Le Président de l’Alliance pour la renaissance nationale (ARENA), Richard Moulomba Mombo, est revenu, dans une interview exclusive accordée à l’Agence Gabonaise de Presse, sur les questions d’actualité dont les élections législatives et locales 2018, la crise économique au centre des maux dans biens des pays, l’opération d’assainissement des finances publiques, l’insécurité, la baisse du niveau scolaire.
Agence Gabonaise de Presse : M. le Président, les élections législatives et locales se tiendront au Gabon, les 06 et 27 octobre 2018. Le parti politique ARENA est-il de la course ? Si oui pourquoi ?
Richard Moulomba Mombo : «Merci de m’interviewer, pour me permettre de vous donner mes sentiments sur diverses questions d’actualité. L’ARENA va aux prochaines élections. Nous y allons pour cinq raisons fondamentales. Premièrement, le parti est né dans la lutte et dans la douleur. Donc il est né pour lutter. Nous l’avons fait dans l’UPG hier, aujourd’hui nous le faisons dans l’ARENA. Une mouche, ou des branches de palmiers, ne peuvent arrêter notre marche et nous décourager. Nous sommes un parti politique qui a des ambitions de conquête du pouvoir à tous les niveaux.
Deuxièmement, bien que nous ne soyons pas naïfs de penser qu’on renverserait une dictature ‘’par le bulletin de vote’’, nous sommes fortement convaincus, en revanche, qu’on peut renverser une dictature ‘’grâce au bulletin de vote’’ ! Autrement dit, dans une dictature, le vote ne doit pas être pris comme un objectif, mais plutôt comme un prétexte. Dans cette hypothèse, l’urne et le bureau de vote ne sont plus un moyen, mais un détonateur. Chaque centre de vote et chaque siège seraient alors des foyers possibles de tensions. Je crois, in fine, qu’une dictature ne peut être chassée que par la force. Et l’urne, et partant l’élection, si on sait l’utiliser, peut créer cette énergie et cette force nécessaire, beaucoup mieux que la résignation et le boycott. Dans un contexte de reniement d’associations, de refus systématique de rassemblement, l’élection est le seul moyen aujourd’hui, de se rassembler sans autorisation préalable, et de rouvrir les pages sombres et les plaies de la dernière présidentielle. Il suffit que l’Opposition soit stratège et unie.
Troisièmement, à travers le monde, tous les pouvoirs qui se sont toujours sentis très mal pour affronter une élection, ont également toujours utilisé l’adversaire, c'est-à-dire l’Opposition, pour boycotter lesdites élections ; et ainsi, légitimer leurs victoires, et partant leurs pouvoirs.
Quatrièmement, nous avons observé, à travers le monde entier, que jamais une élection boycottée n’a été annulée, reprise, ou même n’a avantagé l’Opposition qui l’a boycottée. Elle a toujours fait l’affaire du pouvoir en place. Le boycott apparait donc comme une fausse solution à un vrai problème, qui est bien celui de la transparence électorale.
Cinquièmement, enfin, si l’alternative proposée au boycott de cette élection, c’est de croiser les bras et d’attendre la providence, sans rien proposer de fort, pimenté et conséquent, alors il vaut mieux y prendre part».
Ces élections se tiennent dans un contexte particulier de crise économique, qui a amené les autorités à les repousser à plusieurs reprises, avant la dissolution de l’Assemblée Nationale par la Cour Constitutionnelle. Quelle est votre appréciation ?
«D’abord pour ce qui est de la dissolution de l’Assemblée Nationale et de la démission du gouvernement, nous avons condamné fermement, en son temps, cet acte de la Cour Constitutionnelle, assez ubuesque et unique dans le monde, par lequel, non seulement elle avait cessé de rester dans son rôle pourtant bien encadré par notre législation, mais surtout, elle usurpait par là, sans rire, les pouvoirs à la fois du peuple souverain et de l’exécutif.
