Sont-ils encore troublés par la décision du Conseil d’Etat ? Sont-ils convaincus de ce que leur indépendance a été remise en cause ? En tout cas, ils n’étaient que douze à l’assemblée générale de leur corporation, le 21 juin dernier dans la salle d’audience civile du Tribunal de Libreville.
Autant le dire tout de suite : ça commence mal pour Me Norbert Issialh. Désigné Bâtonnier intérimaire au début du mois finissant pour organiser de nouvelles élections dans «un délai de deux mois», c’est-à-dire en août prochain, Norbert Issialh a convoqué une assemblée générale à laquelle la quasi-totalité des avocats a refusé d’assister. N’étant que 12, ils ne se sont, en tout cas, pas bousculés au portillon le 21 juin dernier. Bien que le quorum n’ait pas été atteint, la réunion s’est tout de même tenue.
Le Bâtonnier intérimaire a tenu, à cette occasion, à se présenter à ses confrères. Puis, il a annoncé l’ordre du jour qui portait non pas sur les modalités d’organisation du prochain scrutin (liste électorale, cotisations, déroulement du scrutin), comme le lui a fixé le premier Président du Conseil d’Etat, Martin Akendengué, mais sur «la longue grève des magistrats, suivie de celle des greffiers, et ses conséquences sur l’activité quotidienne des avocats». Mieux, Norbert Issialh a informé l’assistance de sa décision de demander au Conseil d’Etat une période de transition de six mois – donc jusqu’en janvier 2019 – en lieu et place des deux mois décidés par la haute juridiction administrative. Il veut un long bail ! Quelques remous s’en sont alors suivis dans la salle parmi la douzaine d’avocats ayant accepté son invitation et venus l’écouter sagement.
Connu pour sa tempérance, son sens du respect des textes et son engagement pour l’indépendance du Barreau, Me Norbert Issialh qui, lui-même, avait été élu Bâtonnier il y a quelques années, a surpris par sa nouvelle posture. S’ils l’ont écouté religieusement et avec courtoisie dans la salle, certains avocats se sont toutefois montrés plus loquaces à la fin de la réunion. «Nous espérons, a dit l’un d’entre eux, que Me Issialh ne souhaite pas avoir plus de temps pour trouver un candidat malléable qu’il soutiendrait face à Me Lubin Ntoutoume». Pour un autre, «la demande de changement de la durée de la transition qu’il compte faire peut amener à croire qu’un complot se trame contre Me Ntoutoume, mais nous refusons que le Barreau, le Conseil de l’Ordre des Avocats, soit à la botte du pouvoir ; Norbert Issialh est sorti des missions qui lui ont été fixées, il veut maintenant gérer le Barreau jusqu’au moins en janvier 2019». D’autres encore n’hésitent pas à croire qu’il est devenu l’un des éléments-clés du complot contre l’indépendance du Barreau et du Bâtonnier élu.
De nombreux observateurs espèrent que Norbert Issialh va reconsidérer sa position et se conformer aux deux mois d’intérim lui ayant été fixés. Ils espèrent surtout que la prochaine élection sera transparente et qu’elle permettra à l’Ordre des avocats de consolider sa cohésion et son unité. «Même si les craintes d’un Barreau non apaisé sont dans tous les esprits, le grand Bâtonnier qu’il a été, le moralisateur de notre profession qu’il était, doit nous assurer des lendemains sereins ; la transition doit durer deux mois, qu’il s’y tienne !», souligne un autre.
Norbert Issialh devra avoir la diplomatie, la concertation permanente, au cœur de ses priorités. A lui de venir à bout des réticences, des hésitations et des murmures. Joint par Gabonreview après cette assemblée générale, Me Lubin Ntoutoume n’a pas souhaité réagir à tout cela. Un mutisme plutôt déconcertant. La crise au sein du Barreau est-elle plus grave qu’on ne le croit ?