Les mélomanes gabonais et même africains ont du mal à retenir leurs larmes depuis l’annonce, il y a quelques heures, du décès à Bongolo dans le sud du Gabon, de l’artiste musicien Kacky Disco que bon nombre ont découvert sous l’étiquette des « Codos », groupe de jeunes musiciens qui se désagrège au fil du temps et dont le premier départ signalé dans l’au-delà fut assurément celui de Bimbouza Chakara. Dans un monde où foisonnent des rythmes venus presque tous d’ailleurs, la particularité de Kacky Disco et de ses amis était qu’ils empruntaient au terroir son patrimoine, le valorisant, galvanisant les foules et renvoyant chacun vers des temps immémoriaux. Ce qui fait que sa perte soit admise comme quelque chose de cruel.
L’homme qui vient d’être arraché à l’affection de ses fans est parti un peu comme son aîné Nono Michima, alors qu’il était au sommet de son art, invité à prester sur les terres qui l’ont vu naître, à l’occasion d’une cérémonie festive comme il les aimait. Pris d’un malaise et embarqué brutalement par la grande faucheuse à la fleur de l’âge peut-on dire, le vaillant « codos » a rendu l’âme dans la nuit de dimanche 3 août dernier à Bongolo, aux mains des toubibs qui s’employaient à lui rendre la vie, mais finalement désolés de n’avoir pu le faire.
Que lui est-t-il arrivé se demandent des âmes inconsolables qui gardent de lui en dehors de son aura personnelle, le souvenir de nombre de ses prédécesseurs dont Mounanga Paul qui ont fait danser les populations de la province de la Ngounié et celles avoisinantes de la Nyanga, de l’Ogooué- Lolo, voire du Haut-Ogooué, pour ne pas dire du Gabon tout entier aux premières lueurs de l’indépendance du pays dans les années 60. Quel gâchis ! Avancent d’autres, parmi lesquels des membres de sa famille à qui nous avons rendu visite à la maison mortuaire ici à Libreville d’où il est parti pour l’hinterland.
Histoire de faire comprendre à ceux qui leur prêtent une oreille attentive que Kacky Disco n’était pas que l’artiste que l’on admirait, mais aussi un père de famille attentionné, un maillon fort d’une chaîne qui souffrira longtemps de l’avoir perdu. Au-delà de tout ce qui peut être avancé ci et là se pose le problème du suivi médical de nos artistes qui, comme les sportifs, méritent un traitement de faveur en ce qu’ils sont des conservateurs, des agents qui perpétuent, au même titre que d’autres artistes, nos valeurs et des hommes sur lesquels ont s’appuient pour refaire notre monde.
L’exemple de Papa Wemba nous interpelle !
A son époque, Mobutu Sese Seko, conscient de ce que les artistes tels les Franco, Rochereau et autres Prince Nico contribuaient à moraliser la société et à apaiser le climat socio-politique souvent délétère, leur accordait une certaine importance dans la stratification sociale au Zaïre. D’où certains d’entre eux étaient promus à des fonctions électives parfois pour représenter des communautés dont le statut ne permettait pas d’avoir voix au chapitre. L’artiste musicien était une icône et son état influait sur celui de la société. C’est pourquoi, des facilités leur étaient offertes pour qu’ils se soignent convenablement et continuent d’être de fidèles ambassadeurs de leur pays sur la scène internationale.
Que n’a-t-on pas vu à la mort de Papa Wemba sur scène à Abidjan ? La Côte-d’Ivoire administrative et diplomatique s’est mobilisée aux fins d’envoyer au monde un et un seul message : « sois le meilleur où que tu sois ! ». Pour ce faire, chaque Etat doit se préoccuper un tant soi peu du sort de tous ceux qui fédèrent. C’est le lieu d’évoquer la sempiternelle question des droits d’auteur retournée pourtant dans tous les sens, mais sans jamais donner de véritables garanties aux créateurs des œuvres de l’esprit. Dieu seul sait si Kacky Disco n’en n’était pas un.
Le combat pour la perpétuation d’un rythme
Qui après lui pour faire danser plus d’un mélomane à sa manière, avec les rythmes du terroir s’imprégnant de nos cultures et valeurs profondes ? Aura-t-il un ou de dignes successeurs ? Question pertinente si l’on tient compte du fait que notre univers est plus que jamais noyé par des musiques qui nous viennent d’autres cieux. C’est ici que l’on peut considérer à juste titre le décès de Kacky Disco comme une grande perte, comme une faille qu’il faudra combler.
Combien de nostalgiques sont-ils restés à penser à la manière de l’africaniste Birago Diop qu’il n’est cependant pas mort ? Ils risquent malheureusement de se détromper puisque cet habitué du « live » ne sera plus jamais vu sur scène, son lieu de prédilection. Mais, l’accepteront-ils avec autant de facilité ? Ce qui est sûr, c’est que le Gabon vient avec la mort de cet artiste musicien de connaître un autre moment fort de son existence, même si les politiques culturelles maintes fois vantées n’ont pas souvent remportées les résultats escomptés. N’est-ce pas le moment, ce après que l’on ait paradé lors de la fête des cultures, de s’asseoir pour murir une réflexion sur la vie des artistes en général, des artistes musiciens en particulier ?
Ce d’autant plus que celle-ci n’est pas souvent rose puisque faite de matraquages, d’instabilité, d’incompréhension, de rejet par moments, ce qui n’est pas pour faciliter leur éclosion. Or, la mondialisation devrait nous imposer de nouveaux schémas passant par la conservation et la valorisation de notre patrimoine culturel, comme a su pendant tout son règne le faire Kacky Disco. Qu’est-ce qu’alors qu’être sur la voie du développement si l’on ne se connaît même pas ?