Pour ce qui est de la crise, que nous estimons multiforme et multisectorielle, dont l’économie n’est que l’un des pans, nous disons qu’elle est d’abord politique, et que la solution est tout aussi politique : un pouvoir, tiré d’un système monarchisé, s’impose à tous par défaut, depuis plusieurs décennies. Le choix des gabonais s’est toujours vu détourner à chaque élection présidentielle depuis 1993. Aujourd’hui, ce détournement, rendu encore plus visible grâce aux réseaux sociaux, devient insupportable. Les gabonais ont l’impression que tout ceci se passe sous l’œil admiratif, la complicité, les applaudissements et la caution de la communauté internationale, en particulier, de la France. A cet instant, les colères et ruminations des gabonais font du Gabon un volcan dormant, à même de faire irruption à tout moment. Ceci, avec tous les dangers et effets collatéraux possibles ! Dès que la solution politique est trouvée, toutes les autres solutions se mettent en place systématiquement, sans forcer!».
Depuis bientôt trois (3) mois, le gouvernement procède à une opération d’assainissement des finances publiques. Votre commentaire ?
«Le gouvernement vous a-t-il donné une esquisse de résultat de cette opération, et notamment le ratio de la dette publique par rapport au Produit intérieur brut (PIB) ? Non ! L’exécutif gabonais nous a habitués avec des mesures éclaires et sans suites favorables. Souvenez-vous de toutes ces promesses faites au premier mandat, et restées sans suite, entre discours à la Nation, Conseils des ministres et Conseils des ministres délocalisés, New York forums, et autres rencontres flash. Donc, celles-ci n’en sont que quelques unes de plus ! Puisque dans le même temps, pendant qu’on demande de la récession aux travailleurs du public et aux populations, eux-mêmes roulent carrosse : les marchés se distribuent entre les gâtés du pouvoir ; les détournements de fonds publics se font toujours à souhait ; la gabegie est toujours de mise ; la concussion est à son comble ; la corruption reste la chose mieux partagée entre eux. A-t-on revu le problème du poids des voyages du président de la République ? Le problème du parc automobile de l’Etat, dont celui de la Présidence de la République ? Le problème des ristournes pétrolières que recevraient systématiquement des individus dans ce pays, sur le dos des populations ? Le problème des puits de pétroles que posséderaient certains individus, là encore sur le dos des populations ? Le problème d’enrichissement illicite, de détournement des deniers publics et de corruption, dont les manifestations sont visibles ? Brefs ! Le problème de toutes ces caisses parallèles, j’en dénombrais 89 en 2009, dont le contenu ne rentre pas dans le budget de l’Etat, et ne respecte pas le principe de l’unicité des caisses de l’Etat ?»
En plus d’être dans la crise due, entre autres, à la chute du prix du baril du pétrole, le Gabon, pour ses équilibres financiers, a recours aux bailleurs de fonds internationaux. Quel commentaire de l’ARENA ?
«La dette extérieure du Gabon, est pour moi, le plus grand drame de notre pays. Elle est à des proportions ahurissantes du PIB national. Ceci, depuis d’abord le régime Bongo père, et aujourd’hui encore plus, sous celui de son fils ! Le drame là dedans vient de ce que le Gabon emprunte des sommes faramineuses ; 1,3% de la population les détourne ; 13% de celle-ci en jouit, car liés aux détourneurs de deniers publics ; et 87% de cette population, c'est-à-dire les innocents, paieront seuls, sentiront seuls le poids du remboursement, et donc se saigneront seuls pour cela. Pourquoi ? Parce que, les 1,3% se mettent à l’abri avec les 11,7% liés à eux, et transféreront cet abri à leurs progénitures ! C’est plus que grave et dramatique».
Depuis quelques temps, on assiste à une recrudescence de l’insécurité dans notre pays. Les acteurs politiques semblent ne pas s’en préoccuper. Votre sentiment?
