Inculpés, mais laissés en liberté provisoire, Juste-Valère Okologo w’Okambat et Alain Ditona Moussavou vont-ils rester en fonction ? Leur manquement au devoir d’exemplarité, et surtout leur inculpation par la justice, place le gouvernement dans une position délicate, d’autant plus que les exemples de suspension de dirigeants d’entreprise ou d’administration publique ayant connu des situations similaires ne manquent pas.
Les jours d’Okologo w’Okambat et de Ditona Moussavou à la tête de la Société nationale immobilière (SNI) et de la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) sont-ils comptés ? Ainsi qu’on l’a annoncé mecedi, «au terme de leur audition» par le juge d’instruction auquel ils ont été présentés le 31 janvier, «ils ont été Inculpé, mais laissés en liberté provisoire». Les trois dossiers pour lesquels ils sont inculpés (Nyonié, Daurade et SNLS) sont liés au domaine de l’immobilier public, un secteur où l’argent coule à flot, avec, notament, un prêt bancaire de 100 milliards de francs accordé par BGFIBank à la SNI. Question : Okologo et Ditona peuvent-ils encore bénéficier de la confiance, de la bienveillance et du soutien du gouvernement ?
S’il la présomption d’innocence est un principe incontournable et que «la justice doit pouvoir établir la vérité», il est pourtant arrivé, dans un passé récent, que le gouvernement sévisse dès l’inculpation ou même dès la simple interpellation – pas plus que cela – d’un responsable d’entreprise ou d’administration publique.
Les cas Ndjoubi Ossamy et Ndong Ntem
Le 27 février 2017, alors que le directeur général des Douanes et Droits indirects, Alain-Paul Ndjoubi Ossamy, venait d’être interpellé par les services spéciaux, le ministère de l’Economie, tutelle des Douanes gabonaises, prit, par l’intermédiaire de Régis Immongault, la décision de suspendre l’intéressé et de le remplacer provisoirement par le DGA1 de cette entité, Jean-Emmanuel Ndoutoume. De même, inculpé dans des affaires de détournement de fonds, Léon Ndong Ntem fut limogé au lendemain de son interpellation à la fin du mois d’avril 2017 par le gouvernement réuni en Conseil des ministres ! Ruben Ndzibé, un proche du Premier ministre et de Nelson Noël Messone, l’actuel ministre des Affaire étrangères, fut appelé à prendre la succession du fonctionnaire indélicat. Leur manquement au devoir d’exemplarité auquel sont astreints les hauts fonctionnaires fut alors grandement sanctionné.
Même si ces deux décisions fortes n’ont pas visiblement conditionné les mentalités des équipes dirigeantes, le gouvernement peut-il garder à leurs postes le directeur général de la SNI et l’ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et actuel président du Conseil d’administration de la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog) ? S’ils ont été inculpés, c’est qu’il existe à leur encontre suffisamment d’éléments à charge. L’esprit de cour va-t-il prédominer ? La courtisanerie ambiante dans les hautes sphères de l’administration publique va-t-elle prévaloir ? Nul ne peut douter que n’est pas directeur général de la CDC ou PCA de la Comilog qui veut. Il faut avoir l’accord d’un «club d’examinateurs» qui ne tient pas seulement compte des compétences, mais aussi et surtout du degré d’allégeance au système. Et derrière l’«allégeance», on peut imaginer toutes formes d’«amabilités»…
«2018, nouvelle étape, nouvelle ère de la gouvernance publique», dixit Ali Bongo
Pour de nombreux observateurs de la vie politique et économique gabonaise, «le discrédit des deux dirigeants inculpés est largement entamé», et «cela heurte la morale». Comment pourront-ils rependre la main dans leurs administrations ? Quel crédit pourra-t-on y accorder à leur discours, à leur management, et même à leurs initiatives ? Quelle crédibilité peuvent-ils encore avoir en tant que dirigeant, alors que leur moralité a été publiquement (re)mise en cause ? Quand un patron est soupçonné de…, mieux, quand un patron est inculpé dans une affaire d’argent, les collaborateurs pourraient-ils continuer à le suivre ? Même si le gouvernement, par l’intermédiaire de leurs ministres respectifs (ministre de l’Habitat pour la SNI, et ministre de l’Economie pour la CDC) venait à ne pas les sanctionner, Juste-Valère Okologo et Alain Ditona Moussavou ne devraient-ils pas, eux-mêmes, tirer les conséquences de leur inculpation judiciaire en demandant, par exemple, à être mis provisoirement en congé technique ? Le secteur de l’habitat est porteur, on le sait, de talents…
Moralisation de la vie publique
En tout cas, en pleine vague de moralisation de la vie publique, il importe de mettre en place une administration débarrassée de toutes formes de suspicion. Dans son discours de fin d’année 2017, parlant de l’administration, Ali Bongo avait affirmé : «L’objectif (des mesures annoncées) est d’être toujours plus efficace. Pour cela, l’organisation, mais également l’état d’esprit au sein de l’administration doit être sensiblement renouvelé». Et d’ajouter : «C’est donc une nouvelle étape, une nouvelle ère, dirais-je même, de la gouvernance publique que je compte bien mettre en œuvre dès 2018». Il s’agit donc pour Ali Bongo de faire vivre une «période de renaissance» à l’administration publique. La feuille de route des hauts fonctionnaires semble donc être dorénavant basée sur une certaine moralité. Le gouvernement doit pouvoir se saisir de cette occasion pour bien «marquer son territoire» dans le domaine de la moralisation, comme il l’a fait pour Ndjoubi Ossamy et Ndong Ntem l’année dernière. Sinon, l’opinion ne lui pardonnerait pas de tergiverser. Et cela le desservirait durablement. Le gouvernement fait face, avec cette situation, «à un défi qui appelle à une urgente thérapie de choc».