Si chacune des familles politiques a initié une concertation nationale, seules les recommandations de la rencontre d’Angondjé sont en passe d’être gravées dans le marbre de la loi.
Principe sacro-saint en démocratie, la liberté d’expression permet d’énoncer des principes sans songer à leur traduction dans les faits. A la suite des interventions de Jean EyéghéNdong et Casimir OyéMba chez nos confrères de Gabon 1ere, les analyses pleuvent. Généralement, elles se rapportent à l’opportunité d’une nouvelle concertation nationale. Partiales et partielles, elles se résument en une succession de dénonciations ou de condamnations. Les uns se gaussent du subit revirement du sénateur du 2è arrondissement de Libreville : ils lui demandent d’indiquer comment il entend faire pour imposer la communauté internationale dans le rôle de facilitateur d’un éventuel «dialogue inclusif, sans tabou et sincère». Les autres raillent l’ancien candidat à la présidentielle : ils lui reprochent de n’avoir pas évoqué la mémoire des victimes de la crise post-électorale ou le sort des personnalités en détention, avant d’inviter les «Gabonais (à) régler (leurs) problèmes en parlant».
Devenir des institutions
Proposée par Ali Bongo, puis rejetée et moquée par l’opposition, avant d’être reprise par elle, l’idée d’une concertation nationale divise. Pour les uns, c’est un moyen de «légitimer» l’actuel pouvoir et de tourner la page de la présidentielle d’août 2016. Pour d’autres, elle demeure un pis-aller, c’est-à-dire un moyen de faire bouger les lignes, faute de mieux. Certes, le pouvoir en place estime avoir déjà initié une concertation à travers le Dialogue politique tenu à Angondjé du 28 mars au 24 mai 2017 (lire «L’optimisme d’Ali Bongo»). Certes, la Coalition pour la nouvelle République (CNR) affirme avoir passé en revue la situation du pays au cours du Dialogue national pour l’alternance (DNPA), tenu du 19 au 23 décembre 2016 au Noé Palace (lire «Des projets plein la tête»). Mais les réformes conduites par Ali Bongo sont réputées insuffisantes voire anachroniques ou rétrogrades (lire «Dans toute leur nudité»), quand celles suggérées par Jean Ping demeurent des vœux pieux (lire «Ndemezo’Obiang attend la suite» ou «Les ratés d’une stratégie»). Dans l’un ou l’autre des cas, on est encore loin de la conférence nationale souveraine proposée naguère par l’opposition (lire «Mba Obame annonce la couleur»).
Effectivement, le statut juridique des rencontres organisées ou suggérées, depuis août 2016, reste une inconnue : jamais leur souveraineté, c’est-à-dire la suprématie de leurs décisions, n’a été clairement envisagée. Or la destinée des actes de la Conférence nationale de 1990, des Accords de Paris ou des Accords d’Arambo témoigne de la nécessité de régler cette question. De même, le rôle et le devenir des institutions sont rarement évoqués. Demeurent-elles en place ? Tombent-elles en désuétude dès l’ouverture des assises ou au terme de celles-ci ? Au-delà, le positionnement et la responsabilité du président de la République restent à clarifier. Est-il au-dessus de la mêlée ? Prend-il part aux assises ? Se contente-t-il d’ouvrir et clôturer les travaux ? Est-il plutôt invité à s’exprimer voire à s’expliquer, de façon solennelle, sur les errements de sa gouvernance ? Faute d’avoir exigé des clarifications préalables sur ces questions, les participants aux différentes assises organisées sous nos cieux ont invariablement laissé le sentiment de cautionner des entourloupes politiciennes.
Pressions extérieures
Suggérer une concertation nationale sans songer à ces aspects peut paraître risqué. En organiser une sans détenir l’effectivité du pouvoir relève manifestement de l’activisme. Même si le non-dit revêt toute son importance en politique, on ne peut éluder la question de la place du président de la République. Au-delà de la querelle politicienne, sa prééminence institutionnelle est une réalité objectivement vérifiable. S’efforcer de la nier est particulièrement malvenu. Comment aborder cette contrainte ? Ni Jean Eyéghé Ndong ni Casimir Oyé Mba n’ont donné l’impression d’y avoir réfléchi. En initiant le DNPA, Jean Ping en avait fait l’impasse. Estimant avoir la légitimité pour lui, il n’avait pas jugé utile d’y apporter une esquisse de réponse. Comme par un effet de balancier, certains de ses soutiens dépoussièrent l’idée d’une rencontre, plusieurs mois plus loin. Une façon de remettre en cause la pertinence des assises du Noé Palace ? On ne les imagine pas franchissant ce cap. Une manière d’exprimer des regrets au sujet du Dialogue politique ? On ne saurait l’affirmer. En revanche, on peut y lire une tentative de freiner la mise en œuvre des recommandations du raout d’Angondjé.
Engluée dans une crise post-électorale à rallonges, la classe politique nationale est l’objet dépressions extérieures. Par des moyens divers et variés, les partenaires du pays lui indiquent la voie de la concertation. Autrement dit, ils lui demandent de se retrouver autour d’une table. Or chaque camp essaie d’en imposer à l’autre. A trois mois d’intervalle, chacune d’elles a initié une concertation nationale. Au final, une réalité s’impose à tous : si les recommandations du DNPA sont tombées aux oubliettes, celles du Dialogue d’Angondjé sont en passe d’être gravées dans le marbre de la loi. En formulant de nouvelles propositions, Jean EyéghéNdong et Casimir OyéMbaen ont-ils tenu compte ? Si rien ne le dit, rien ne l’infirme non plus. Ont-ils agi par principe ou par réalisme ? De prime abord, on est tenté d’opter pour la seconde hypothèse. N’empêche, il leur appartient de détailler leurs propositions.