Percutant et incisif comme d’habitude, Noël Bertrand Boundzanga* s’indigne de l’«escroquerie» relative à la «privatisation de l’université » à travers l’augmentation de 400 % des frais d’écolage dans les universités publiques du Gabon. Pourtant «l’argent manque dans ce pays alors que l’Etat est encore en capacité d’acheter treillis et gaz lacrymogènes». Cette tribune libre aurait bien pu avoir comme titre «Le blues de l’université gabonaise».
On dit notre pays en crise et, au nom de celle-ci, il faut brader le service public et demander aux étudiants de payer leur formation dans une université publique. Au nom aussi d’une évidence devenue dogmatique depuis des années, l’augmentation des frais de scolarité et d’écolage était murmurée et souhaitée dans les égouts de l’université comme dans les couloirs de l’administration politique. Enfin, le couperet est tombé, Denise Mekam’ne et Marc Louis Ropivia, respectivement ministre de l’Enseignement supérieur – avant d’aller voir ailleurs – et recteur de l’université Omar Bongo, sans omettre les autres recteurs, ont signé l’accord qui devrait désormais peser sur les étudiants. Soit. L’augmentation n’est pas en soi un problème, sommes-nous obligé de concéder du fait d’un lavage de cerveau à ce sujet depuis des lustres. Ce qui provoque l’ulcère chez les étudiants, c’est le taux d’augmentation, son impréparation, son sens et le conflit prévisible qu’il génère.
Inatteignable à l’horizon 2025, l’université émergente désormais financée par l’étudiant
De 9000 Fcfa à 50 000 Fcfa, c’est une augmentation de plus de 400%. Ce n’est ni plus ni moins que du délire ! Après avoir dressé le compte des problèmes dans les universités et grandes écoles, constatant la faillite de l’Etat, on a donc décidé que c’est l’étudiant qui règlerait l’ardoise. Et ici et là, on se frotte les mains : les vacations seront payées, les directions de mémoire, les voyages de recherche des enseignants, les réparations des toitures et des chaussées, la mobilité des étudiants, les librairies et bibliothèques, et tutti quanti ! Tout cela, parce qu’il faut générer des recettes propres. Les boutiques et les champs de légumes, à l’UOB par exemple, ne suffisent pas.
Et que deviendra la modique subvention de l’Etat ? Sera-t-elle déposée dans un fonds d’investissements pour les générations futures ? De quoi faire rire, pleurer, non, plutôt de quoi provoquer le courroux justifié des étudiants. Et pourquoi pas une salle de reprographie, par exemple… la couverture en wifi, les fascicules, les spectacles… L’université émergente inatteignable à l’horizon 2025 sera payée par les étudiants. Face à la honteuse démission de l’Etat central, les malheureux insurgés se jettent dans la mêlée pour contester une décision dont quelques enseignants, le patron de la Mutuelle de l’UOB, le rectorat de Ropivia… ne voient pas le caractère inique. Dans la chaussée, ils croisent la soldatesque recrutée en masse depuis 2011 pour assurer l’ordre public, nul n’en doute…
Face à eux donc, un Etat qui a choisi de payer des milliers de treillis, de bombes lacrymogènes, de grenades, de canons à eaux, de lance-patates, etc. Et si l’on devait établir un rapport qualité prix pour évaluer cette politique de recrutement dans les forces de l’ordre et leur utilité dans la vie publique, on comprendrait à qui profite cette dispendieuse lubie. Mais ça, c’est normal. Enfin ! On peut donc facilement constater que l’Etat gabonais concède des dépenses faramineuses pour les gaz lacrymogènes et autres recrutements dans les Forces de sécurité et de défense dans un pays réputé pacifique et aux frontières plutôt paisibles, mais il n’a pas les moyens de financer la formation de la jeunesse ni la recherche scientifique. Pour un monsieur devenu président prétendant être le candidat des jeunes.
Urgence d’une lecture éthique de la politique publique
C’est à ces mêmes jeunes qu’il assène des coups de boutoir, ignorant en outre leur situation de pauvreté. Dans les catégories sociales de la Cnamgs, les étudiants sont pourtant classés « Gabonais économiquement faibles », mais il faut les paupériser davantage. Quand Mckinsey, avec Sylvia Bongo, dresse son tableau de la pauvreté au Gabon, payé à coup de milliards de notre franc colonial, pourtant ses indicateurs permettent d’éviter l’oppression faite à cette catégorie venant souvent de familles pauvres. La bombe lacrymogène vaut, de nos jours, la formation d’un étudiant. Et de me demander si l’Etat a une morale.
