Au vu des positionnements idéologiques des personnalités désignées par les pouvoirs publics, l’élection de Timothée Memey et Abel Mimongo visait à faire contrepoids. Pour les hommes de presse, il fallait prévenir la transformation de la Haute autorité de la communication (Hac) en «police de la pensée».
A la surprise générale, Timothée Memey et Abel Mimongo ont été élus, le 9 juin courant, membres de la Haute autorité de la communication (Hac). Pendant les cinq prochaines années, ils représenteront leur corporation au sein de cette instance. Comme s’ils entendaient envoyer un message, les communicateurs ont porté leur choix sur deux baroudeurs de la presse privée, passés d’un journalisme de combat à un autre un peu plus arrangeant. Comme s’ils espéraient rééquilibrer les choses, ils ont choisi deux esprits libres au caractère bien trempé. Comme s’ils avaient à cœur de compenser la faiblesse numérique par une certaine qualité, ils ont opté pour deux fortes personnalités, habituées des débats contradictoires et luttes d’influence (lire «Mimongo et Memey, auditionnés par l’AGPSI»).
Doutes, craintes et inquiétudes
Personne n’a vu le coup venir. Pas grand monde ne croyait en la capacité de ces deux-là de s’imposer. Face aux neuf autres candidats, ils ont enjambé les écueils, battant en brèche bien de préjugés. Au culot et avec un certain panache, ils ont construit un réseau de soutiens. Conscients de leur complémentarité si ce n’est de leur complicité, ils ont très vite échafaudé une stratégie de conquête. Aux craintes sourdement exprimées, ils ont promis opposer leur pugnacité. A la quête d’indépendance, ils ont dit vouloir donner de la résonance, l’inscrivant dans «une dynamique de défense des droits humains». A en croire Abel Mimongo, par leur double candidature, ils ont accepté de «porter la charge de faire avancer la liberté de presse». Est-elle réellement menacée ? En tout cas, les identités des personnalités désignées par les pouvoirs publics ont suscité doutes, craintes et inquiétudes parmi les praticiens de la profession de journaliste.
Loin de tout procès d’intention, le choix d’un conseiller du président de la République comme président de la HAC n’a pas été du meilleur effet. Il a laissé croire en une volonté de caporaliser la presse, faisant craindre le pire. Dans les coulisses, chacun y est allé de son commentaire. Certains ont dit redouter de se voir dicter des articles. D’autres ont évoqué le spectre de faillites consécutives à de trop fortes amendes ou de trop longues suspensions. Il y en a même eu pour prédire des interdictions définitives. Conscients de ces inquiétudes, les deux futurs vainqueurs ont choisi d’y apporter une réponse. «Il faut un régime de sanction clair, conçu de façon consensuelle et connu de tout le monde», a plaidé Abel Mimongo dans sa profession de foi. Par cette proposition, il ne répondait pas seulement à une crainte largement exprimée. Il prenait aussi l’engagement de ne pas donner libre cours au zèle partisan. Surtout, il annonçait son intention d’œuvre pour contenir la Hac dans des limites préalablement identifiées.
Interrogations légitimes
L’élection de Timothée Memey et Abel Mimongo atteste d’une évidence : quand ils sont sollicités, les hommes de presse choisissent toujours des personnalités réputées pour leur indépendance d’esprit. Comme en 1992 avec François Ondo Edou, ils ont essayé de contrebalancer les nominations effectuées en Conseil des ministres. Si l’actuel vice-président de l’Union nationale (UN) était alors rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Bûcheron, les deux nouveaux membres de la Hac sont passés par Le Progressiste – organe du Parti gabonais du progrès (PGP) -, avant d’exercer leur talent à Misamu pour finir respectivement à Africa n°1 et L’Union. Malgré les pressions, ils ne sont jamais laissé gagner par la bien-pensance. Abel Mimongo n’est-il pas passé du service Politique à la page Sport du quotidien national ? Cette migration interne en dit long sur ses idées, sa conception du métier et sa capacité d’adaptation. Comme son compère Timothée Memey, il lui appartient désormais de faire montre d’intégrité, de tolérance et de responsabilité.
Avec l’élection de Timothée Memey et Abel Mimongo, les hommes de presse espéraient construire une digue contre la pensée unique. Ils ont voulu prévenir la transformation de la Hac en une «police de la pensée». Ils ont essayé d’ériger un rempart contre le politiquement correct, le conformisme et le totalitarisme. Cette option a été rendue nécessaire par l’opacité du processus de nomination des sept autres membres. Après tout, le président de l’Assemblée nationale ne devait-il pas en désigner deux ? Or, depuis le 30 avril dernier, notre pays fonctionne sans première chambre du Parlement. Dès lors, toutes les interrogations deviennent légitimes. Pourquoi fallait-il absolument y aller dès maintenant ? Ne pouvait-on pas attendre la fin des prochaines législatives, quitte à laisser le Conseil national de la communication (CNC) en place ? Y a-t-il un agenda caché ? En plus des carrières et positionnements idéologiques des personnalités désignées par les pouvoirs publics, les hommes de presse ont eu toutes les raisons de nourrir des craintes pour l’avenir. Du coup, leur choix a été guidé par l’indépendance d’esprit et la pugnacité des candidats en lice. Aux élus de se montrer dignes de cette confiance. Au eux d’être à la hauteur des espoirs de leurs confrères.