Plus aucun avion de la Nationale régionale transport (NRT) ne sillonne le ciel gabonais depuis le 26 novembre. En cause, un rocambolesque litige entre le directeur général de la compagnie aérienne et l’épouse de l’ancien propriétaire de la NRT. Haut responsable de la Cour des Comptes et sœur ainée de l’actuel ministre de la Justice, cette dernière a décidé de faire main basse sur la société.
En raison d’un incroyable litige entre son directeur général et l’épouse de son ancien propriétaire, la compagnie aérienne Nationale régionale transport (NRT) est paralysée depuis le 26 novembre. Un gros manque à gagner pour la société fondée par Mokhtar Mouketou Nehme et dirigée par Juste Alain Mbouity. Pour se faire une idée de cette affaire pour le moins rocambolesque, un retour vers le passé s’avère nécessaire pour bien cerner la situation.
De la naissance de NRT
En 2001, Mokhtar Mouketou et son épouse Rosette Mouketou, aidés de plusieurs associés, ont créé la compagnie aérienne National Airways Gabon (NAG). Quatre ans plus tard, en 2005, la société cesse malheureusement ses activités. Dans la foulée, Mokhtar Mouketou met sur pied, la même année, la Nationale régionale transport (NRT). Il s’agit ici d’une création à part entière, et non d’une modification de NAG. Et Rosette Mouketou ne figurait pas parmi les actionnaires de la compagnie nouvellement créée. Même après le changement d’actionnaires en juillet 2017, Rosette Mouketou n’est toujours pas dans l’actionnariat de la société, dont la forme a évolué de Société à responsabilité limitée (SARL) à Société anonyme (SA), avec conseil d’administration. En novembre 2017, Mokhtar Mouketou va quitter l’actionnariat de NRT en vendant ses parts à ses coactionnaires, avant de se retirer définitivement en Algérie. En novembre 2018, les deux coactionnaires vont vendre leurs parts à deux repreneurs franco-gabonais. Par confiance, ces derniers vont maintenir Juste Alain Mbouity comme directeur général de la NRT, poste qu’il occupe depuis septembre 2017.
Une incroyable croisade judiciaire
En dépit de l’inexistence de liens entre elle et la compagnie aérienne, Rosette Mouketou, magistrat à la Cour des Comptes dont elle en est la Vice-présidente, va affirmer en 2017 avoir des droits au sein de la compagnie. A ce titre, elle exigera le paiement de dividendes de l’ordre de 500 000 000 francs CFA. Elle va engager une procédure en justice pour contraindre la société à lui verser ces dividendes. Elle sera cependant déboutée dans sa démarche par le Tribunal de Première instance de Libreville. En effet, l’ordonnance du juge des référés du 25 août 2017, à l’issue de la procédure contradictoire présidée par le vice-président du Tribunal de Libreville, Fulgence Ongama, va déclarer irrecevable l’action intentée par Rosette Mouketou pour la simple et bonne raison qu’elle n’a jamais été actionnaire de la NRT. Affaire classée !
Rosette Mouketou va pourtant revenir à la charge un an plus tard. Fait inédit, le droit d’actionnaire de cette dernière va être jugé une seconde fois et déclaré recevable par ordonnance du juge des référés du «1 juin 2018, par requête datée du 10 août». Il n’est pas anodin de rappeler que cette ordonnance du juge des référés, a été prise par le même Fulgence Ongama, devenu entre-temps président du Tribunal de Libreville. A noter également qu’entre les deux ordonnances, Edgard Anicet Mboumbou Miyakou, frère cadet de Rosette Mouketou, a été nommé ministre de la Justice. Comprenne qui pourra !
«La décision que le tribunal a rendu en sa faveur le 14 août 2018, et qui interdit à Mokhtar Mouketou de poser des actes de gestion au sein de la NRT sans Rosette Mouketou ne se justifie pas, car ce dernier n’était plus dans l’entreprise depuis 10 mois. Donc, il ne pouvait diriger aucun des dirigeants actuels», a déploré un avocat. Forte de ladite décision, Rosette Mouketou a «présidé» un conseil d’administration avec sa secrétaire à la Cour des Comptes, au cours duquel a été démis l’ensemble des responsables de NRT, y compris le directeur général.
NRT en zone de turbulence
Désormais intronisée grande patronne de la NRT, et suite au délibéré du 23 novembre du Tribunal de Libreville, Rosette Mouketou va débarquer au siège de la compagnie aérienne à Libreville, le 24 novembre, pour y célébrer sa «victoire». Accompagnée du nouveau directeur général (Serge Claude Delmotte) de la NRT nommé par ses soins et d’agents de la Société gabonaise de services (SGS), elle va notamment empêcher à Juste Alain Mbouity et ses collaborateurs d’accéder à leurs bureaux. Rosette Mouketou et sa «suite» quitteront finalement les lieux en début de soirée.
Le pire se produira 48 heures plus tard, le 26 novembre, où un huissier de justice, escorté par quatre agents de police, viendra dans les locaux de la compagnie pour y expulser Juste Alain Mbouity et son adjoint, le directeur financier et son adjoint, ainsi que le directeur des ressources humaines. A noter que quatre de ces personnes n’étaient nullement visées par l’avis d’expulsion. L’huissier procèdera par ailleurs au changement des serrures des bureaux desdits responsables.
Cette expulsion des responsables de la société complète par ailleurs la longue liste de «bizarreries» de cette affaire. En effet, la notification de la décision de justice du 23 novembre a été faite aux concernés en même temps que l’expulsion. La décision n’étant pas exécutoire, l’expulsion a été faite en violation flagrante des procédures judiciaires en vigueur, donnant le droit aux personnes notifiées de faire appel sous 10 jours. Toutefois, la «victoire» de Rosette Mouketou est loin d’être totale. Saisie par Juste Alain Mbouity, l’Agence nationale de l’aviation civile (Anac), qui reconnaît ce dernier comme unique «dirigeant responsable», a suspendu le 28 novembre, «la licence d’exploitation accordée à la compagnie NRT et, ce faisant, le certificat de transporteur aérien». Desservant quatre villes du pays et comptant une centaine d’employés, la NRT est donc clouée au sol jusqu’à nouvel ordre. Entre temps, contestant la décision de justice du 23 novembre, «l’ancienne» équipe dirigeante de la compagnie aérienne a saisi la Cour d’Appel. Affaire à suivre.