Ils seront nombreux à courir pour raconter à quelques esprits crédules que l’Etat est un monstre froid où « Force est donnée à la loi ». Pourtant, depuis l’anthropologie morale, on sait que l’Etat est ce qu’en font les hommes et, par eux, on peut faire une lecture éthique de la politique publique. Pour moi, en tout cas, il n’y a pas de politique sans morale, seuls ceux qui échouent en morale ont tendance à lui nier une place en politique. Mais il faut s’interdire de moraliser. Passons. En l’espèce, on est en droit de se demander si l’Etat veut seulement revendiquer le monopole de la violence légitime (Weber), ou peut-il être aussi de l’école du contrat social (Rousseau), en privilégiant un agir communicationnel (Habermas) d’où apparaissent la bienveillance et la compassion.
Avec un médiateur de la République dans nos murs, incarné par Laure Olga Ngondjout, on pourrait croire que l’Etat est conciliant par le dialogue. Mais l’expérience historique montre bien que l’Etat d’Ali Bongo s’exhibe dans la violence, privilégiant la répression contre la bienveillance. Quelques années plus tôt, l’augmentation des bourses d’études et leur généralisation furent pourtant des signes qui donnèrent l’illusion d’une compassion à l’égard des étudiants, mais des actes ultérieurs montrèrent plutôt que ces signes étaient éphémères, marqués du sceau du « préfabriqué ». Ali Bongo, comme nombre d’enseignants, tomba dans cette « mythologie de l’étudiant », âme insurrectionnelle vivant dans un Etat providentiel. En 2014, les étudiants de l’UOB habitant le campus universitaire furent sommés de quitter les lieux manu militari, tandis que le restaurant fut toujours frappé de précarité pour se résoudre à le fermer.
Et pour conforter la fin de l’Etat providentiel, les enseignants en rajoutèrent avec ces fascicules et livres marchandés sans aucun principe régulateur. L’étudiant en devint un ennemi, plus rien ne lui sera concédé, sauf les petites combines avec ces mêmes enseignants qui se prévalent d’un génie en critiquant leurs étudiants, oubliant qu’« Un étudiant dont les conditions de vie sont mauvaises peut difficilement être un bon étudiant » (Rapport d’évaluation Auf, 2010). C’est vrai qu’ils ne sont pas toujours des enfants de chœur, mais les généralisations excessives ne disent jamais la vérité.
Ponctionner les frais de scolarité à la bourse de la rentrée comme par le passé
La conduite du changement est complexe et difficile, et le spécialiste sait que les agents promis à le subir et parfois à en tirer le meilleur dividende en sont les premiers réfractaires. Puisque les étudiants ne sont pas les ennemis de l’administration rectorale ni du gouvernement, ni du candidat des jeunes « Ya Ali » (dixit lui-même), l’évitement du conflit vaut mieux que le conflit. Et sans se réduire à la dénonciation d’une politique publique contestable, il est bon de se souvenir d’anciennes méthodes qui peuvent ressembler aujourd’hui à de l’innovation.
Les étudiants résidant au Campus à l’époque ne payaient pas, en début d’année, leur loyer. La méthode était simple. Lorsque le CNOU payait les bourses, il retirait la somme correspondant à la location trimestrielle des chambres. C’était simple et efficace, notamment pour les étudiants boursiers. Aujourd’hui, les étudiants sont généralement boursiers, pourquoi ne pas ponctionner à la source tout au long de l’année, l’équivalent des frais d’inscription et d’écolage ? Il y a au moins trois avantages à cela.
D’abord, les étudiants percevront enfin leur trousseau scolaire en début d’année. L’Etat serait obligé de payer ces bourses au début de l’année académique, plutôt que d’attendre décembre et plus ! Une telle bienveillance baisserait la pression économique chez les étudiants et ne ferait aucun mal à l’Etat. Ensuite, le procédé permettrait d’éviter l’acharnement des policiers et les déluges éreintants des gaz lacrymogènes au sein de l’université. Un nouveau conflit social à l’université perturberait comme d’habitude le calendrier académique, sans oublier l’impact négatif sur les activités de recherche. Enfin, l’Etat aurait accordé une égalité de chances à tous les Gabonais désireux de se former à l’université. Et l’on aura compris que l’Etat reprend de la main gauche ce qu’il a donné de la main droite, il y a quelques années.
