La révision constitutionnelle envisagée serait une anticipation de la débâcle du pouvoir aux prochaines législatives. Elle entend dépouiller «le gouvernement et le Parlement des prérogatives garantes d’une démocratie effective, au profit d’un Président de la République (…) aux prérogatives monarchistes», un «monarque définissant tout seul, la politique de toute la Nation, même sous cohabitation», indique l’auteur de la tribune libre ci-après. Il y voit «un recul démocratique, une atteinte à la Charte africaine de la démocratie et une nouvelle défiance aux Gabonais et à la Communauté internationale». L’ancien vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, s’invite dans le débat sur la révision constitutionnelle.
Le monde entier le sait, et les rapports d’observation électorale l’attestent unanimement. Le Gabon est en situation de déstabilisation de l’ordre constitutionnel, depuis la nuit du 31 Août 2016.
Défiant une deuxième fois la communauté internationale et le peuple gabonais, le pouvoir sortant, de Libreville, au Gabon, vient de lancer une révision constitutionnelle par un Parlement dont la représentation nationale, l’Assemblée Nationale, est en période intérimaire, suite au report des législatives qui auraient eu lieu depuis un an, en décembre 2016.
Les dispositions soumises à révision, anticipent la débâcle électorale du pouvoir sortant aux législatives, pour dépouiller le Gouvernement et le Parlement des prérogatives garantes d’une démocratie effective, au profit d’un Président de la République davantage rendu tyran, notamment en matière de définition de la politique de la Nation et de désignation des principaux acteurs du concert interinstitutionnel du Gabon. Cette révision ignore toutes les demandes de l’Union européenne dans le cadre de la procédure du dialogue politique intensifié, visant à donner suite au rapport de la Mission d’observation électorale de l’UE. Elle porte atteinte à la Charte africaine de la démocratie, viole la Convention de l’ONU sur le droit des traités et viole la conditionnalité politique de l’Accord de Cotonou ACP-UE.
La révision constitutionnelle, en cours au Gabon, si elle n’est pas interrompue, est un grave recul démocratique (I) s’ajoutant à la déstabilisation de l’ordre constitutionnel d’août 2016 et en pleine crise de vérité électorale du dialogue politique intensifié et de procès en impartialité de l’observation internationale d’élections, enclenché par le pouvoir sortant, un nouveau défi lancé au peuple gabonais et à la communauté internationale.
Dans une grille d’analyse présentée en 4 cycles de lecture, le Dr Séraphin Moundounga, ancien Vice-Premier Ministre, Garde des sceaux et Président de l’ONG UNITÉ, démontre que la révision constitutionnelle envisagée au Gabon est :
un recul démocratique et de l’Etat de droit, sectirisant la République ;
une atteinte à la Charte africaine de la démocratie ;
une violation du droit international ;
une violation de la conditionnalité politique de Cotonou en plein dialogue politique avec l’UE ;
un nouveau défi aux citoyens gabonais en passe de devenir des sujets du roi.
Cycle 1 : Un Président de la République aux prérogatives monarchistes dans une République sectirisée.
Depuis le 31 août 2016, il est gravement porté atteinte, à la fois, aux Droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques, ainsi qu’à l’ordre constitutionnel, par un pouvoir sortant, qui refuse que s’applique la volonté souveraine exprimée par le peuple gabonais, qui a révoqué le Président sortant, Son Excellence Ali Bongo, en portant son choix sur un autre Gabonais, Son Excellence Jean Ping, le 27 août 2016.
Aussi, le pouvoir sortant, depuis le sanglant coup-d’Etat militaro-politico-juriconstitutionnel, diagnostiqué par l’observation internationale électorale, ne cesse d’assassiner, d’opprimer, de faire disparaître, d’arrêter et d’emprisonner arbitrairement, opposants, acteurs civils et religieux ; hommes et femmes des médias et de la presse ; élèves et étudiants suspendus de bourses et confrontés à une augmentation des frais d’inscription et de scolarisation ; agents de l’Etat dépossédés des primes et autres avantages ; retraités dont les pensions sont devenues aléatoires ; les opérateurs économiques dont la dette publique est impayée et victimes de redressements fiscaux intempestifs et des procédures pénales d’intimidation ou de neutralisation de toute action civile ou commerciale.
