Paru dans le quotidien Libération, ce 12 décembre 2017, un article traite notamment du Gabon au One Summit Planet et des manifestations de sa communauté en France. Ali Bongo y est taxé «chef sans Etat (atterrissant) avec un aréopage de fidèles censés faire illusion». Selon le journal français, «la journée de lundi a été le théâtre de manifestations d’activistes africains dans la capitale française, qui révèlent une opposition au discours officiel défendu par les représentants de Macron.
L’Afrique vue depuis Paris donne parfois l’impression de se retrouver dans un monde parallèle. Comme lundi, où trois hôtels parisiens ont été l’épicentre de visions bien différentes du continent et de ses relations avec la France. Le premier se trouve près de la station Arts et Métiers. Les membres du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), créé par Emmanuel Macron en août, y avaient donné rendez-vous à la presse française pour une première rencontre. Ce CPA composé de dix membres, Macron l’avait évoqué à l’université de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, lors de la tournée présidentielle en Afrique. Rappelant alors que ce conseil avait largement inspiré son discours et qu’il comptait sur ses membres pour lui faire remonter les échos du terrain. Ses yeux et ses oreilles en terre africaine, en somme.
Ce lundi après-midi, ils sont donc là. S’affichent comme des «défricheurs», qui veulent «faire des propositions concrètes» au Président et s’identifient à «la société civile, aux femmes et à la jeunesse». Ce sont tous de jeunes entrepreneurs du privé, «des gens neufs aux idées neuves», soulignent-ils. Plutôt sympathiques et souriants, même si les propositions évoquées laissent un peu à désirer : «Faire des femmes le moteur du développement» ? Favoriser «la diplomatie économique» ? Voilà qui rappelle surtout de vieux mantras un peu usés. Mais il y a surtout un angle mort dans cette valorisation affichée de la société civile, censée incarner «l’Afrique dynamique» : c’est le politique. Ce gros mot qui, même caché sous le tapis, finit toujours par ressurgir.
Répression implacable
D’ailleurs, c’est bien au nom de cette politique, tabou du discours officiel, que la société civile de la diaspora s’agite elle dans d’autres coins de Paris ce même jour. Devant deux palaces parisiens, le Georges V et le Bristol. Deux hôtels de luxe au cœur du carré doré de la capitale. Le premier accueille Ali Bongo, qui s’accroche au pouvoir au Gabon malgré un scrutin, en août 2016, dont l’absence de transparence a été dénoncée avec une vigueur assez rare par l’Union européenne. Quant au Bristol, il abrite ce soir-là Denis Sassou-Nguesso, inamovible président du Congo-Brazzaville, officiellement réélu lors d’une élection tout aussi suspecte en mars 2016.
Tous deux sont venus à Paris pour le One Planet Summit, bien décidés à verdir leurs pedigrees, alors que leurs pays respectifs abritent une large portion de la forêt équatoriale. Celle qui permet à la planète de respirer, quand bien même leurs oppositions étouffent sous l’emprise d’une répression implacable. Ils en ont profité chacun pour prendre également rendez-vous à Bercy, avec Bruno Le Maire. Il est vrai que les dirigeants de ces petits émirats pétroliers sont souvent en manque de liquidités pour payer leurs fonctionnaires.
Les diasporas de ces deux pays, elles, leur ont réservé un accueil de circonstance. Comme souvent, la diaspora gabonaise s’est révélée la mieux organisée, elle qui manifeste tous les samedis au Trocadéro depuis l’élection truquée d’août 2016. Maintes fois, depuis cette date, elle a coincé les dignitaires du régime, de Paris à Washington, en passant par New York, envahissant les hôtels de luxe pour demander des comptes aux alliés d’un pouvoir honni.
A Paris, dès la nuit de dimanche à lundi, les activistes gabonais ont réussi à tagguer de mots de bienvenue, certes peu aimables, sur la façade de l’ambassade de leur pays à Paris. Avant de se rendre dans la foulée à l’aéroport du Bourget, attendre ce chef sans Etat qui atterrissait avec un aréopage de fidèles censés faire illusion. Quelques échauffourées entre pro et anti-Bongo en ont résulté. Elles se reproduiront dans la matinée devant l’hôtel Georges V.
«Casser de la diaspora»
De son côté, Sassou-Nguesso a eu droit au même traitement devant l’hôtel Bristol où les forces de l’ordre devront disperser manifestants hostiles et supporteurs venus de Brazzaville et bien décidés «à casser de la diaspora» selon les paroles rapportées par les opposants au régime. «Comment tous ces gens ont-ils obtenu leurs visas ? Ce sont des miliciens à la solde du pouvoir, on les connaît !» s’insurge Roland, Congolais de Brazzaville bien décidé à gâcher le séjour du despote de son pays.
«Nous avons écrit une lettre à Macron lui rappelant qui était Ali Bongo», renchérit Franck (1) activiste gabonais qui a fui son pays lors de la répression postélectorale d’août 2016. «Mais Macron est plus silencieux qu’une cathédrale et ce mardi, il s’apprête à recevoir Ali à déjeuner à l’Elysée. Parmi les philanthropes du climat», croit-il savoir, s’avouant «totalement déçu par Macron qui prétend parler d’avenir en Afrique et s’affiche aux côtés des potentats du continent».
Si le locataire de l’Elysée a cru pouvoir décréter la fin de la politique africaine lors de son passage à Ouagadougou, ces diasporas-là semblent penser que le cadavre bouge encore. A l’issue de cette journée parfois mouvementée, on pourrait suggérer aux membres du CPA de prendre attache avec cette réalité parallèle de la société civile, qui ne manque visiblement pas de «dynamisme».
(1) Certains noms ont été changés pour préserver l’anonymat de nos interlocuteurs
Maria Malagardis (Libération)
Lien de l’article : http://www.liberation.fr/planete/2017/12/12/a-paris-un-jour-et-deux-afrique_1616037