PARIS - Dans ses relations fortes avec l'Afrique, la France voudrait désormais voir les Africains gérer eux-mêmes leur destin et n'apparaître qu'"en appui" de l'Union africaine. Mais lors des crises, l'ex-puissance coloniale demeure encore et toujours en première ligne. Paris, qui accueille en fin de semaine un sommet franco-africain, met l'accent sur le développement, indissociable de la sécurité. "Les Allemands, les Scandinaves disent +plus d'argent pour le développement, pas pour la guerre+. Nous, nous disons +pas de développement sans sécurité+", souligne un diplomate français sous anonymat. Il faut "une vision large de la sécurité qui ne se limite pas à l'intervention armée, qui ne doit être pour nous que l'ultime recours", insiste le chef de la diplomatie, Laurent Fabius. La France a toutefois "beaucoup de mal à ne plus s'engager militairement", note Aline Leboeuf, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).
D'une part, elle est "poussée à intervenir" par "une certaine vision de ses responsabilités et de son engagement moral à protéger les civils". D'autre part, "même si Paris a une réelle volonté de rester au second plan et de soutenir un cadre multilatéral, des acteurs s'attendent à ce qu'elle intervienne".
Pour l'Afrique, "il y a un partage des rôles", admet le diplomate interrogé: "le Mali c'était notre affaire, le Soudan celle des Américains, la Somalie celle des Britanniques. Et pour les Britanniques et les Américains, la Centrafrique, c'est pour les Français. Mais ce n'est pas nous qui allons faire le travail en Centrafrique, nous allons aider l'Afrique à le faire", promet-il.
"Une fois pour toutes, c'est fini l'opération Barracuda !", ajoute-t-il en évoquant le nom d'une intervention de parachutistes français en 1979 pour renverser l'empereur centrafricain Bokassa.
La fin de la Guerre froide, au début des années 90, a sonné le glas de la France "gendarme" de l'Afrique: le temps des interventions militaires unilatérales pour faire ou défaire des régimes africains semble révolu.
Depuis les années 2000, la France agit dans un cadre multilatéral, aux côtés de forces africaines ou onusiennes, pour rétablir la paix. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012), les accords de défense avec les anciennes colonies ont été renégociés pour bannir les dérives du passé.
De la coopération au développement
Pour Hélène Quénot-Suarez, chargée avec Aline Leboeuf, d'une étude à l'Ifri sur le sujet, la gestion Hollande a provoqué "une vraie rupture de style, avec par exemple une volonté forte d'assainissement des pratiques, comme le refus affiché de +visiteurs du soir+ à l'Elysée et du lobbying". Même s'il y a aussi "des continuités qui montrent que l'Afrique reste très importante pour la France".
La "philosophie qui est la nôtre d'un partenariat avec les Africains n'est pas la même" que celle du discours de Dakar de 2007 de Nicolas Sarkozy, critiqué pour ses accents paternalistes, souligne Laurent Fabius. Son ministère parle d'une "vision optimiste" de l'Afrique, "d'une foi dans son potentiel, sa jeunesse" et aussi d'une approche "globale" du continent, pas seulement de sa partie francophone.
L'ex-ministère de la Coopération, devenu celui du Développement, a élargi son champ d'action. Il défend dans les instances internationales les pays en développement face aux multinationales et cherche à renforcer la lutte contre la corruption et la transparence des transferts financiers dans les directives européennes.
Antoine Glaser, expert des questions africaines, tempère toutefois les élans d'auto-satisfaction sur une relation franco-africaine transformée.
"Depuis la chute du mur de Berlin (1989), chaque président de gauche ou de droite, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, ont parlé de rupture, de changement de direction. Dans les faits, il n'y a pas de +nouvelle+ politique. La politique africaine de la France, c'est toujours celle des militaires français", dit-il.
Cette politique qui oscille entre "accent sur les valeurs" et "Realpolitik" "n'est pas claire du tout", déplore un diplomate africain sous couvert d'anonymat. Il faut "une relation plus franche", "débarrassée des scories (fautes de frappe) du passé", avec une France assumant "pleinement ses intérêts", demande un autre diplomate africain.