«Les acteurs politiques, en particulier ceux de l’Opposition, ne gèrent pas ; et donc ne peuvent se limiter qu’à dénoncer. L’insécurité, et même les crimes rituels, sont entretenus dans notre pays! Le responsable de l’ONG de lutte contre les crimes rituels l’a plusieurs fois dit. Il faut justifier la présence des corps habillés à tous les coins de rue, et l’état de siège permanent. Etonnant tout de même que malgré tout cela, les bandits vaquent et opèrent sans inquiétude! Cela dit, si l’on veut réellement lutter contre l’insécurité, il y a à la fois des moyens et des mécanismes pour cela. Surtout avec tous les recrutements qu’il y a eu ces neuf dernières années dans les forces de sécurité et de défense ! Doivent-ils seulement servir à sécuriser le Chef de l’Etat, et à mater le peuple, alors que leur mission première est tournée vers le peuple qu’ils doivent protéger et sécuriser ? Il y a des réels ripoux dans nos quartiers, et même dans les corps habillés. Dans les bâtiments abandonnés de l’université Omar Bongo et dans nos quartiers, par exemple, on les connait, on les voit, mais personne ne les touche. Et quand un citoyen arrive à enfermer l’un d’eux, le lendemain, il est dehors. Il est donc clairement acquis qu’ils ont des complices qui les protègent, ou peut-être pour qui ils travaillent, au plus haut niveau. L’une des solutions pour en sortir, est de créer la police des polices, en civil et dotée des moyens réels de lutte contre ce phénomène dont on n’a pas intérêt à faire perdurer».
L’actualité récente fait état du taux d’échec aux examens nationaux, et la baisse du niveau scolaire décriée par le président de la République. Que propose l’ARENA pour y remédier ?
«Il faut s’inscrire dans le fait que le chef doit être un modèle de probité, de valeurs, d’abnégation au travail, etc. Aujourd’hui, notre enfant a qui pour modèle ? A partir de ce moment, que voulez-vous lui exiger, quand, matin et soir, il voit un homme ou une femme sans cursus, en gros un médiocre, rouler les mécaniques sans effort ?! Et ils sont, y compris, dans tous les cercles du sommet de l’Etat. Il se dit qu’en exploitant les différents raccourcis, facilités par des ‘’Positions Graines’’, il arrivera au sommet, sans s’emmerder avec les mathématiques, la comptabilité et autres. Pourvu qu’on sache qu’il a été inscrit dans un établissement où on l’a souvent vu. S’ajoute à cela, le favoritisme excessif à l’échelle étatique ! Le mensonge est bon à ce moment là, et il faut faire l’école des pourcentages. Vous remarquerez d’ailleurs que les vrais résultats aux examens nationaux (BAC et BTS), ne dépassent pas 15% (notamment avant les oraux pour le Bac). Du coup, à l’USS par exemple, le drame c’est que le mauvais médecin, sorti de là, tricheur et négociant à l’école, diplômé par recommandation, tue des paisibles citoyens qui ont commis le péché d’être malades. Il est alors plus proche d’un assassin que d’un médecin.
La solution réside dans ce que veut atteindre le pays, comme objectifs. Les états généraux de l’éducation, organisés en 1983, actualisés, associés à toutes les autres études à ce sujet, mises au gout du jour et sans concession, nous semblent être une piste de référence très riche pour sortir de cette situation. A ce jour, rien de tout ça n’est appliqué. Même pas ce que le pouvoir actuel a lui-même initié. Aujourd’hui, on parle déjà de la ‘’Task Force’’ sur l’Education, alors même que les états généraux de 2010, organisés par Ali Bongo lui-même, ainsi que toutes les autres réflexions y relatives, n’ont pas d’application. Il faut arrêter de faire la comédie et de tricher avec nous-mêmes !».
Avec les retards de paiement, la CNAMGS, l’ANGTI, et les autres directions décentralisées, la fermeture des entreprises du fait de la dette intérieure, le chômage, etc., s’intensifient. Comment appréciez-vous tout cela, ainsi que l’économie gabonaise ?
