L’instance de décision du pouvoir exécutif s’est réunie, le 16 novembre 2018, pour adopter ou entériner un ensemble de décisions dont aucune ne pourra s’appliquer en l’absence de la signature du président de la République, dont les compétences en la matière ne peuvent être déléguées. La décision de la Cour Constitutionnelle aurait-elle conduit à une impasse dont la seule issue serait la déclaration de la vacance ? Ainsi s’interroge, à travers cette tribune, Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, Commissaire en charge du Budget à l’Union Nationale.
En violation flagrante des dispositions de l’article 16 de la Constitution, sur le fondement de la non moins inconstitutionnelle décision de la Cour constitutionnelle datée du 14 novembre 2018, un Conseil des ministres s’est tenu sous la présidence du Vice-président de la République, sans habilitation expresse ni ordre du jour déterminé par le président de la République.
Nous ne reviendrons pas sur le débat sur l’inconstitutionnalité de la démarche. Celle-ci n’est pas discutable. Nous laisseront également de coté le débat sur l’urgence de tenir ce Conseil des ministres au regard de la pertinence des questions inscrites à l’ordre du jour, notamment un emprunt de plus de 19 milliards de Fcfa pour construire un Palais des sports. Il nous parait, par contre, nécessaire de mettre en évidence les limites de la démarche pour mieux montrer l’impasse dans laquelle se trouve le pays.
Effet juridique
Nous commençons par prendre pour acquis qu’en saisissant la Cour Constitutionnelle, le Premier ministre indique que le président de la République se trouve en incapacité de signer une habilitation expresse permettant au Vice-président de la République de présider un Conseil des ministres.
Lors de ce Conseil des ministres, ainsi que l’indique le communiqué final ayant sanctionné ses travaux, le ministre de l’économie a présenté un projet de loi et deux projets de décrets. Il a également présenté des mesures dites “d’application immédiate” et qui concernent la création ou la suppression de plusieurs établissements publics. Au cours de ce même Conseil, une dizaine de mesures individuelles, donc des nominations, ont été entérinées. Nul besoin de s’interroger sur l’urgence.
Pour rappel, si le Conseil des ministres est l’instance de décision du pouvoir exécutif, ses décisions ne sont applicables qu’une fois traduites dans les formes prescrites. Une nomination en Conseil des ministres, qui est de la seule compétence du président de la République (article 20 de la Constitution), ne prend effet qu’à la suite de la signature du décret de nomination par l’ensemble des signataires, notamment le président de la République, le Premier ministre et les ministres concernés. De même, un décret adopté en Conseil des ministres ne produit aucun effet juridique s’il n’est pas signé par le président de la République, le Premier ministre et les autres ministres concernés. Quant aux projets de loi, ils peuvent être transmis au Parlement par le Premier ministre. Mais, une fois votée, la loi doit être promulguée par décret du président de la République.
Attributions non délégables
La question qui se pose désormais est celle de savoir si, oui ou non, la Cour Constitutionnelle va transférer au Vice-président de la République le pouvoir de nomination du président de la République, sa compétence pour la promulgation des lois, ainsi que son pouvoir réglementaire, donc de signer les décrets ? Si la Cour Constitutionnelle venait à le faire, elle désignerait de fait le Vice-président comme président de la République par Intérim, en lieu et place du Président du Sénat.
En effet, l’article 14d de la Constitution indique clairement que : « Le Vice-président de la République supplée le Président de la République dans les fonctions que celui-ci lui délègue. Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique. ». La loi organique 11/98 du 23 juillet 1998 fixant les modalités de délégation des fonctions du président de la République au Vice-président de la République indique, quant à elle, en son article 3 que : « Les délégations prévues par la présente loi ne sont pas permanentes. Elles font l’objet d’actes spéciaux du président de la République ». à l’article 4 de la même loi il est clairement précisé que : « Ne sont pas délégables les attributions du président de la République découlant des dispositions des articles 8, 14a, 15, 16 alinéa premier, 17, 18, 19,20,21,22,23,24,25,26, 28, 29, 43, 44 alinéas 3 et 4, 48 alinéa 2, 49, 51, 52, 69, 71, 88, 89, 90, 91, 98, 104, 106, 107, 113, 115 et 116 de la Constitution. ».
L’article 8 alinéa 4 de la Constitution dispose que le président de la République « est le détenteur suprême du pouvoir exécutif qu’il partage avec le Premier Ministre. ». C’est au titre de cette attribution qu’il signe les décrets et que le Premier ministre les contresigne. Cette compétence ne pouvant être déléguée, aucun décret ne peut être signé en absence du président de la République.
L’article 17 concerne la promulgation des lois. Il est donc entendu que le Vice-président ne peut recevoir délégation pour promulguer une loi à la place du président de la République. Ainsi donc, aucune des lois actuellement en discussion au Sénat, y compris la loi de finances 2019, ne pourront être promulguées, donc entrer en application, sans la signature du président de la République.
L’article 20 alinéa 1 dispose que : « Le Président de la République nomme, en Conseil des Ministres, aux emplois supérieurs, civils et militaires de l’État, en particulier, les Ambassadeurs et les envoyés extraordinaires ainsi que les officiers supérieurs et généraux. ». Il doit donc être là aussi entendu que c’est le président de la République seul qui dispose du pouvoir de nomination et que cette attribution ne peut être déléguée.
En conclusion, violant la constitution de la République, un Conseil des ministres s’est réuni en urgence le 16 novembre 2018 pour adopter ou entériner un ensemble de décisions dont aucune ne pourra s’appliquer en l’absence de la signature du président de la République dont les compétences en la matière ne peuvent être déléguées. Que visait vraiment la décision de la Cour Constitutionnelle ?
Une chose est certaine. Cette séquence malheureuse, et l’impasse dans laquelle elle a conduit, impose au-delà de tout le retour à l’ordre Constitutionnel dans notre pays.
Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, Commissaire en charge du Budget, Union Nationale.