L’ancien Premier ministre s’est toujours posé en chantre du «courage». Mais, dans son soutien à Jean Ping, cela s’est très peu ressenti.
Depuis sa démission du gouvernement et du Parti démocratique gabonais (PDG), Jean Eyéghé Ndong a toujours joué la carte de l’intégrité et d’une forme de radicalisme. Depuis un peu plus de deux ans maintenant, il laisse le sentiment d’avoir opté pour un objectif plus spécifique : apparaître comme le plus fidèle soutien de Jean Ping. Pour apparaître comme tel, il joue des coudes et multiplie les déclarations. En juillet dernier, il annonçait, péremptoire, un retour du leader de l’opposition «en tant que président de la République». Lors de la dernière révision constitutionnelle, il affirmait ne pas se sentir concerné, conditionnant toute initiative politique au «rétablissement de la vérité des urnes». S’il s’était, dans un premier temps, dit opposé à un éventuel boycott des législatives (lire «Qu’Ali Bongo reconnaisse sa défaite»), il a viré sa cuti depuis.
D’un autre apport
Loin de toute amnésie sélective, les positions du sénateur du 2è arrondissement de Libreville appellent une analyse froide. Aux vivats et anathèmes d’une base en quête de rédempteur, il faut opposer la recherche de la qualité intrinsèque et la portée des actes. La probabilité des faits, leur résonance et leur impact sur la stratégie d’ensemble doivent être privilégiés à la croyance, aux sophismes et à la personnalisation des choses. Le soutien à Jean Ping ? Avec ferveur, Jean Eyéghé Ndong l’a toujours revendiqué. Etait-ce une raison pour se désintéresser de la révision constitutionnelle, étape majeure vers le verrouillage total du dispositif institutionnel (lire «Jean Eyéghé Ndong botte en touche» ) ? Son statut de président du groupe Front uni ne lui commandait-il pas plutôt de se poser en leader de la contestation parlementaire ? En s’engageant dans cette bataille, n’aurait-il pas donné au combat de Jean-Christophe Owono Nguéma une autre résonance (lire «Le regard acéré d’Owono-Nguéma») ?
Sans nul doute, Jean Eyéghé Ndong aurait pu être d’un autre apport à la cause de la démocratie. Comment attendre une intervention de la communauté internationale quand les institutions panafricaines brillent par leur silence ? Comment se gargariser des résolutions du Parlement européen quand son pendant panafricain s’illustre par son indifférence ? Or l’ancien Premier ministre est membre du Parlement panafricain. Il y joue même un rôle de premier plan. Même si le caractère consultatif de cette instance ne se discute pas, l’ouverture d’un débat en son sein n’aurait pas été de trop. Le sénateur de Nkembo l’a-t-il invitée à se pencher sur le cas du Gabon ? On ne saurait l’affirmer. A-t-il demandé à ses collègues de s’intéresser à la question des droits humains, à la valeur du bulletin de vote ou au rôle des forces de défense dans le jeu démocratique au Gabon ? On ne peut rien en dire. Invité par les parlementaires panafricains, Alexandre Barro Chambrier, lui, l’a fait (lire «Chambrier plaide pour la démocratie sur le continent»). Mais, n’étant plus membre de cette institution, son discours a eu une portée symbolique. En aurait-il été autrement si cette initiative était portée par un parlementaire en fonction, auréolé d’un statut d’ancien Premier ministre ? On ne le saura jamais.
L’efficacité d’une stratégie
Malgré les apparences, les choix tactiques de Jean Eyéghé Ndong ne donnent pas forcément profondeur et amplitude au combat de l’opposition. Si l’homme demeure constant et droit dans ses bottes, il paraît gêné aux entournures par un élément essentiel : la CNR est la fille naturelle de l’accord scellé par Jean Ping, Guy Nzouba Ndama et Casimir Oyé Mba, le 15 août 2016, sous le parrainage de Zacharie Myboto. Agissant en soutien inconditionnel et pas en allié, il a relégué la construction d’une stratégie consensuelle au rang d’accessoire. À trop proclamer son attachement à Jean Ping, il a transformé la quête démocratique en une affaire de personne. Surtout, il s’est posé en héraut de la verticalité là où d’autres militent pour l’horizontalité. À la fin des fins, il s’est refusé à toute réflexion personnelle sur les défis du moment et enjeux du futur. D’où sa réticence à se prononcer librement et clairement sur les législatives à venir. Ses hésitations au sujet d’un éventuel «dialogue inclusif, sans tabou, et sincère» en disent long sur son état d’esprit de l’heure.
Jean Eyéghé Ndong s’est toujours posé en chantre du «courage». Mais, au vu de ses fonctions passées et actuelles, on aurait pu s’attendre à le voir engager une véritable guérilla démocratique. On l’aurait vu en défenseur des libertés publiques. On l’aurait imaginé exigeant des enquêtes parlementaires sur la présidentielle d’août 2016. On l’aurait vu ferraillant au Sénat contre le nouveau Code de la communication, contre la loi sur les libertés publiques (lire «Une camisole de force»), contre la Constitution récemment adoptée. On l’aurait imaginé portant le message de Jean Ping et défendant la cause de la démocratie à la tribune du Parlement panafricain. Faute d’avoir eu la clairvoyance ou le courage d’endosser ce rôle, son positionnement actuel relève de l’évidente posture. Certes, sa grande popularité témoigne de l’efficacité de sa stratégie : coller au plus près à Jean Ping. Mais, engagé dans un duel contre un système cinquantenaire, le leader de l’opposition a-t-il davantage besoin de soutiens ou de relais ? À chacun selon sa perception…