Privatisation de l’université : entre escroquerie et gouvernance universitaire claudicante
Quant aux étudiants non boursiers, il serait judicieux de créer des catégories, celles en capacité de payer et celles en situation sociale délicate. Pour cette dernière catégorie, une commission sociale peut statuer pour définir les critères de recevabilité de leur dossier et les méthodes de paiement. L’empressement dans cette mesure n’a pas permis d’ouvrir larges les possibilités. Mais il n’est jamais trop tard. Tout ceci garantirait l’économie d’un conflit inutile de trop. Et, évidemment, il faudrait diminuer le taux d’augmentation. A plus de 400%, il ressemble à une escroquerie et à une privatisation de l’université publique. Qu’importe si aux Etats-Unis, la formation universitaire coûte chère.
L’augmentation tant souhaitée des frais de scolarité peut se faire de manière progressive. Ce taux donne aujourd’hui l’impression, mais c’est sans doute vrai, que l’Etat abandonne l’enseignement supérieur public et veut faire payer aux étudiants sa mauvaise gestion. Car nul ne peut croire que l’argent manque dans ce pays alors que l’Etat est encore en capacité d’acheter treillis et gaz lacrymogènes. Le débat sur la réduction du train de vie n’a jamais donné lieu à des mécaniques d’évaluation. Or, si les finances publiques sont grevées, elles ne le sont pas par le fait des étudiants mais par une gestion inconsciente et irrationnelle dénoncée depuis des années et qui nous oblige à des ajustements structurels souhaités par le FMI, du fait d’une perfusion financière qui ne relancera point notre économie nationale.
A cette allure, il ne faudra pas s’étonner que, l’Etat devenant de plus en plus pauvre à cause d’une évidente mauvaise gestion, la dilapidation des deniers publics, le manque de diversification de l’économie nationale, renonce à accorder l’assurance maladie aux Gabonais économiquement faibles. Tout cela participe, en effet, selon l’entendement du régime dynastique et de ses soutiens, de l’Etat-providence octroyé aux Gabonais qui finissent par rêver de gratuité pour tout. Lui seul a droit à la gratuité. Pour faire une petite digression, les enseignants de l’UOB paient depuis quelques années leurs frais de mission à l’étranger autant qu’ils financent les ouvrages collectifs et les colloques. Pour être compétitifs dans un marché des savoirs hautement concurrentiel et ne pas décrocher, les enseignants se sont déjà substitués à l’Etat. Leurs projets de recherches et leur organisation jusque dans les laboratoires ressemblent davantage à des structures orphelines de l’autorité administrative cherchant dans le tâtonnement un fonctionnement régulier introuvable.
Les universités gabonaises croulent sous le poids d’une gouvernance politique, administrative et financière qui les étrangle. La politisation des universités, l’abandon dans la déliquescence sociale de l’enseignant et de l’étudiant, ont fini d’éprouver des modes de financement improductifs et de rendre l’université insignifiante. Le rapport d’évaluation de la gouvernance de l’Université Omar Bongo en 2010 a fait un diagnostic qui paraît sincère même s’il ne couvre pas l’ensemble des secteurs. Une série de recommandations sont faites dans le domaine de la gouvernance universitaire. Ce diagnostic et les états généraux de l’enseignement supérieur organisés en 2011 ont coûté sans doute beaucoup d’argent.
Or, appelant toujours un remède, tous les diagnostics faits chez nous se bornent à leur portée constative. Ou, plutôt, le constat relevé attendait-il un traitement curatif des problèmes posés ? Sinon il n’était pas utile de dilapider les deniers publics pour des problèmes qu’on savait insolubles. Pour l’instant, tant que l’Etat décharge les gaz lacrymogènes sur les populations civiles, les étudiants entre autres, il est difficile de croire qu’il n’a plus d’argent. Qu’il revisite ses priorités, que l’argent consenti pour la répression soit investi dans des politiques de bienveillance. Et l’on sera délivré.
*Enseignant-Chercheur à l’UOB, Membre du Club 90, auteur de Le Gabon une démocratie meurtrière (2016)