Les préconisations du groupe conduit par Patrick Mouguiama Daouda constituent une menace pour l’ascenseur social. Nul besoin de magnifier certaines filières, d’indexer d’autres ou de vouloir, tout à la fois, raccourcir les formations et les limiter aux besoins du marché.
La task force sur l’éducation a tort. Elle a peut-être avancé des choses intéressantes. Mais, son rapport fait peser une hypothèque sur le futur. Tout tourné vers la satisfaction de «la triple exigence d’employabilité, de compétitivité et d’excellence», ses préconisations constituent une menace pour l’ascenseur social. Y transparaît une volonté de préserver les inégalités et privilèges de naissance. Comme s’il était question de reproduire l’Ancien régime au Gabon. Certes, chacun peut encore «poursuivre des études dans l’enseignement secondaire normal et dans les filières universitaires classiques». Certes, «ces cursus (seront désormais) (…) réservés aux élèves et étudiants jeunes et brillants». N’empêche, le groupe conduit par Patrick Mouguiama Daouda s’est inscrit dans une logique de court terme. Manquant d’audace, d’ambition et de générosité, il n’a guère exploré les chemins de l’avenir.
Soumettre leur progéniture à ces exigences
La task force sur l’éducation propose de limiter «l’accès, (…) (…) aux disciplines dont les effectifs sont saturés et les diplômes inadaptés au marché de l’emploi». Concrètement, elle veut instaurer un numerus clausus pour l’accès aux études de médecine, de sciences économiques et de droit. Elle veut aussi limiter les effectifs en lettres et sciences humaines à 1 000 étudiants sur une période de trois ans. On aimerait savoir sur le fondement de quelles études parvient-elle à ces conclusions. On aimerait demander aux panélistes s’ils sont prêts à soumettre leur progéniture à ces exigences. Volens nolens, partout dans le monde, l’élite dirigeante prépare ses enfants à intégrer les grandes écoles ou les meilleures universités. Autrement dit, elle prend soin de les doter d’un socle théorique favorisant la flexibilité de l’esprit et l’auto-adaptation aux savoirs. Pourquoi préconiser autre chose pour autrui ? La promesse républicaine ne consiste-t-elle pas à permettre à chacun de se réaliser, indépendamment de toute autre considération ? N’est-ce pas l’essence même de l’égalité des chances ?
Pour sûr, la bien-pensance glosera sur l’adéquation formation/emploi. Sauf à minimiser l’efficacité de la formation-action, on ne peut présenter les formations courtes comme une panacée. À moins de se méprendre sur la finalité éducative de l’école, on ne peut faire abstraction de la nécessité pour chaque enfant de comprendre le monde d’aujourd’hui. Avant de parler d’employabilité, il faut définir la politique économique. Pour lutter contre le chômage, il faut formuler une politique de l’emploi. Acquise au discours de certains investisseurs privés, la puissance publique croit pouvoir faire l’économie de ces exercices. Elle en vient même à laisser le sentiment de tout miser sur l’enseignement technique ou professionnel voire l’apprentissage. Pourtant, face aux incertitudes de l’avenir, sa réflexion doit être holistique.
Favoriser l’épanouissement de l’individu
La reconstruction de notre système éducatif doit viser des objectifs clairs : contribuer à l’égalité des chances ; permettre à chacun de développer sa personnalité et d’élever son niveau de formation ; favoriser l’insertion dans la vie sociale et ; faciliter l’exercice de la citoyenneté. On ne peut se satisfaire de la dénonciation du supposé «peu d’intérêt accordé à l’enseignement technique et professionnel». Notre école doit favoriser l’épanouissement de l’individu, le préparer au monde du travail et à l’exercice des responsabilités sociales et civiques. Nul besoin de magnifier certaines filières, d’indexer d’autres ou de vouloir raccourcir les formations pour les limiter aux besoins du marché. S’il est nécessaire de promouvoir l’acquisition du savoir-faire, il est illusoire de négliger le savoir-être ou le savoir. Aucune société ne s’est construite grâce aux seules petites mains. Aucune nation ne s’est structurée par le refus de former des clercs, en tournant le dos aux humanités. Aucun pays ne s’est bâti en marginalisant les grosses têtes.
Pratiquant le numerus clausus dans les facultés de médecine depuis 1971, la France entend y renoncer. D’abord en raison de l’inefficacité du système : de nombreux étudiants le contournent en s’expatriant, quitte s’acquitter d’onéreux frais de scolarité. Ensuite, du fait de la limitation du choix des spécialités. Enfin, au regard de la multiplication des déserts médicaux à travers l’Hexagone. Pourquoi le Gabon devrait-il adopter un système aux effets pervers connus de tous ? Veut-on réserver certaines filières aux seuls étudiants capables de s’expatrier, aux rejetons des plus fortunés ou des plus puissants ? Quel intérêt à vilipender l’enseignement général ? N’est-il pas plus judicieux de développer la formation continue ? Ne faut-il pas simplement construire des ponts entre l’enseignement général, d’une part, et l’enseignement technique et la formation professionnelle, d’autre part ? Demeurer fidèle aux principes et missions de l’école républicaine : il en va de l’intérêt de tous, citoyens, entreprises et Etat compris.