En établissant une corrélation entre les décisions de la juridiction constitutionnelle et l’exercice du droit de manifester, le ministre de l’Intérieur a pris le parti d’expliquer ses errements par les agissements d’autres institutions.
Lambert-Noël Matha a choisi la fuite en avant. Invité à assurer l’encadrement d’une marche pacifique initialement prévue aujourd’hui, il a demandé à ses interlocuteurs de «surseoir sine die (leur initiative) jusqu’au rendu de la décision de la Cour constitutionnelle» (lire «La marche du 13 août n’aura pas lieu»). Sous le même prétexte, tous les gouverneurs ont signifié leur refus aux représentations locales de Dynamique unitaire, du Syndicat des professionnels de la communication (Syprocom), du Syndicat national des agents du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative (Synafopra) et du Syndicat des agents du ministère des Transports et de l’Aviation civile (Samtac).
Justification des plus pittoresques
Si elle n’a pas surpris grand monde, l’attitude du ministre de l’Intérieur se comprend difficilement. Affirmant tenir compte des évolutions de l’heure, il refuse d’encadrer une marche pacifique. Tout en proclamant ne pas vouloir remettre en cause un droit constitutionnel, il s’oppose à son libre exercice. De prime abord, deux hypothèses s’imposent : soit l’esprit et la lettre de la loi sur les manifestations publiques lui sont étrangers, soit il entretient volontairement la confusion entre le régime de la déclaration et celui de l’autorisation. Seulement, au vu des circonvolutions rhétoriques usitées, sa réponse ressemble à une dérobade. On peine encore à en cerner les fondements juridiques. On se demande toujours quand et par quel moyen les syndicats lui ont-ils demandé une autorisation de marcher. Au-delà, on cherche à comprendre la corrélation entre les décisions de la Cour constitutionnelle et le respect de principes consacrés par la Constitution.
Peu importent les précautions de style, Lambert Noël Matha ne se démarque guère de ses prédécesseurs. Comme par réflexe skinnerien, il cherche à brider les libertés publiques, s’enferrant même dans une justification des plus pittoresques. Certes, la Cour constitutionnelle se prévaut d’une fonction de «régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics». Certes, elle a été saisie pour statuer sur la validité de l’ordonnance portant modification, suppression et complétant certaines dispositions du statut général de la Fonction publique (lire «Invitation à la mutation»). N’empêche, cela ne saurait justifier des atteintes aux droits civils et politiques. Traduction du droit à la liberté d’expression, à la liberté de réunion et à la liberté d’association, les manifestations publiques soulignent le degré d’avancement d’une démocratie. Elles permettent aux pouvoirs publics d’expliciter leur compréhension des notions d’»ordre public» et de «bonnes mœurs». Était-ce l’objectif visé ? Nul ne peut le croire.
Relation de causalité
Volens nolens, la Cour constitutionnelle ne sort nullement grandie de cette décision. Par-dessus tout, son rôle et ses missions paraissent désormais extensibles à souhait. Accusée de se poser en «régente», de s’accaparer les pouvoirs du président de la République et même d’usurper la souveraineté du peuple, son image s’en trouve davantage brouillée. Avait-elle besoin de ça ? Pas sûr.Sur ce coup, le ministère de l’Intérieur s’est simplement défaussé sur elle. Garant de l’ordre public, il s’est dégagé de toute responsabilité. Chargé, entre autres, d’assurer la promotion des bonnes mœurs, il a botté en touche. En agissant ainsi, il a transformé la Cour constitutionnelle en caution de ses foucades et errements. Pour attester de sa bonne foi, il l’a livrée en gage. Désormais, la décision de Marie-Madeleine Mborantsuo sera analysée à la lumière des agissements de Lambert Noël Matha. Personne ne pourra faire reproche aux agents publics d’établir une relation de causalité. Était-ce vraiment nécessaire ?
Le ministre de l’Intérieur vient de jeter une pierre dans le jardin de la Cour constitutionnelle. Sa manière d’établir un lien entre son travail et celui d’une autre institution en dit long sur les cafouillages au sein de l’appareil d’État. Elle relève aussi les connivences et liaisons d’un autre âge toujours en vigueur. Même s’il se défendra de toute immixtion dans les affaires de la juridiction constitutionnelle, Lambert Noël Matha vient de lui retirer la possibilité d’agir avec impartialité et équité, éléments essentiels du fonctionnement de la justice. Dos au mur,la Cour constitutionnelle doit maintenant faire face.