prérogatives de promulgation de la loi, mais seulement dans le cas où il assure effectivement l’intérim en cas de vacance du pouvoir.
Votre avis sur le système de pointage désormais en application dans l’administration publique…
Il y a une façon très simple de savoir qui est à son poste de travail et qui ne l’est pas, sans passer par le système de pointage. Les agents en service font partie d’une hiérarchie. Et les directions générales sont là pour gérer les départements dans les ministères. Ces directions générales ont des directeurs, ces directeurs ont des chefs de service et ces chefs de services ont des bureaux. Il suffit que chacun fasse le travail de vérification de ses agents. A bien y regarder, par ailleurs, beaucoup d’agents à qui l’on demande d’être en poste n’ont ni bureau ni charges de travail. Je me rappelle que lorsque j’étais Premier ministre, j’ai pris un arrêté pour essayer de faire le point sur les fonctionnaires qui avaient été démis de leurs fonctions et qui n’avaient pas fait l’objet d’une nouvelle affectation.
L’Etat ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Un fonctionnaire, l’on doit lui donner du travail. Si cela est fait et que l’agent public ne l’exécute pas, alors l’on a un moyen automatique de vérifier qu’il ne s’est pas exécuté à la tâche. Soit parce qu’il n’a pas rendu son rapport, soit parce que, à partir de ce moment-là, il n’est pas présent à son poste de travail. En suivant ce cheminement, l’on va naturellement identifier soit ceux qui ne viennent pas travail, soit évaluer le temps mis par un agent pour traiter un dossier.
Le déroulement des dernières élections législatives et locales au Gabon…
Je n’ais pas participé aux élections, je les ai observé à distance. Mais je me pose beaucoup de questions sur ces élections. Les députés et conseillers municipaux qui été élus, qui représentent-ils ? Les lobbies logés à Libreville qui colonisent avec des troupes aéroportées les circonscriptions électorales, où alors les populations desdites circonscriptions électorales ? Nous avons recommencé à voir le phénomène des bœufs votants, comme le disait Paul Mba Abessolo. C’est-à-dire que nous avons vu des circonscriptions où le nombre de votants a été multiplié par 10-15 d’une élection à une autre, en l’espace de deux-trois ans. Là réside notre problème ! Un député, comme un conseiller municipal ou départemental, doit représenter la population de la circonscription dans laquelle il a été élu (…) C’est la raison pour laquelle le mécontentement reste latent et continue dans le pays.