Adoptés par les comités techniques CT1 «Produits alimentaires et cultures de rente», 12 projets de normes gabonaises font l’objet d’une enquête publique de deux mois depuis le 5 octobre. Le directeur général de l’Agence gabonaise de normalisation (Aganor) est revenu avec Gabonreview le 10 octobre, sur les contours de cette enquête visant notamment à «garantir la qualité des produits consommés».
Gabonreview : Comment les projets de normes ont été façonnés par les Comités techniques CT1 «Produits alimentaires et cultures de rente» ?
Joseph Ngowet Revaza : La procédure au niveau de l’Aganor en matière de normalisation est très simple. Nous identifions une problématique et par rapport celle-ci, nous mettons en place un comité technique qui regroupe essentiellement quatre parties prenantes : les représentants de l’administration concernée, les représentants du secteur privé concerné, les représentants de la société civile (associations, ONG, syndicats) ; et, en fonction des cas, les représentants de la communauté scientifique et technique. Ces représentants constituent un comité technique qui désigne le bureau directeur du comité : un président, un vice-président et le secrétariat, généralement assuré par l’Aganor. A l’issue de l’élection du bureau, le comité définit de manière souveraine le calendrier des travaux, menés sur la base de certains supports, notamment les normes internationales.
Comment cela se passe-t-il concrètement ?
Nous avons une thématique et la première question que les membres du comité se posent est de savoir s’il existe des normes régionales ou sous-régionales (africaines) dans le secteur. Si la réponse est oui, on récupère ces normes et on les adapte au contexte gabonais. Si la réponse est non, on regarde s’il existe des normes au niveau international (Organisation internationale de la normalisation). Si oui, on les récupère et on regarde si elles peuvent être adoptées tel quel à défaut d’être réaménagées, pour tenir compte du contexte particulier du Gabon. Et s’il n’existe aucune norme internationale par rapport au problème que l’on souhaite normaliser, le comité crée une norme spécifiquement gabonaise. Ce travail peut durer un, trois ou six mois selon la rapidité des membres du comité.
A l’issue de ce travail d’élaboration, un avant-projet de norme est produit et mis en enquête publique par l’Aganor. Pourquoi ? Parce qu’au niveau du comité technique, nous ne pouvons pas incorporer tout le monde. Mais à l’issue de ce travail, le principe de l’Organisation internationale de la normalisation est que toute norme élaborée doit être consensuelle. Voilà pourquoi un avant-projet de norme est mis en enquête publique pour que chacun donne son avis (…) Et à l’issue de cette enquête, les avis sont récupérés et le comité se réunit à nouveau pour voir s’il y a des amendements à effectuer ou pas. Et après cela, la norme définitive est publiée. A partir de ce moment, ces projets deviennent des normes gabonaises.
Comment se déroule l’enquête ?
On élabore le projet de norme qu’on met à la disposition de quiconque en fait la demande. C’est d’ailleurs l’objet de cette enquête. Les avis doivent ainsi être transmis par écrit à l’Aganor. Concrètement, l’opérateur qui se sent concerné par une de ces 12 normes se rapproche de l’agence, obtient le draft du projet de norme sur lequel il veut donner son avis. Il l’analyse et transmet à l’Aganor par écrit, son avis ou ses propositions de formulation techniques et scientifiques. Car le comité doit analyser ses avis et propositions et les analyser avant de déboucher sur la norme définitive.
Pourquoi sollicitez-vous l’approbation des opérateurs économiques, alors que les produits concernés par l’enquête, dans certains cas, sont déjà certifiés par les normes des pays producteurs (notamment ceux de l’Union européenne, la Chine, les Etats-Unis, etc.) ?
Ce sont les opérateurs économiques qui sont sur le terrain. Ce sont eux qui fabriquent, produisent ou importent les produits que l’on souhaite normer. Contrairement à une loi, une norme implique l’avis, la participation de ceux-là même qui vont devoir l’appliquer. Car l’on veut éviter au maximum les conflits et les problèmes juridiques lorsqu’il faudra appliquer la norme. Il faut par ailleurs préciser qu’il existe deux types de normes. Nous avons les normes volontaires qui sont généralement les plus nombreuses. C’est-à-dire que l’on décide d’élaborer une norme, mais c’est à chaque opérateur de l’appliquer ou pas. A ce moment-là, la norme devient une référence de bonne pratique et le rôle de l’Aganor sera simplement d’encourager les opérateurs à appliquer ces normes.
Et la deuxième catégorie de normes est celle rendue d’application obligatoire, parce que le domaine qu’elle gère est sensible. Il est tellement sensible qu’on ne peut pas laisser les opérateurs économiques faire ce qu’ils veulent. Et une fois que la norme est élaborée, l’Aganor prépare un projet d’arrêté rendant la norme d’application obligatoire. Cet arrêté est signé par le ministre de l’Industrie, seul ou conjointement avec ses collègues concernés par la thématique de la norme. Et une fois la norme rendue d’application obligatoire, les opérateurs n’ont d’autres choix que de l’appliquer. Mais ils l’appliqueront d’autant plus facilement qu’ils auront participé à son élaboration. Voilà pourquoi il est très important d’avoir leurs avis, de les impliquer dans le processus d’élaboration de la norme.
