Ni les enjeux, ni les contraintes et encore moins les séquences de leur initiative n’ont été énoncées par les «Notables de la République».
En politique, les concepts peuvent très vite devenir de fausses bonnes idées. Surtout quand la recherche d’originalité et l’envie de séduire prennent le pas sur l’analyse froide et méthodique. Au lendemain de la présidentielle de décembre 93, on évoqua la «Paix des braves» sans préalablement identifier vainqueurs et vaincus. Tout cela déboucha sur la duperie des «Accords de Paris». Suite à la contestation des résultats de la présidentielle de décembre 2005, on vanta les vertus du dialogue, sans se soucier du statut juridique de telles assises. Tout cela accoucha des anecdotiques «Accords d’Arambo». Il pourrait en être de même avec la «réconciliation nationale». Ressassée et triturée depuis la fin de la présidentielle d’août 2016, cette notion vient d’être remise au goût du jour par un quarteron de «Notables de la République» (lire «Appel à la réconciliation nationale»). Comme on pouvait le pressentir, tout cela a pris les allures d’une bouteille à la mer. Ni les enjeux, ni les contraintes et encore moins les séquences n’ont été énoncées.
Primat de la justice
Dans cette démarche, il y a comme un air d’improvisation. L’invite à la réconciliation nationale procède d’une simple rhétorique. Elle peut être assimilée à de la gesticulation sans lendemain. Cette notion si galvaudée a pourtant déjà été théorisée. Elle correspond à un processus aux fondamentaux connus : vérité, justice, réparation et réformes institutionnelles. Si elle entend écarter la menace révisionniste, elle veut conjurer le péril négationniste (lire «Entre exigence de justice et nécessité de stabilité»). Au-delà, elle érige le pardon en moyen de sortie de la violence. Pour tout dire, une telle initiative vise non pas à écarter le spectre d’une «guerre civile» ou à panacher les conclusions d’assises aux relents partisans, mais à régler les différends du passé sans mettre en péril le processus démocratique. Est-ce l’objectif poursuivi par les «Notables de la République» ? La réaffirmation du primat de la justice aurait, peut-être, permis de le croire. Mais il n’en a rien été. Paul Mba Abessole et ses amis ont repris une recette éculée : les concertations politiciennes comme moyen de règlement des différends politiques. Ils ont évoqué la nécessité de «bâtir un système démocratique humaniste et participatif». Mais, ils n’ont pas eu le courage d’exiger la lumière sur les errements du passé.
Comme d’autres avant eux (lire «L’opposition modérée pour une réconciliation nationale»), les «Notables de la République» ont occulté le rôle des gouvernants dans la récurrence des crises post-électorales, faisant ainsi fi du principe de responsabilité. Du coup leur proposition apparaît, non pas comme un pont entre la justice et la politique mais, comme une bouée de sauvetage pour le pouvoir en place. Au sein de l’opinion, railleries, ricanements et condamnations se font déjà entendre. Dommage… Depuis 1993, les bilans des émeutes post-électorales sont sujets à controverse. Pour de nombreux observateurs, trop de sang a impunément et systématiquement coulé après les joutes électorales (lire «Une démocratie meurtrière»). Au pouvoir depuis un demi-siècle maintenant, le Parti démocratique gabonais (PDG) est pointé du doigt. Avec lui, les institutions de la République, notamment l’armée et la Cour constitutionnelle. Vu sous cet angle, Paul Mba Abessole et ses amis ont eu tort de passer les responsabilités par pertes et profits. Personne ne leur demande de désigner des citoyens ou des institutions à la vindicte populaire. On leur reproche simplement de n’avoir pas établi le lien entre justice et réconciliation nationale.
Un Pacte de l’oubli ?
S’ils avaient placé la justice au centre de leur démarche, les «Notables de la République» auraient sans doute fait œuvre utile. Autrement dit, avant de formuler leur proposition, ils auraient gagné à mieux analyser la notion de «réconciliation nationale». Ils auraient dû réfléchir aux conséquences de l’impunité. Ils auraient pu songer aux dégâts d’un éventuel pacte de l’oubli, sorte d’amnistie-amnésie censée conduire à la cicatrisation des blessures du passé. Sur ce point, des références et éléments de comparaison existent. En Amérique latine, en Afrique et même en Europe, les exemples sont nombreux. Partout, les mêmes préalables s’imposent d’eux-mêmes : identification des victimes, clarification des responsabilités, choix de l’option pénale, refus d’une justice à la carte, adoption du principe de réparation et, réformes structurelles. Reposant sur l’émotion et des considérations différentes de celles universellement admises, la proposition de Paul Mba Abessole est condamnée d’avance. La «réconciliation nationale» ne saurait reposer sur la seule peur du lendemain. Elle doit s’inscrire dans un processus. Elle doit partir d’une analyse froide du passé. Par-dessus tout, elle ne peut se faire au détriment de la justice.