A l’occasion du 3e New York Forum Africa qui se tiendra du 23 au 25 mai à Libreville, Guilou Bitsutsu Gielessen, secrétaire exécutif de l’Union républicaine pour la démocratie et le progrès (URDP), parti d’opposition membre de l’Union des forces pour l’alternance (UFA), livre, à travers cette tribune libre, un avis, cru, qui prête à s’interroger sur la réelle opportunité du grand raout médiatique de Richard Attias.
Le New York Forum Africa où le « Davos de l’Afrique » face à la pauvreté des populations. La 3ème édition du New York Forum Africa (NYFA) est annoncée à Libreville du 23 au 25 mai, sous le thème central de : «la Transformation du continent».
Inspiré sur le modèle du forum économique de Davos, le NYFA se veut un « Davos pour l’Afrique » cadrant avec les ambitions économique du continent.
Richard Attias en maître de cérémonie remplit bien son contrat, la première et la deuxième édition ont été un franc succès en terme d’organisation mais aussi par la qualité des échanges et des intervenants.
Le NYFA est un formidable lieu de rencontre, d’échanges qui place le Gabon et notamment Libreville au centre des ambitions émergentes de l’Afrique. Libreville se hisse ainsi, au rang des villes dynamiques du continent, à l’instar, de Ouagadougou pour le FESPACO ou de Dakar pour la biennale « Dark’Art ».
La 3ème édition commence sans qu’il y ait eu de bilan de l’édition précédente. Parmi les contrats signés lors de la deuxième édition, figurait un contrat sur l’éducation. Il était question de doter le Gabon de trois grandes écoles pour accueillir 1800 étudiants en 2016.
Aujourd’hui, personne ne sait où se situe ce projet, et bien d’autres aussi….. Le NYFA manque de visibilité. Le politique c’est aussi prendre le temps de la réflexion et on a souvent le sentiment que par sa précipitation à agir, à s’exprimer, le pouvoir Gabonais ne fait aucun investissement pour expliquer l’état d’avancement de ses projets. Nous sommes intoxiqués par les moyens de la propagande et le refus d’accès aux médias pour porter la contradiction…
Avec un budget qui avoisine les 16 millions d’euros sur 3 jours, le NYFA est un show à l’américaine qui coûte cher aux contribuables Gabonais. La totale prise en charge des manifestants est assurée par le Gabon. On est bien loin, du forum de Davos ou chaque invité débourse près de 50 000€, et où, chaque entreprise partenaire stratégique près de 600 000€. D’ailleurs une sérieuse incompréhension s’est installée entre les buts et les objectifs du NYFA.
Au départ, ce forum est « vendu » aux Gabonais comme un moyen d’attirer les investisseurs et booster l’économie nationale. Aujourd’hui, ils ont l’impression que ce forum se transforme en rendez-vous Africain voire mondial par la surface des invités et des intervenants. D’où le malentendu et l’impopularité qui guettent cet évènement.
Comment comprendre que seul le Gabon supporte les frais d’organisation de ce forum qui profite à bon nombre, au-delà des frontières nationales?
Le NYFA se présente comme un gouffre financier, une dépense de complaisance, au bon vouloir du prince. Et, ce au moment où circulent des rumeurs sur le manque de liquidité des caisses de l’État. Le récent limogeage du trésorier payeur général de l’État et la suspension des « fonds communs » (primes et avantages en espèces hors salaires et non imposables), amplifient les doutes sur cet événement.
En plus du coût, la contestation du pouvoir d’Ali Bongo et l’esprit mercantile de Richard Attias planent comme un rejet de ce forum.
Le Gabon est un pays riche en pétrole 250 000 barils/jour, un PIB/habitant équivalent à celui de la Turquie, riche en minerais et en bois. Les Gabonais étaient semble t-il à l’abri du besoin.
150 000 personnes sont au chômage soit 10 % de la population totale et 25 % de la population en âge de travailler; Un revenu minimum qui avoisine les 80 000 fcfa (120€/mois), une espérance de vie à la naissance de 52 ans; Un système de santé fragile, une dépendance alimentaire totale, un pouvoir d’achat insignifiant, un tissu familial en perdition, une solidarité nationale embryonnaire. A ce stade, et après deux éditions, personne n’est en mesure de donner des chiffres, des retombées sur l’activité économique ou sur les changements produits par le NYFA.
Il sonne comme une contradiction béante entre les promesses d’Ali Bongo de faire du Gabon un pays émergent et la situation politique et économique du pays. Nous ne pouvons passer sous silence le fait que le Gabon depuis 2009 a régressé en terme de bonne gouvernance et de gestion des finances de l’état.
