Joint au téléphone par Gabonreview, le secrétaire général de Veolia est revenu sur les contours de l’affaire opposant son groupe à l’Etat gabonais. «Un manque de sérieux» de l’Etat gabonais à en croire Helman le Pas de Sécheval.
Gabonreview : Que répondez-vous aux accusations de l’Etat gabonais ayant motivé la réquisition de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) ?
Helman le Pas de Sécheval : L’Etat gabonais nous a d’abord expliqué que c’était une rupture normale de contrat. Et, finalement, il a changé d’avis en disant qu’il reste à finaliser la rupture contractuelle avec Veolia. Ensuite, il nous a été expliqué que c’était Veolia qui avait quitté la table des négociations. Nous disons, pas du tout ! Au contraire, nous avons plusieurs fois relancé le gouvernement gabonais suite à la reconduction de notre contrat, l’année dernière, et pour le transformer de contrat de concession en contrat d’affermage. Ensuite, l’Etat gabonais a dit que nous n’avons pas assez investi. Nous avons rappelé quels étaient les termes du contrat de concession élaborés sous l’égide de la Banque mondiale il y a 21 ans, en 1997.
Celui-ci prévoyait que Veolia devait injecter 100 milliards de francs CFA d’investissements dans les infrastructures de distribution de l’eau et de l’électricité. Par rapport à cette exigence du contrat, nous avons investi presque quatre fois plus. Soit 366 milliards de francs CFA en 20 ans. Ensuite, le gouvernement gabonais a affirmé que Veolia veut geler ses investissements dans toute l’Afrique. Ce que nous avons immédiatement démenti en disant que c’est inexact. Veolia a l’intention, comme il l’a fait dans le contrat de concession gabonais, de faire tous les investissements qui sont convenus avec ses clients dans tous les pays où nous travaillons.
Et puis enfin, après 15 jours, à notre stupéfaction, nous avons vu le gouvernement gabonais nous accuser de pollution de l’environnement, dans des sites où nous opérons. C’est très curieux que l’Etat ait évoqué cette raison 15 jours après avoir réquisitionné la SEEG. Si c’était la véritable raison, il fallait nous le dire tout de suite. Nous disons tout de go que cet argument n’est pas crédible. Comme vous le savez, Veolia possède 51% de la SEEG, 49% sont détenus par des entreprises gabonaises et par des particuliers gabonais. Une partie du capital est également détenue par le gouvernement gabonais. Au titre de cette participation au capital, depuis l’origine, le gouvernement gabonais a deux représentants au conseil d’administration de Veolia.
Régis Immongault, l’actuel ministre de l’Economie, a reconnu lui-même, il y a quelques jours, avoir siégé pendant deux ans, de 2007 à 2009, au conseil d’administration de la SEEG. Bien entendu, le gouvernement a été en mesure, grâce à cette participation au conseil d’administration, de poser toutes les questions qu’il voulait ; de demander tous les audits qui avaient été faits dans le cadre de la concession, de demander des audits supplémentaires, pour savoir s’il y avait eu le moindre sujet de pollution au cours de ces 20 dernières années. Alors que jamais ce sujet n’a été évoqué par les représentants de l’Etat gabonais, curieusement, 15 jours après la réquisition brutale de la SEEG, on nous met cet argument en avant. Tout ceci n’est pas très sérieux.
Veolia a-t-il quitté la table des négociations, comme l’affirme l’Etat gabonais ?
Jamais ! Bien au contraire. Nous avons à plusieurs reprises appelé le gouvernement gabonais à se mettre autour de la table, pour pouvoir négocier la transformation du contrat de concession en contrat d’affermage. Il nous a répondu par le silence. Nous comprenons mieux pourquoi aujourd’hui.
Que dites-vous du contrat de financement des infrastructures nécessaires au projet de densification des réseaux d’électricité en zone rurale, un document non signé par la SEEG ?
Apparemment, certains avaient décidé de faire un contrat, pardon pour l’expression, dans le dos de Veolia, sans nous prévenir. Et, ensuite, de nous demander de signer ce contrat, nous mettant devant le fait accompli. Veolia n’ayant pas été à la table des négociations sur ce contrat, on lui a juste demandé de signer. A la fin, il n’a pas signé ce contrat.
Qu’espérez-vous en portant l’affaire devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) ?
Le Cirdi est une instance arbitrale, qui est là pour régler les différends, généralement entre une entreprise étrangère et un Etat. D’abord, pourquoi le Cirdi ? Parce que c’est ce qui est prévu dans le contrat de concession. Vous savez que nous reprochons à l’Etat gabonais de mettre en œuvre des méthodes illégales. Dans le contrat que nous avons signé, il y a 20 ans, il était prévu qu’en cas de désaccord, le ou les désaccords se porteraient devant le Cirdi. Ensuite, qu’est-ce que nous attendons ? Il y a deux phases. La première est généralement assez courte, mais dépend beaucoup de l’attitude du gouvernement gabonais. Il s’agit en quelque sorte d’une phase dite de conciliation. En quelque sorte, nous avons déposé nos plaintes, nos griefs devant le Cirdi qui va se retourner vers le gouvernement gabonais et lui demander s’il souhaite essayer de trouver une entente, une porte de sortie par le biais de la conciliation. S’il accepte, les choses pourraient aller rapidement, s’il refuse, alors nous poursuivront la procédure. C’est la phase 2, une procédure dite de contentieux. Et là, il y aura un jugement qui sera rendu à la fin par le Cirdi. Cette procédure est beaucoup plus longue parce qu’elle nécessite des expertises, s’entretenir avec les parties de manière plus approfondie. Et cela peut prendre plusieurs années.