Alors que la Communauté internationale en général, et l’Union européenne en particulier, demande une enquête internationale pour vérifier la véracité ou pas des violations des Droits de l’Homme au Gabon et que le peuple gabonais demande l’effectivité de l’ordre constitutionnel souverainement inauguré le 27 août 2016, le monde libre peut constater que l’enquête internationale de vérité est refusée et que l’ordre constitutionnel demeure déstabilisé depuis un peu plus d’un an au Gabon.
Pour ajouter à la confusion des genres et des rôles, un projet de révision constitutionnelle amorce un recul démocratique en voulant faire du Gabon une monarchie de fait et en compromettant davantage l’indépendance judiciaire.
En effet, après la tentative avortée, des années 1980, visant faire du Gabon un royaume, monarchie héréditaire, la révision, en cours, de la Constitution, si elle continue à proclamer le caractère républicain de l’Etat, transforme celui-ci, dans son fonctionnement, en monarchie, au regard des prérogatives monarchistes du Chef de l’Etat (1) et de la sectirisation de la République par un serment de fidélité à un individu, en plus du serment de loyauté à l’institution qu’est le Président de la République (2).
1 – Un Président de la République aux prérogatives monarchistes.
S’il demeure que l’article 2 de la Constitution en vigueur, qui dispose que « Le Gabon est une République » n’est pas soumis à modification, il est établi qu’il y a un stratagème insidieux et nocif à la démocratie, qui monarchise la fonction présidentielle dans la définition solitaire de la politique de la Nation en précarisant le gouvernement (a) et dans le pouvoir de nomination, qui marginalise le Parlement (b).
a-) Un monarque définissant tout seul, la politique de toute la Nation, même sous cohabitation.
Relativement à la détermination de la politique de la Nation, deux dispositions de l’article 8 de la Constitution sont proposées à être abrogées et un alinéa nouveau est inséré pour paralyser la cohabitation si le pouvoir sortant continue à résister, de force, à l’alternance décidée par le peuple gabonais le 27 septembre 2016.
En effet, en ce qui concerne les dispositions proposées à suppression, il s’agit :
de l’avant dernier alinéa de l’article 8 de la Constitution qui exige, depuis la Constitution du 26 Mars 1991(Constitution post-transition), que pour la détermination de la politique de la Nation, le Président de la République doit le faire « en concertation avec le Gouvernement »,1 ce membre de phrase étant désormais proposé à suppression, pour que tout Gouvernement de cohabitation ou pas, soit écarté de cette prérogative centrale et qu’il soit tenu et confiné au seul rôle d’exécution de l’arbitraire du monarque, sans possibilité de débat tel que envisagé à l’article 28 nouveau2 et comme c’est pourtant le cas, de façon factuelle, depuis l’avènement des Agences au Gabon sous Ali Bongo ;
du dernier alinéa de cet article 8 qu’on veut aussi supprimer, sans interroger le peuple gabonais, en faisant du Président de la République, l’unique détenteur suprême du pouvoir exécutif alors que, depuis le texte qui remonte de la Constitution du 26 mars 1991, il l’est en partage avec le Premier Ministre, 3 même si, dans les faits, pourtant, le Président sortant s’était déjà fait déifié et poursuit, ainsi, dans ce sens depuis la modification quasi-unilatérale des statuts du Parti Démocratique gabonais, le PDG, pour s’ériger en « Chef suprême du parti » là où son prédécesseur ne se limita qu’à y demeurer que « Président fondateur ».
Quant au nouvel alinéa de cet article 8 de la Constitution, il vise à compliquer davantage les choses au Gouvernement et au Premier Ministre, en cas de cohabitation, et même paralyser ou du moins neutraliser le Premier Ministre et son Gouvernement, dès l’instant qu’ils seraient des partis opposés à la majorité présidentielle, comme je l’ai toujours prédit dans mon propos, de façon constante.
C’est à cette fin, que la concertation Président de la République / Gouvernement, en toute circonstance, sortie de l’avant-dernier alinéa de l’article 8 ; est imposée exclusivement au Gouvernement de cohabitation, pour faciliter, le moment venu, des techniques d’impossible concertation et d’impasse avec risque de conflits qui peuvent sortir du cadre institutionnel, pour aller dans la rue et les maquis, chaque camp appelant ses partisans à la mobilisation populaire, comme l’Afrique a pu le vivre en RDC entre le Maréchal-Président Joseph Désiré Mobutu et le Premier Ministre Etienne Tsisekedi ; ce qui a favorisé l’arrivée de ceux qui se partagent le prénom de Mobutu, le père Président Désiré Kabila et le fils successeur Joseph Kabila.
