Si la notion d’«ordre public» a été dévoyée, il faut craindre le pire s’agissant des «bonnes mœurs». Pour assurer la protection de l’enfance, l’Etat doit définir des politiques, lois et procédures consensuelles, susceptibles de s’adapter aux évolutions de l’époque.
Comme la plupart des institutions, le gouvernement navigue en eaux troubles. Au nom d’un puritanisme d’un autre âge, il vient de s’adonner à la censure. Par un oukase inapproprié, il a installé la confusion entre morale individuelle et morale sociale. Affirmant lutter contre une supposée «dépravation généralisée des mœurs», il a enjoint les médias audiovisuels de cesser toute diffusion «d’émissions de télé-réalité et des clips musicaux dont les contenus heurtent la sensibilité des populations» (lire «La menace de Guy-Bertrand Mapangou»). Outrepassant son mandat, il a affirmé devoir «éduquer (les) citoyens, (…) en leur inculquant (les) valeurs morales», brandissant ensuite des dispositions du Code pénal. Autrement dit, la transmission de la culture nécessaire au développement de la personnalité et à l’intégration sociale relèverait désormais de l’État, précisément du ministère de la Communication ! Quel rôle alors pour la famille, l’école ou la société ?
Morale individuelle ou morale sociale
On aura beau se référer aux lois en vigueur. On pourra toujours évoquer la nécessité de promouvoir les «bonnes mœurs». Mais, personne n’arrivera à donner une définition juridique, unanimement acceptée, de cette notion. Dans un contexte où le droit est régulièrement malmené, on peut nourrir des craintes. Surtout au regard des connivences institutionnelles, mille fois dénoncées mais toujours entretenues. Déjà, une réalité saute aux yeux : «l’ordre public» a servi de justification à toutes les atteintes aux droits civils et politiques. On pense aux fréquentes interdictions de manifester ou à la répression systématique des regroupements de l’opposition. Or, «les bonnes mœurs» et «l’ordre public» constituent les deux faces d’une même pièce : l’une se rapporte à la vie privée et l’autre à l’intérêt général.
Si la notion d’»ordre public» a été dévoyée, il faut craindre le pire s’agissant des «bonnes mœurs». Du maniement de cette notion transparaît une idée simple et indicible : l’instauration d’un ordre moral. Certains parleront de lutte contre les pratiques déviantes. D’autres évoqueront la protection de la dignité humaine. Il s’en trouvera même pour affirmer la suprématie de la société sur l’individu. N’empêche, les «bonnes mœurs» ne peuvent se réduire à des considérations morales. Elles doivent tenir compte des réalités institutionnelles et évolutions sociologiques. En d’autres termes, elles procèdent de la morale sociale, c’est-à-dire des interactions entre l’individu, la famille, les institutions, l’Etat et la société civile. En se contentant de censurer des contenus jugés obscènes, le gouvernement s’est déporté sur le terrain de la morale individuelle. Tout en déniant aux parents la capacité de choisir les contenus pour leurs enfants, il a implicitement reconnu des manquements dans le fonctionnement des médias. A-t-il seulement songé à indiquer aux médias les règles applicables en matière de protection de l’enfance ? Quid de la classification des œuvres, de la signalétique jeunesse, des signaux d’indications d’âge ou des horaires de diffusion pour chaque type de programme ?
La marque de fabrique des régimes totalitaires
Les «bonnes mœurs» correspondent aux règles imposées par l’époque. Même si leur contenu prend racine dans la coutume, elles évoluent en fonction des mentalités et de l’environnement. Dans certains pays, les programmes érotiques sont proscrits entre 6 h30 et 22h30. Dans d’autres, les télévisions disposent de comités chargés de visionner les contenus. Ainsi, à chaque catégorie de programmes correspondent des horaires de diffusion. Selon les époques et les cultures, tout cela peut évoluer. C’est dire l’urgence d’une réflexion sur le régime de diffusion des programmes interdits aux mineurs. C’est aussi dire la nécessité d’établir des synergies entre la Haute autorité de l’audiovisuel (Hac), le gouvernement (ministères en charge de la Communication, de la Culture, de la Jeunesse, de la Justice, de l’Intérieur et de la Solidarité nationale notamment) et, la société civile.
Les excentricités de la chanteuse Créol réputées contraires aux valeurs morales et traditionnelles voire aux intérêts de l’enfance ? C’est de Guy-Bertrand Mapangou. Seulement, pour combattre une pratique, l’interdiction s’avère généralement inefficace voire contreproductive. Quand bien même certaines démocraties ont parfois succombé à cette tentation, la censure reste la marque de fabrique des régimes totalitaires. Pour assurer la protection de l’enfance, l’Etat doit définir des politiques, lois et procédures consensuelles, susceptibles de s’adapter aux évolutions de l’époque. Nul besoin de se confondre en décisions unilatérales. Faisant craindre une multiplication des atteintes aux libertés individuelles, la dernière injonction du ministre de la Communication ne saurait être saluée. Bien au contraire…