Confirmez-vous l’information selon laquelle vous vous êtes attachés les services du cabinet juridique américain, Mayer Brown, pour attaquer l’Etat gabonais en justice ?
Nous avons effectivement mandaté le cabinet Mayer Brown. Mais, à ce stade, pour étudier toutes les voies de recours possibles pour faire valoir nos droits. A ce jour, c’est ce cabinet qui a déposé, en notre nom, la plainte au Cirdi. C’est une institution basée à Washington, puisque c’est dans l’orbite de la Banque mondiale. L’idée de prendre un cabinet américain et de Washington pour déposer cette plainte est quelque chose de très logique et de classique.
L’ambassadeur de France au Gabon, Dominique Renaux, a appelé au calme et à la conciliation. Votre avis ?
Nous sommes heureux de voir que l’ambassadeur et nous-mêmes appelons à la conciliation. Nous avons fait cette demande de conciliation devant le Cirdi et j’espère que le gouvernement gabonais ira dans ce sens. Mais son attitude depuis trois semaines ne nous donne pas grande confiance.
Pourquoi le contrat de concession entre l’Etat gabonais et la SEEG est-il gardé secret ?
En ce qui nous concerne, c’est un peu délicat. On ne rend pas public tous nos contrats. Surtout lorsqu’on est en train de faire interpréter, par une instance arbitrale, le contenu de ce contrat pour répondre à toutes les accusations du gouvernement gabonais. Est-ce que nous avons fait des investissements, etc. C’est la raison pour laquelle, à ce stade, il n’a pas été rendu public. Il est bien évidement tenu à la disposition de toutes les instances arbitrales, la justice, etc.
Tout de même, cette affaire a commencé avec une manifestation liée la mauvaise qualité de service d’eau et d’électricité au Gabon…
Nous ne nions pas qu’il y a eu de petits problèmes de qualité dans la distribution d’eau et d’électricité. Le tout est de savoir à qui incombe la responsabilité de ces défauts de qualité. Comme je l’ai dit, dans le contrat de concession, nous avions toute la partie de la distribution. D’ailleurs, nous avions un monopole sur la distribution d’eau, mais pas de monopole sur la distribution d’électricité. Nous n’avons géré que les infrastructures qui nous avaient été concédées, mais il y en a d’autres qui sont concurrentes. La partie du gouvernement gabonais c’était de faire tous les investissements en matière de production. Production d’électricité avec les barrages, des centrales et production d’eau avec des usines de production d’eau. Ce que nous disons, c’est que le gouvernement gabonais n’a pas fait sa partie du contrat en matière d’investissements de production. A plusieurs reprises, nous avons attiré son attention. En 2011, en 2015, en 2016, sur le fait que quand une usine arrive à saturation, à la capacité maximale, c’est impossible de produire plus d’eau ou plus d’électricité avec cette usine. Et que si on ne fait pas ces investissements d’infrastructures de production, alors, oui, il y a des coupures d’eau, oui, il y a des coupures d’électricité, oui, il y a des délestages. Et d’ailleurs, si vous voulez notre interprétation aujourd’hui, pourquoi est-ce que le gouvernement gabonais a procédé à cette expropriation ? C’est sans doute parce qu’il sent que les manifestations des populations pourraient se retourner contre lui, à quelques semaines des élections législatives et qu’il a voulu se trouver un bouc émissaire en la personne de la SEEG et de son actionnaire majoritaire Veolia, plutôt que d’assumer ses propres responsabilités.
Y a-t-il un point sur lequel vous aimeriez réagir et que nous n’avons pas abordé dans cet échange?
Puisque vous êtes un journal gabonais, j’aimerais vous dire à quel point nos pensées vont vers nos 2000 collaborateurs, mais au-delà de ça, tous nos clients. La SEEG a le sentiment d’avoir bien fait son travail depuis 20 ans. On a triplé le nombre de Gabonais raccordés au réseau d’eau et au réseau d’électricité. Nous avons atteint très rapidement, au trois quarts du contrat de concession, plus de 89% de Gabonais à l’électricité, plus de 92% à l’eau. On a le sentiment de bien faire notre travail. Nous pensons que l’action menée par le gouvernement gabonais est un très mauvais signal envoyé à l’ensemble des investisseurs internationaux. Pas seulement au Gabon, mais aussi en Afrique. Lorsqu’on traite des partenaires de cette manière, ça n’attire évidemment pas ceux qui pourraient venir se substituer à nous. Se conduire ainsi envers une entreprise qui, en moins de 15 ans, a conduit le Gabon à être parmi les cinq premiers pays du continent africain pour le raccordement de ses populations à l’eau et à l’électricité, est un signal extrêmement négatif. Au-delà des ennuis pour Veolia, nous sommes très contrariés pour les consommateurs d’eau et d’électricité gabonais.