Seule la publication du contrat peut permettre de conjurer le spectre d’arrangements futurs dans le dos du peuple.
L’affaire opposant l’Etat gabonais à l’entreprise française Veolia est encore loin de son épilogue. Après un florilège d’accusations mutuelles, de dénégations réciproques, on assiste à un élargissement du nombre d’acteurs impliqués. Entre la banalité de l’information blanche et les indiscrétions de l’information grise, tous les artifices de l’intelligence sociale sont mis à contribution. Concrètement, à coups de supposées révélations, chacune des parties en conflit essaie de s’attirer la sympathie de l’opinion. N’empêche, aucune d’elles n’a l’honnêteté d’aborder la question de fond : le contenu exact du contrat de concession, signé il y a plus de 20 ans et, renouvelé, il y a moins d’une année, pour une durée de cinq ans (lire «On a choisi le moindre mal» ). L’actuel ministre de l’Energie a beau faire part de l’intention du gouvernement de passer de la concession à l’affermage (lire «Les explications de Patrick Eyogo Edzang» ), de nombreuses zones d’ombre subsistent.
Points essentiels
Volontairement entretenu, ce silence sur les clauses contractuelles ne facilite nullement la compréhension des enjeux. Bien au contraire, il brouille les cartes et suscite tous les doutes. Les objectifs, le mécanisme de partage des bénéfices, la répartition des responsabilités et les modalités de gestion des risques demeurent des inconnues. En évitant de clarifier ces points, le gouvernement nourrit la suspicion quant à ses réelles intentions. En les éludant, Veolia légitime la défiance d’une opinion publique exaspérée par la mauvaise qualité du service au client. Les uns pourront toujours en appeler au patriotisme, affirmer œuvrer à la satisfaction des attentes des populations, leur discours se fracassera inévitablement contre ce désir de transparence. Les autres pourront toujours s’abriter derrière la loi, regretter des atteintes à l’Etat de droit, leur propos se heurtera systématiquement à cette demande d’information.
Pour gagner la confiance de l’opinion, les deux protagonistes ont de gros efforts à faire. En tout cas, ils ont l’obligation de faciliter l’accès à l’information. Lors de la signature du contrat initial, le processus d’appel d’offres fut-il mené conformément à la législation en vigueur ? Les différentes phases de la concession ont-elles été froidement analysées au moment du renouvellement ? Dans l’une ou l’autre des étapes, les besoins d’opération et de maintenance furent-ils évalués ? Les risques opérationnels, c’est-à-dire les pertes pouvant survenir à la suite de défaillances internes ou d’événements externes, furent-ils estimés ? Autrement dit, les risques environnementaux, sociaux, politiques, éthiques et de gouvernance furent-ils examinés ? Même s’il brandit l’argument de la souveraineté et se dit prêt à répondre de ses actes, le gouvernement gagnerait à répondre à ces questions. En dépit de sa détermination à saisir les tribunaux, Veolia aurait intérêt à clarifier ces points, essentiels à la compréhension.
Exigence démocratique
De toute évidence, la réquisition de la Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG) doit s’analyser sous l’angle de la transparence. La sincérité des déclarations et l’accessibilité à l’information constituent deux piliers de la gouvernance moderne. A ce jour, ils sont mis à mal par cette affaire. En se gardant de publier le contrat ou d’en évoquer les dispositions, les parties en conflit laissent le sentiment d’avoir des choses à cacher. Pourquoi se livrer à des accusations mutuelles si l’on ne veut noyer le poisson ? Pourquoi ne pas fonder sa défense sur les éléments contractuels s’ils s’inscrivent dans la poursuite de l’intérêt général ? Déjà, dans la constitution du capital, on peut lire : Veolia 51%, Etat gabonais et autres 49%. Du coup, une question alimente tous les fantasmes : les identités réelles des personnes, physiques ou morales, désignées par «autres». Au-delà, le mécanisme d’acquisition de ces parts laisse songeur.
Pour les parties en présence, la publication du contrat serait un gage de transparence. Pourtant, ni le gouvernement ni Veolia ne semblent disposés à se plier à cette exigence éthique et démocratique. Au train où vont les choses, l’un et l’autre pourraient entretenir la dissimulation. Dès lors, ils pourraient en arriver à des arrangements dans le dos du peuple. Si cette perspective semble improbable pour l’heure, elle n’a rien de farfelue. S’ils veulent la conjurer ou l’écarter définitivement, les protagonistes doivent se plier à une élémentaire exigence démocratique : la publication du contrat initial et de son avenant.