Au-delà du contrôle de la première chambre du Parlement, l’enjeu du scrutin du 27 octobre prochain est d’éviter l’accélération de la déliquescence de notre système institutionnel.
Nul alarmisme dans une invite au réveil démocratique. Aucune grandiloquence dans un appel au sursaut républicain. Le second tour des législatives aura lieu le 27 octobre prochain (lire «Scrutins les 06 et 27 octobre 2018»). Au-delà du contrôle de la première chambre du Parlement, ce scrutin déterminera la nature et la qualité du jeu politique national pour les prochaines années (lire «La rançon de l’abstention»). Il aura un impact non négligeable sur la survie de nos institutions. Autrement dit, son enjeu dépasse largement la question du rapport de force politique. Si l’on n’y prend garde, la déliquescence de notre système institutionnel pourrait connaitre une accélération.
Bien évaluer les menaces à venir
Depuis 1990, le Parti démocratique gabonais (PDG) tire profit de sa position de pouvoir. Systématiquement, ses liaisons incestueuses avec l’appareil d’Etat lui assurent la victoire. Durant le premier tour des législatives en cours, cela s’est encore vérifié. Ses candidats ont largement bénéficié de la bienveillance et de l’incurie du Centre gabonais des élections (CGE) : présence massive de leurs affidés parmi les scrutateurs, ostracisme vis-à-vis des représentants de leurs adversaires, encre indélébile soluble dans le premier dissolvant acheté au coin de la rue, contrôle aléatoire d’identité, ouverture des bureaux de vote au petit bonheur la chance, manque d’isoloirs, coupure systématique d’électricité au moment du dépouillement, absence d’affichage des procès-verbaux… Si les insuffisances de l’organisation ont largement facilité les arrangements d’arrière-cour, la victoire annoncée du PDG porte indéniablement la marque de l’autorité dirigée par Moïse Bibalou Koumba.
Pour autant, ce premier tour a également été marqué par une abstention record. Sur cette lancée, de nombreux électeurs doutent de l’intérêt du second tour. Pour eux, les jeux sont faits, les dés jetés. Plus rien ne peut freiner la déferlante PDG. Sans prendre le contrepied de ces assertions, il faut aller au-delà des apparences : l’Assemblée nationale est organisée en groupes parlementaires et commissions générales permanentes. Pour la fécondité des débats et la pluralité des opinions, plusieurs groupes sont nécessaires. Or, les députés PDG en formeront forcément un et un seul. Au vu de leurs accointances idéologiques, ils pourraient même être rejoints par certains indépendants et les élus du Rassemblement pour la restauration des valeurs (RV). Dans cette chambre introuvable, la servilité et la docilité seront forcément érigées en règles de conduite. Le peuple pourrait ainsi assister à l’adoption, dans son dos, des lois les plus liberticides, dans débat ni amendement. Voici le vrai danger. Voilà la vraie menace. Pour bien les évaluer, chacun doit se souvenir de la dernière révision constitutionnelle, de la modification de la loi relative aux réunions et manifestations publiques ou encore de la refonte du Code de la communication.
Tout à perdre en restant chez eux
Loin de toute émotion ou des comportements bravaches, le bilan de la dernière législature n’incite guère à l’optimisme. Bien au contraire. En toute responsabilité, chacun peut anticiper les retombées d’une situation similaire. Sur le vivre ensemble, les libertés publiques, le fonctionnement des institutions, la confiance ou le climat d’affaires, il est relativement aisé de se faire une idée des conséquences éventuelles. Après avoir rompu l’équilibre des pouvoirs, le PDG va-t-il poursuivre son œuvre de déconstruction de la République ? Dans quel sens ? Va-t-il remettre en cause le suffrage universel direct ? Va-t-il, comme on peut le lire sur les réseaux sociaux, opter pour l’élection du président de la République au suffrage universel indirect ? Déjà, la décision de subordonner le contentieux électoral au versement de «frais de procédure» laisse craindre un glissement vers une forme de vote censitaire (lire «La Cour constitutionnelle à l’épreuve du principe d’égalité des justiciables»). Est-ce le prélude à d’autres changements majeurs ? On peut légitimement l’affirmer.
Manifestement, la place du citoyen dans la vie publique est loin d’être assurée. Pour la conserver, il faut se donner les moyens de la défendre. En régime démocratique, cela passe par le vote. Au vu des résultats du premier tour, il faut regarder les choses avec froideur : surfant sur les insuffisances de l’organisation, le PDG a eu toute la latitude de procéder à l’achat des consciences et au transfert des électeurs. D’où cette victoire sans gloire ni péril. Sans doute, une forte participation aurait-elle annihilé les effets de ces méthodes peu orthodoxes. Pour sûr, une forte affluence aurait mis en évidence l’inaptitude et la partialité du CGE. Ce double pari, les électeurs peuvent encore le tenir, même partiellement. En tout cas, ils ne gagnent rien à ne pas essayer de peser sur les événements. Le 27 octobre prochain, ils auront tout à perdre en restant chez eux. S’ils se déplacent, le PDG se montrera un peu moins désinvolte avec la morale publique. Le CGE un peu moins arrangeant. Aux urnes, citoyens…