La réalité rattrape tous les espoirs, on estime à 0, 1% de la population ceux qui détiennent 80% des richesses du pays. On sait de manière rationnelle qu’il existe des limites à la croissance économique, l’épuisement des ressources naturelles et notamment du pétrole en est une, la distribution des richesses en est une autre.
Peut-on envisager une croissance économique dans un pays ou il existe une telle inégalité dans la répartition des richesses?
Cette année 21 milliards ont été dépensés pour des études et des séminaires sur la pauvreté. Le rapport Mc Kinsey sur la pauvreté, nous apprend que 30 % de la population croupît dans une extrême pauvreté. Les Gabonais dans leur ensemble estiment que les conclusions de ce rapport sont en-deçà de la réalité, c’est plutôt plus de 45% qui vivent cette pauvreté.
La misère s’accompagne toujours de la corruption, ainsi 80% du montant de l’aide sociale de l’Etat ne parvient pas aux destinataires.
Est-il possible de mettre en place un développement soutenable qui ne répond pas aux besoins du présent et fait la part belle aux promesses du futur?
L’avenir peut-il se muer en bonheur, quand la misère persiste au quotidien?
Les attentes des populations sont considérables, des actes concrets tardent à voir le jour, Les Gabonais sont las de tourner en rond.
l suffit d’observer les dernières décisions des assises sociales du Gabon du 25 Avril dernier soit un mois jour pour jour avant le NYFA. La décision d’augmentation progressive des allocations familiales qui passe dès le mois de Juin de 4000 fcfa (6,09€) à 5000 fcfa (7,62€) par enfant et par mois, a marqué les esprits, non pas à cause de la hausse de ces prestations mais plutôt à cause de son caractère dérisoire.
Au Gabon, la précocité des grossesses et le statut sociale des jeune-filles-mères devraient être un sujet au centre des préoccupations.
Avec de telles exclusions sociales on se demande comment il est possible vouloir le bien-être des populations sans elles mêmes? Quel intérêt pour les populations, l’organisation de ce forum économique à coups de milliards, quand vivre au présent est un risque et l’avenir incertain?
La croissance économique et dans une moindre mesure l’émergence, avant d’être des sujets de discours politiques sont avant tout des outils économiques.
Le développement dépend de l’interaction de quatre types de capital que sont le capital naturel, physique, humain et institutionnel. L’interaction positive des quatre types de capital est source de bien-être.
Au Gabon, le capital humain et institutionnel qui lient le bien-être et la bonne gouvernance nous interpellent:
Tout d’abord, le capital « humain » qui regroupe l’ensemble des capacités physiques et intellectuelles des individus et qui peuvent êtres accumulées (niveau d’instruction et de formation).. Fait de l’homme le cœur du développement.
Peut-on attirer des investisseurs dans un pays où la population manque de formation, de qualification?
Le Gabon, bien qu’ayant, un taux de scolarisation qui frôle les 90%, la déperdition scolaire et les échecs assombrissent ce tableau. En 2013, 75% des inscrits ont raté le baccalauréat.
L’Etat consacre peu de moyen en investissements et équipements pour l’éducation. Bien que le budget alloué au système éducatif national a été multiplié par cinq : 14 milliards de francs CFA en 2010 ; 27 milliards de francs CFA en 2011 ; 57 milliards de francs CFA en 2012 et 71 milliards de francs CFA en 2013; Ce budget est nettement insuffisant si on le compare au budget de l’État 3.999 milliards en 2013.
- Quant au capital « institutionnel » qui regroupe l’ensemble des institutions qui permettent et organisent les relations sociales et favorisent ainsi le niveau de production du bien-être. Les institutions de la république Gabonaise sont taillées sur mesure et sont aux mains des proches ou des parents du président Ali Bongo. En terme de démocratie le pays ne trouve toujours pas son chemin, les élections sont des simulacres, entachées de fraudes massives.
Avec un tel constat on peut se demander si Le Gabon peut passer le cap du sous-développement? Les forums et les séminaires peuvent-ils résoudre les problèmes de bien-être des populations?
Sans être pessimiste, il convient de dire que l’avenir est incertain. Il est urgent de trouver une autre voie, une autre perspective, d’engager la grande métamorphose de l’individu puis de la société. J’entends par métamorphose un processus dans lequel de multiples réformes, dans tous les domaines, commencent en même temps.
Le 07 mai dernier, le président Macky Sall en parlant du Plan Sénégal Emergent (PSE), faisait ce terrible constat. « Le Sénégal, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, ne peut pas connaître l’émergence économique »