«Comme vous l’imaginez, le non paiement de la dette intérieure tue l’entreprise, et partant, l’activité économique. Le corollaire de tout cela étant bien sûr l’accroissement du chômage. L’économie gabonaise est en difficultés, beaucoup plus du fait de l’amateurisme des dirigeants que de la morosité de l’environnement. Si nos dirigeants se concentrent un peu plus, ils peuvent faire le choix de se mettre au travail, plutôt dans la jouissance. Ce serait là le choix des enjeux, face aux jeux ! La remontée de l’activité économique se ferait en deux ans maximum ! Avec globalement 250.000 personnes en activité au Gabon, notre pays a la taille d’une entreprise (multinationale). Des mécanismes de relance économique existent, lorsque la volonté politique, nourrie de ses choix et d’une vision, y est. On peut relancer l’activité économique dans notre pays, en jouant sur les deux leviers principaux connus : On peut assainir et discipliner les salaires des fonctionnaires, en mettant en surface toutes les poches volontairement cachées, et en ne considérant que la seule échelle verticale de classification des agents. Avec pour effet, de renforcer l’assiette fiscale et in fine d’augmenter lesdits salaires, plutôt que de les réduire. Cela aurait pour finalité de relancer l’économie par la consommation. Dans un second temps, de payer la dette intérieure, dans sa totalité, tout en se mettant en guerre contre les réseaux mafieux des corrompus, cloitrés aux Finances et au Trésor public, qui étranglent ces entreprises et donc les aident à mourir en leur exigeant des ristournes personnelles colossales, et une fiscalité décourageante. Là aussi il y aurait une augmentation de l’assiette fiscale, qui financerait les grands travaux. La finalité étant de relancer l’économie par l’investissement».
Quels sont vos rapports avec Monsieur Jean Ping, candidat à la dernière présidentielle ? Il revendique toujours la victoire. Cette revendication mérite-t-elle d’être encore d’actualité ?
«L’ARENA est toujours membre de la Coalition pour la Nouvelle République, dirigée par Jean Ping. Et, nous n’avons jamais remis cela en cause. Nos rapports sont ceux de deux partenaires politiques, ils sont emprunts de courtoisie et de respect mutuel. Je reste convaincu que le débat sur le détournement du vote à la dernière présidentielle, qui est un débat sur les valeurs, l’éthique et la morale, est intemporel ; et donc toujours d’actualité. Lorsque dans votre maison, votre enfant est un assassin, tant qu’il n’a pas fait de mea culpa, le débat sur son comportement d’assassin reste d’actualité. S’il faut le mettre en prison pour faire arrêter cela, vous le ferez. Et c’est justement parce que je pense que ce débat est toujours d’actualité, que je suis tout autant convaincu que, l’ennemi principal de la lutte étant le temps, qui érode tout sur son passage. Jean Ping aurait pu redonner de la vigueur, de l’énergie et de la vitalité à cette revendication qu’il ne doit pas arrêter, en se mettant courageusement en chef de fil de l’Opposition, lui-même non candidat à ces élections bien sûr, pour appeler le peuple et ses partenaires politiques locaux, à confirmer la victoire de 2016 aux législatives et locales de 2018, tout en exigeant aux leaders de la Coalition de taire leurs égos et de présenter un seul candidat par siège. Dans un contexte où ce sont des élections de proximité, où tout est proclamé et acté localement désormais, il y aurait un ras-de-marrée à ces futures élections. Le cas échéant, chaque urne serait un détonateur (3.800 bureaux), et chaque circonscription, un foyer de tension possible (143 sièges). La conséquence serait de redynamiser la lutte, de redonner à Jean Ping une valeur ajoutée conséquente, de replacer Jean Ping en position plus que favorable de revendication de sa légitimité confirmée, face à la communauté internationale. Je le pense au plus profond de moi».
Vous étiez autrefois à l’UPG. Vous avez créé votre parti politique, l’ARENA. D’aucuns pensent que vous avez eu raison de partir plus tôt. Pouvez-vous nous dire un mot sur ce qu’est devenu ce parti, considéré dans le temps comme un des poids lourds de l’Opposition gabonaise ?
«Vous savez, j’ai définitivement tourné cette page. Je voudrais juste vous citer un ancien militant de l’UPG rencontré. Triste et amère, il lança, parlant de cette situation : «SG, vraiment, la prétention est une chose, mais l’art en est une autre. La jalousie est une arme de destruction massive grave. Quel gros gâchis ! Je crois que les prétendants auraient dû taire les égos, plutôt que de démolir une si belle maison à coups de massues, et sans remord aucun. Quand on a, comme moi, mis sa vie, son énergie et ses petits moyens pour la construction d’une telle maison, voir cela donne forcement des petits pincements au cœur».