Après l’opération «bons de caisse», de nombreux doutes subsistent.
C’était la dernière trouvaille à la mode. Présentée comme une idée de génie, elle devait lancer le processus d’assainissement des finances publiques. Mais, à l’heure du bilan, de nombreux doutes subsistent. L’opération «bons de caisse» a-t-elle permis de se faire une meilleure idée des effectifs ? Rien ne le prouve. A-t-elle jeté les bases d’une maîtrise de la masse salariale ? Nul ne peut l’affirmer. Bien au contraire, de précisions en ajustements, des ajustements aux oukases, le gouvernement laisse l’impression de naviguer en eaux troubles. Le mécanisme de mise en œuvre suscite colère et railleries. Les dépenses occasionnées nourrissent critiques et réserves. Au total, la pertinence de la mesure semble remise en cause, y compris par ses initiateurs.
Débat sur l’absentéisme
Entamée le 17 du mois en cours, la distribution des bons de caisse s’est déroulée dans une ambiance cauchemardesque, quasi apocalyptique. Entre les sept sites retenus, les ministères et les banques, les agents publics ont fait des pieds et des mains pour entrer en possession de leurs salaires. Naturellement, des problèmes de tous ordres sont apparus. Outre les interminables queues, la cohue et les humiliations, il fallait faire avec les humeurs des agents commis à la tâche. Entre les insuffisances en fournitures (formulaire, encre…) et les lourdeurs bureaucratiques, il fallait accepter d’avaler des couleuvres. Malgré l’indignation générale, le gouvernement a pris sur lui d’arriver au bout du processus, quitte à paralyser l’administration. Seulement, au terme de l’opération, il ne semble guère satisfait des résultats. Exprimant ses «doutes évidents», il a même annoncé la mise en place d’un système de pointage quotidien. Surréaliste !
Pourtant, l’administration centrale est régie par la loi, notamment le statut général et le code de déontologie de la Fonction publique. Si l’agent public a des devoirs et obligations, il jouit aussi de droits et garanties. Il en va de même pour l’Etat-employeur. Dans le débat sur l’absentéisme, la puissance publique ne peut s’exonérer de toute responsabilité. Sauf à se défausser à grand frais ou à promouvoir l’irresponsabilité. Après tout, le recrutement, l’affectation, la mutation et la mise en place du cadre de travail lui incombent. Au lieu d’inciter les citoyens à la délation, il ferait mieux de dépolitiser l’administration. Au lieu de réfléchir à la mise en place d’un numéro vert, il devrait se garder d’écarter des agents en raison de leurs opinions. Au lieu de recourir aux fiches d’émargement, il gagnerait à réfléchir au redéploiement et à la mobilité des personnels.
Paresse intellectuelle
Pour la sérénité au sein de l’administration et même de la société, la délation ne sera jamais une pratique recommandable. Empiriquement, elle a toujours été motivée par l’envie de nuire à autrui. Trop souvent, elle s’est appuyée sur une méconnaissance totale du contexte. Parfois, elle a induit les bénéficiaires en erreur, donnant ainsi au présumé fautif des raisons de saisir les juridictions. On ne peut prétendre assainir les finances publiques ou dégraisser la Fonction publique en misant sur l’aigreur des uns ou les ragots de comptoirs véhiculés par les autres. En charge de la permanence de l’administration, les fonctionnaires ne sont pas liés à leur employeur par un contrat. Garants de la continuité du service public, leurs devoirs correspondent aux droits des usagers. S’ils ont un rôle déterminant dans la mise en œuvre des politiques publiques, ils participent tout autant à la défense de l’intérêt général ou au maintien de la cohésion sociale. Peu importent les discours d’emprunt, la réduction de la dépense publique ne peut se faire contre eux. Faute de l’admettre, cet objectif restera incantatoire.
La réduction des charges de l’Etat passe par une réflexion stratégique et non par des mesures cosmétiques, mille fois essayées : il faut préalablement définir les politiques publiques pour en améliorer la gestion. Sous d’autres cieux, on a parlé de modernisation de l’action de l’Etat, de révision générale des politiques publiques ou de nouvelle gestion publique. Même si les résultats n’ont pas toujours été de même ampleur, des avancées ont été enregistrées partout. Pourquoi le Gabon serait-il incapable d’un tel exercice ? Par paresse intellectuelle ou par soumission aux institutions de Bretton Woods ? Déjà, de nombreuses forces sociales ont formulé des contre-propositions. Généralement sous-tendues par une exigence de responsabilité, elles contredisent le diagnostic et les solutions proposés. N’empêche, incapable d’arrêter son équipée solitaire, le gouvernement poursuit sur sa lancée, se transformant ainsi en caisse de résonance de la novlangue ultra-libérale.