Accusatrice ou guerrière, prétendument souverainiste ou enrobée dans un africanisme de circonstance, la rhétorique de la majorité traduit une crainte de se voir appliquer des sanctions ciblées par l’Union européenne. Au passage, elle révèle une volonté de repli sur soi.
Droite ses bottes, la majorité joue la carte de l’enfermement. Depuis l’adoption de la deuxième résolution du Parlement européen relative à la présidentielle d’août 2016 (lire «Le Parlement européen invite à des sanctions ciblées»), ses différentes composantes rivalisent de mauvaise foi. Le 21 septembre dernier, la section sénatoriale de la délégation gabonaise à l’assemblée paritaire ACP-UE dénonçait une volonté de «déstabiliser notre pays» (lire «Le coup de gueule du Sénat»). Le lendemain, le gouvernement se réfugiait derrière la «souveraineté» nationale pour balayer d’un revers de main ces recommandations (lire «Le gouvernement rejette tout en bloc»). Le surlendemain, c’était au tour du groupe PDG à l’Assemblée nationale de déverser son fiel sur les eurodéputés, les accusant d’adopter une «attitude partisane» (lire «Les députés PDG s’insurgent»). En clair, le pouvoir formule maintenant deux accusations à l’endroit du Parlement européen : ingérence dans les affaires intérieures et soutien à Jean Ping. Comme si la Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE) n’avait pas été invitée par ses soins. Comme si cette démarche n’était pas conforme à la légalité internationale.
Nombrilisme hors de saison
Poussée dans ses derniers retranchements, la majorité évolue maintenant à contre-emploi, reprenant à son compte toute la vulgate prétendument panafricaniste ou révolutionnaire. Réagissant au lieu d’agir, elle développe le syndrome de Massada, faisant sienne toute la novlangue souverainiste. Pourtant, le Gabon est encore signataire de l’Accord de Cotonou. Mieux, à en croire le contenu de la résolution du 14 septembre dernier, un «dialogue politique intensif entre l’UE et le Gabon est (actuellement) en cours». Quel sens donner alors aux sorties des uns et des autres ? Comment les expliquer ? La diplomatie a des règles, peu ductiles. En signant l’Accord de Cotonou, le Gabon en a accepté les implications politiques. Il s’est, notamment, engagé à se soumettre aux dispositions des articles 8, 9, 96, 97 et à l’annexe VII de cet accord. Autrement dit, il a souscrit à la nécessité de contribuer à la paix, à la sécurité, à la stabilité et, à la promotion d’un environnement politique stable et démocratique. Dès lors, il a admis l’interdépendance entre démocratie, développement et protection des libertés fondamentales.
Le Gabon ayant librement et souverainement adhéré à l’Accord de Cotonou, on peine à comprendre la stratégie de la majorité. On a du mal à s’imaginer comment pourra-t-elle demeurer fidèle aux engagements internationaux du pays. On n’arrive pas à voir comment elle peut œuvrer à la mise en œuvre de la coopération multilatérale tout en vouant le Parlement européen aux gémonies. Déjà, on rappelle une vérité fondamentale : l’Accord de Georgetown instituant le groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) établit la démocratie et la liberté comme fondements de la paix et de la stabilité. Il réaffirme l’attachement des Etats ACP aux droits de l’homme, aux principes démocratiques et à l’état de droit. Des principes également consignés dans la totalité des documents régissant la coopération intra-ACP, notamment la Déclaration de Suva, le plan d’action de Montego Bay, la Déclaration d’Harare et les conclusions des sommets des chefs d’Etat et de gouvernement tenus à Libreville, en novembre 1997, et à Santo Domingo, deux années plus tard. Dans ce contexte, il est illusoire de jouer sur une solidarité entre Etats ACP ou de vouloir les opposer à l’Union européenne, comme l’ont fait les sénateurs. Reprocher au Parlement européen de se prononcer sur la situation gabonaise revient, par conséquent, à se laisser dominer par son amour-propre. C’est aussi étaler une arrogance gratuite. C’est, enfin, faire montre d’un nombrilisme hors de saison.
Gagnée par l’inquiétude
À l’évidence, la majorité ne sait plus où donner de la tête. Ballotée aux quatre vents d’un interminable feuilleton diplomatique, elle est gagnée par l’inquiétude, si ce n’est la panique. Ministres et parlementaires peuvent toujours bomber le torse, ils ne dorment plus du sommeil du juste. Accusatrice ou guerrière, leur rhétorique traduit une crainte de se voir appliquer des sanctions ciblées. Elle révèle une volonté de repli sur soi. Prétendument souverainiste ou enrobée dans un africanisme de circonstance, elle peut être interprétée comme le signe avant-coureur d’une bunkerisation annoncée. En laissant le sentiment de minimiser l’Accord de Cotonou, les obusiers de la majorité jouent les apprentis-sorciers. Au lieu de rechercher les voies de sortie dans les instruments internationaux, ils prennent le risque de nourrir une crise avec l’Union européenne. En donnant l’impression de vouloir en découdre avec les eurodéputés, ils jouent les matamores. Là où les subtilités de la diplomatie peuvent leur être d’un apport certain, ils font mine de pouvoir soutenir l’épreuve de force.
Désormais dos au mur, la majorité pouvait-elle concevoir et mettre en œuvre une autre stratégie ? Y répondre par l’affirmative n’a rien de prétentieux. La Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE) fut invitée par le gouvernement. L’intervention du Parlement européen s’inscrit dans le droit fil de l’Accord de Cotonou. Avant d’agir ou d’esquisser un quelconque plan, la majorité aurait été inspirée de tenir compte de ces deux éléments. Nonobstant la destinée de la deuxième résolution du Parlement européen, l’image de la majorité est sérieusement écornée. S’il n’est pas encore infréquentable, le pouvoir de Libreville n’est plus la meilleure compagnie sur la scène internationale. Au-delà du combat pour le respect du suffrage universel, ce festival de maladresses rejaillit sur le pays tout entier. Malgré les enjeux de pouvoir, cette inconséquence puérile finit par lasser bien des Gabonais.