Venant à la suite d’autres affaires de corruption jamais élucidées, la déchéance du désormais ancien directeur général des Hydrocarbures suscite des interrogations.
À la manière de Kronos ou Saturne, le régime en place est-il condamné à dévorer ses enfants ? Après Etienne Ngoubou, Magloire Ngambia, Blaise Wada et tant d’autres (lire «Etienne Ngoubou en prison» et «Magloire Ngambia à Sans famille»), Jacob Thaty Tsioba vient d’être frappé de déchéance. Une fois encore, la rumeur évoque des soupçons de détournement de deniers publics. Comme toujours, certains crient au règlement de comptes. Fera-t-on la lumière sur toutes ces affaires un jour ? En connaîtra-t-on le fin mot à un moment ? C’est le souhait de tous les partisans de l’État de droit. C’est aussi le sens du combat de tous les défenseurs de la république. Surtout, dans un contexte où la lutte contre la corruption suscite doutes, circonspection et railleries (lire «Diversion et coup de semonce»).
Tous pourris
Le désormais ancien directeur général des Hydrocarbures est-il victime des luttes d’influence au sein du sérail ? C’est envisageable. A-t-il été sacrifié pour laver l’honneur souillé de son ministre ? C’est à craindre. Nommé après les déboires d’Etienne Ngoubou, Pascal Houangni-Ambouroué est, en effet, soupçonné d’avoir pris quelques libertés avec l’orthodoxie administrative, au point de saper son autorité. Au sein de l’opinion publique, sa crédibilité, son intégrité et sa capacité à incarner le renouvellement de l’élite politique en ont été écornées. Une lettre à travers laquelle il demande au directeur général des Hydrocarbures de procéder au remboursement de frais occasionnés par un déplacement à Port-Gentil circule sur les réseaux sociaux. Pis, la rumeur parle de 106 millions de francs pour deux jours de villégiature ! Rien de plus, ni de moins.
Certes, le secteur pétrolier ne brille pas toujours par sa transparence. Certes, la direction générale des Hydrocarbures gère des fonds alimentés par les entreprises privées. Certes, ce mécanisme est destiné, entre autres, au financement des formations, travaux de maintenance et même au paiement des frais de mission. Un ministre a-t-il, pour autant, le droit d’exiger la prise en charge d’un voyage de détente, fut-ce pour participer à une manifestation sportive sponsorisée par un opérateur pétrolier ? Le directeur général des Hydrocarbures est-il fondé à gérer ces financements à sa guise, au gré de ses intérêts et humeurs ? Pour préserver l’autorité de la puissance publique, ne faut-il pas clarifier la gouvernance de ces fonds ? N’est-il pas nécessaire de les doter de statuts juridiques clairs et d’un exécutif indépendant ?
Eu égard à toutes ces questions, le gouvernement a eu tort de donner à «l’affaire Thaty Tsioba» le retentissement actuel. Politiquement, il pourrait en payer le prix : sans une campagne d’explication, le limogeage du directeur général des Hydrocarbures sera toujours perçu comme une mesure de rétorsion. En absence d’échanges contradictoires, cette affaire exhalera toujours des effluves de corruption, légitimant l’usage du «tous pourris». Or, cette assertion nourrit le rejet de l’actuelle majorité. Elle fait le lit à la contestation. De tout temps, le refus de la prééminence des intérêts privés dans la vie publique a été au fondement des révoltes populaires voire des révolutions. Le gouvernement aurait-il perdu de vue cette réalité historique ? Les événements l’attestent. Après les vaudevilles mettant en scène Magloire Ngambia, Etienne Ngoubou ou Blaise Wada et même les révélations concernant Yves-Fernand Manfoumbi, cette nouvelle affaire en rajoute au discrédit et au déshonneur de l’élite dirigeante actuelle. Sans exception aucune.
Equipée suicidaire
Pour le gouvernement, la déchéance de Jacob Thaty Tsioba pourrait avoir un effet boomerang. Au sein de l’opinion publique, sa campagne de lutte contre la corruption pourrait devenir une basse entreprise d’épuration politique ou administrative. Plus grave, la mise en œuvre de son Plan de relance économique pourrait se heurter aux réticences et revendications des parties prenantes. Comment susciter l’adhésion à une supposée garantie d’orthodoxie de gestion quand les hauts fonctionnaires et membres du gouvernement sont systématiquement accusés d’enrichissement sans cause ? Comment défendre des solutions innovantes quand les investisseurs privés sont soupçonnés d’avoir grugé l’État ou d’alimenter des fonds occultes ? Comment promouvoir la justice sociale quand les textes semblent être au service exclusif des uns ? Comment mobiliser les parties prenantes quand l’épée de Damoclès d’une justice à la carte peut s’abattre à tout moment sur chacun ? Comment parler de transparence quand la lumière n’est jamais faite sur les affaires de corruption, même en cas d’incarcération des accusés ?
Assurément, il y a un désir de transparence. Il y a urgence à faire la lumière sur l’ensemble des affaires en cours. Autrement dit, leur traitement au fond est une nécessité. Il ne s’agit ni de se donner bonne conscience à peu de frais, encore moins de liquider des personnalités jugées gênantes. Il est plutôt question d’organiser des procès équitables, respectueux des droits de la défense, y compris le privilège de juridiction (lire «Ngoubou et Ngambia, simples citoyens ?»). Cela suppose de documenter les agissements des uns et des autres. En prend-on le chemin ? On peut légitimement en douter. Pour l’heure, le gouvernement poursuit son équipée suicidaire. Jusqu’à quand ?