La France, qui a connu 3 cohabitations en 1986, 1993 et 1997 (Jacques Chirac, Edouard Balladur et Lionel Jospin, sous les Présidents François Mitterrand et Jacques Chirac), une telle concertation entre le Président de la République et le Premier Ministre est imposée par la Constitution française et même au Gabon par la Constitution gabonaise, que dans les questions relatives aux affaires étrangères et à la défense nationale, pour respecter les dispositions constitutionnelles faisant du Président de la République :
au Gabon « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des accords et des traités » et qu’il « est le Chef suprême des forces de défense et de sécurité » ;
en France, « le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité territoriale et du respect des traités » 5 et que « le Président de la République française est le chef des armées ». 6
Mais ce n’est que le début de la machine monarchiste qui va précariser le Gouvernement et marginaliser le Parlement.
b – Le monarque précarise le gouvernement et marginalise le Parlement.
Alors qu’à l’article 8 de la Constitution française, si le Président de la République nomme le Premier Ministre, de la façon la plus libre possible, cette Constitution française ne lui donne droit de le révoquer que sur présentation d’une démission expresse par ce dernier.
Mais au Gabon, le projet de révision constitutionnelle qui, pourtant, anticipe une cohabitation, laisse intact les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 15 qui donnent droit au Président de la République, « de sa propre initiative » 7, de mettre « fin aux fonctions », du Premier Ministre, à tout moment, même sous une cohabitation.
Par ailleurs, il est passé sous silence l’article 16 8, qui est donc ainsi maintenu et qui confère, même en cas de cohabitation :
au Président de la République, l’exclusivité absolue, de convoquer, à loisir, le Conseil des Ministres ;
d’arrêter, tout seul, l’ordre du jour du Conseil des Ministres ;
de présider le Conseil des Ministres sinon, se faire suppléer, à cet effet, par le Vice-Président de la République, et non pas, en cas de cohabitation, par le Premier Ministre.
Enfin, alors que l’article 89 de la Constitution en vigueur consacre la règle du 3X3 pour la nomination des 9 membres de la Cour Constitutionnelle,9 il est projeté dans le nouvel article 89 10 que :
le Président du Sénat doit maintenant y nommer 2 membres au lieu de 3 ;
le Président de l’Assemblée Nationale doit maintenant y nommer 2 membres au lieu de 3 ;
le Président de la République continue à y nommer 3 membres et qu’il contrôle la désignation des 2 membres soutirés au Parlement mais dont la nomination est confiée au Conseil Supérieur de la Magistrature qui demeure sous sa présidence, faute de révision de l’article 70.
Le Président de la République contrôlerait ainsi, la nomination de 5 membres sur les 9 qui composent la Cour Constitutionnelle, comme gage des délibérations qu’il pourra, à dessein, orienter et, de façon plus grave, à l’occasion de la proclamation des résultats des prochaines législatives et locales ainsi ceux de toute autre élection politique future, aux fins de demeurer au pouvoir à vie et faciliter la dévolution successorale du pouvoir du pré-mourant ou de cujus, à l’héritier désigné, dans un processus orchestré, avec subtilité et qui se prolonge jusqu’à imposer un serment de fidélité sectirisant la République, en plus de l’obligation de loyauté qui engage à servir honnêtement et loyalement.
2 – Un serment de fidélité sectirisant la République :
Si le serment de loyauté engage à une obligation d’exercer honnêtement et loyalement (a), celui de fidélité est une dévotion adoratrice d’un individu comme dans une secte (b).
a -) Un serment de loyauté engageant à une double obligation d’exercer honnêtement et loyalement :
Un serment est une obligation solennelle que l’on prend :
soit dans un cadre religieux et/ou ésotérique engageant son auteur à la fidélité et à la confidentialité mais pour tout acte avouable ainsi qu’à la solidarité au profit de ceux qui en sont dignes ;
soit dans un cadre républicain, engageant à la confidentialité et, à la place de la fidélité, à la loyauté dans l’exercice de ses fonctions.