En dehors des normes des pays d’origine des produits soumis à l’enquête, ceux-ci doivent-ils également satisfaire aux normes gabonaises ?
Tout dépend de l’état dans lequel le produit arrive au Gabon. Prenons l’exemple d’un opérateur économique qui décide d’importer du lait au Gabon. Dans ce cas de figure, il existe une norme sur le lait au Gabon et le produit gabonais devra satisfaire la norme gabonaise. Mais il existe aussi des normes internationales sur le lait. Si le fabriquant du lait importé a fait certifié le processus de fabrication de son produit selon les normes internationales ISO, et qu’il a bien un certificat qui le démontre, lorsque sa production arrive au Gabon on va juste s’assurer de l’existence et de l’authenticité dudit certificat. Car il existe un principe de reconnaissance mutuelle au niveau internationale de tous les organismes de normalisation à travers le monde.
Il peut cependant y avoir une différence. Lorsque nous décidons d’élaborer une norme, nous nous assurons qu’il n’existe pas une norme internationale par ailleurs. N’oublions pas non plus que le Gabon peut décider de prendre une norme internationale et l’adapter au contexte gabonais. Cela veut dire que la norme gabonaise sera légèrement différente de la norme internationale. Dans ce cas de figure, le Gabon va s’assurer que le produit importé respecte la norme locale du fait de l’ajout de spécificités propre au pays. A ce moment-là, c’est la norme gabonaise qui devra être respectée. Si ce n’est pas le cas, le produit ne rentrera pas au Gabon.
Va-t-on vers une guerre des normes ?
Non, car le principe est que tout le monde respecte à minima un certain nombre de normes. Le plus important est que le produit respecte les normes reconnues par le Gabon.
Quelles sont les spécificités de la norme nationale en ce qui concerne les différents produits visés par l’enquête ?
Il n’y en a pas forcément. J’ai expliqué que dans le processus d’élaboration, l’on peut prendre une norme internationale et on lui donne de statut de norme gabonaise pour que les opérateurs économiques exerçant au Gabon la respectent. Dans ce cas de figure, il n’y a pas de spécificité de la norme gabonaise. Dans l’autre situation, et c’est ici qu’il y aura une spécificité de la norme gabonaise, c’est que nous estimons que le contexte gabonais étant particulier ; la norme sur laquelle nous nous sommes basés pour élaborer la norme gabonaise est modifiée. Car toutes les normes internationales ne seront pas toujours appliquées telles quelles au Gabon. C’est en cela que la norme gabonaise sera spécifique. Et pour ce qui est des 12 normes qui font l’objet de l’enquête publique, grosso modo il n’y a pas eu de modifications. Et généralement, la norme gabonaise contient dans son code de référence celui de l’ISO pour signifier que cette norme gabonaise a été faite sur la base de telle norme internationale. Cela permet d’éviter les confusions.
L’enquête porte sur les normes des «Produits alimentaires et de cultures de rente». En ce qui concerne les produits alimentaires, il n’y a ni le manioc, le pain, la banane, les légumes, les pâtes, les pommes de terre… qui sont des produits de consommation courante. Par ailleurs, quels sont les «Produits de cultures de rente» qui rentrent dans le cadre de cette enquête ?
Nous avons essentiellement le miel, le riz et la tomate. S’agissant de l’absence du manioc, du pain, de la banane et des autres produits (légumes, pâtes et pommes de terre), cela est tout à fait normal. Nous avons commencé par des produits disposant déjà d’une norme. Or, si vous prenez le manioc par exemple, c’est vraiment un produit particulier qui n’a pas encore fait l’objet d’une normalisation au niveau international. C’est un des produits qui feront l’objet de normes purement gabonaises. Idem pour le pain, la banane, les légumes, les pâtes, les pommes de terre, etc.
Après le lancement de l’enquête, des avis vous ont-ils déjà été retournés ?
Avant tout, j’insiste sur le fait que nous avons besoin d’avoir les avis de tous. Car en plus des opérateurs, les ONG, les syndicats, les associations et même les consommateurs ont le droit de s’exprimer. Toutes ces parties prenantes peuvent se rapprocher de l’Aganor, récupérer les drafts de projets de norme et transmettre leurs avis par écrit. Nous exhortons donc les Gabonais de tous secteurs confondus, aussi bien de la société civile, à s’imprégner de ces normes parce qu’elles sont faites pour eux. Nous parlons ici de «Produits alimentaires et de cultures de rente», il revient à chacun de s’assurer de la qualité de ce qu’il consomme en prenant part à cette enquête. Malheureusement, il est regrettable qu’à ce jour nous n’ayons encore reçu aucun avis. Opérateurs économiques, ONG, syndicats, associations et consommateurs se doivent de réagir et même de contester, pour que ces projets de normes répondent aux attentes des Gabonais.