La loyauté, au plan moral c’est l’honnêteté.
En droit, celui qui est tenu d’une obligation de loyauté doit :
être honnête ;
ne poser que des actes loyaux dans l’exercice de ses fonctions ;
refuser d’exécuter une décision ou un ordre venant de son chef s’il est d’évidence que cela est illégal, au risque de répondre d’une telle obéissance infantile, devant la justice ;
de dénoncer aux autorités compétentes tout crime, délits et autres déviances, découverts dans l’exercice de ses fonctions pour prévenir toute action fautive ou même criminelle.
C’est dans le cadre de ce cercle limitativement dessiné par la loi que doit agir tout agent public ou privé, avec rectitude ; rectitude que La Loi exige invariablement à un religieux et/ou à un ésotérique.
Aussi, en introduisant une obligation de fidélité dans un cadre républicain, la République disparaît et l’on fait naître sur ses cendres une secte avec à sa tête un personnage à qui on voue un culte.
b -) Un serment de fidélité à un individu, rejeté en 1997.
Alors que le serment républicain de loyauté et de confidentialité engage son auteur devant une institution, en l’espèce, le serment du Vice-Président vis-à-vis du Président de la République, tel que dispose l’article 14 c de la Constitution en vigueur,11 le serment de fidélité porté par le projet de révision constitutionnelle, en son article 15 nouveau alinéa 4, envisage engager les personnes nommées aux fonctions ministérielles et de direction de corps armées et sécuritaires, à une obligation de fidélité dite, subtilement, « à l’égard du Chef de l’Etat » 12 mais de fait, à l’égard de la personne placée, par tous les moyens, légaux ou illégaux, à la tête de l’Etat.
Cette obligation de fidélité avait fait débat en 1997 lorsqu’il avait été procédé à la révision de la Constitution par la loi n°1/97 du 22 avril 1997, qui a créé non pas l’institution Vice-Président de la République, mais la fonction Vice-Président de la République comme collaborateur, et non plus comme Chef d’institution, initialement envisagée.
En transformant la Vice-Présidence de la République en collaborateur du Chef de l’Etat, il fallait en faire une personne à fidéliser constitutionnellement. Mais cette approche ne prospéra pas, car au titre des dispositions de l’article 14 c de la Constitution en vigueur, le VPR n’ait tenu qu’à une double obligation de « loyauté » et de « confidentialité » mais pas de fidélité. 13
D’ailleurs, tout aussi curieux que cela puisse paraître, si le silence du projet de révision constitutionnelle, relativement à l’article 14 c, signifie que le VPR demeure tenu rien que des obligations de loyauté et de confidentialité, les Ministres et les Chefs de Corps ont, en sus, celle de « fidélité » tel qu’il résulte des dispositions de l’article 15 nouveau, alinéa 4 14 et de l’article 20 nouveau, alinéa 2. 15
Quant aux hauts commis de l’Etat, l’alinéa 3 de l’article 20 nouveau, ne les oblige qu’au respect de « la neutralité de l’administration » et au secret professionnel. 16
Alors si ce processus en cours n’est pas stoppé net, ceux qui seront confirmés ou promus à de telles fonctions ne peuvent plus avoir le choix d’être attaché à ce Maître en construction ou à la maison d’habitation ou foyer (chien ou chat) ni d’avoir la liberté de faire des allées et venues ou de cabrioler, à la recherche des fruits, de branche en branche, d’un arbre à un autre (le singe).
Plus grave, alors pourront-ils demander s’ils doivent privilégier les valeurs (ce qui est propre aux humains), puisque engagés au-delà de la loyauté et de la confidentialité, éclairées ? C’est plus incertain que certain car la marginalisation du juge judiciaire, gardien, par excellence, des libertés individuelles, évincé de la Haute Cour de Justice, au profit du juge constitutionnel, est une éviction proposée par l’article 79 nouveau, aggravant, la politisation du pouvoir judiciaire en affectant, davantage, son indépendance.
Fait ce 28 Novembre 2017
Le Dr Séraphin Moundounga
Président de l’ONG UNITÉ
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1 Article 8 Constitution gabonaise
2 Article 28 nouveau, projet de révision constitutionnelle