Lors de la dernière conférence des ministres africains de l’Environnement, tenue à Libreville, le président du Groupe africain des négociateurs sur le climat, s’est exprimé à travers plusieurs médias de la presse gabonaise sur la volte-face américaine quant à l’application des résolutions de l’Accord de Paris sur le climat, du financement du Fonds vert, de l’impact des changements climatiques sur les économies africaines, des efforts que doivent réaliser les Africains afin de mobiliser davantage de fonds auprès des guichets spécialisés, ainsi que des spécificités de la finance climat.
Il y a environ deux ans, lors de la Cop 21, à Paris, les pays développés avaient décidé d’apporter leur contribution financière aux pays non pollueurs. Mais depuis, pas grand-chose ne filtre de ce côté?
A Paris, nous avons, en tant que Groupe de négociateurs africains, recensé tous les engagements qui ont été pris par les différents organismes bilatéraux et multilatéraux, les fonds climat et autres. Le Fonds vert pour le climat qui est aujourd’hui le mécanisme international dédié pour financer la lutte contre les changements climatiques, a été capitalisé en 2014, un an avant Paris, à hauteur de 10 milliards de dollars. Ce fonds est d’ailleurs actif. L’Afrique y a sept administrateurs et il commence à décaisser. On a un portefeuille africain d’à peu près 4,3 milliards $ de projets. Ça, c’est un mécanisme. Les pays développés ont pris un engagement en 2009 pour mobiliser les fameux 100 milliards $ par an, à partir de 2020. Nous avons toujours demandé d’avoir une feuille de route. De savoir où nous en sommes dans la mobilisation de ces ressources-là. Combien vont à l’adaptation, à la réduction des émissions. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, NDLR) a fait un rapport, il y a deux ans, pour nous indiquer que les pays développés étaient à peu près à 63 milliards de dollars par an. Donc ils doivent monter encore d’à peu près une trentaine de milliards de dollars pour 2020. Tous les ans, ils font un rapport sur cette mobilisation. Ce qui passe par le fonds vert, c’est spécifique. C’est les 10 milliards $. Les Etats-Unis avaient pris un engagement de 3 milliards $. Donc 30% de ces 10 milliards. Barack Obama avant de partir, avait déjà décaissé 1 milliard $. Il restait 2 milliards $ qui ne vont pas être décaissés puisque Trump a été clair sur le fait qu’il ne va pas les donner.
Avec le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris, les Africains y voient déjà un échec de ce soutien. Quel en sera l’impact ?
Ça ne posera pas de problème dans l’immédiat parce que le Fonds lui-même ne décaisse pas encore 2 milliards de dollars par an. Puisqu’il a déjà décaissé à peu près 1milliard et quelques, il reste encore 6 milliards $. Donc on a encore trois années durant lesquelles on peut fonctionner si on reste à 2 milliards $ par an. Ce qui risque de se passer probablement, c’est que le Fonds doit être reconstitué. C’est-à-dire que quand on consomme 70% des ressources du fonds, on doit commencer un processus de reconstitution. Et le processus de reconstitution du Fonds vert va démarrer beaucoup plus vite que prévu parce qu’il n’y aura pas les 2 milliards $ des Etats-Unis. Donc, on n’arrivera pas à un moment ou à un stade où le fonds va arrêter de fonctionner. On va tout simplement le reconstituer beaucoup plus tôt que prévu.
En quoi la finance climat est-elle spécifique ?
La difficulté fondamentale avec la finance climat aujourd’hui, c’est une question d’accès. C’est-à-dire que les fonds existent, mais les pays africains, le secteur privé africain, les gouvernements, les collectivités territoriales ou locales ont des problèmes pour y avoir accès.
Lesquels ?
Généralement c’est un problème de capacité. C’est vrai que ce n’est jamais facile de mobiliser de l’argent à l’international parce que chaque fonds, chaque mécanisme a des standards, des modalités, des lignes directives, des procédures assez spécifiques. Il faut des capacités.
Quelles peuvent être ces capacités ?
Nous, nous pensons qu’il y a trois capacités fondamentales qu’il va falloir renforcer pour augmenter la chance des pays africains ou le potentiel de mobilisation de l’Afrique. La première, c’est la capacité d’intégrer le climat dans la planification du développement. Tout le monde fait de la planification. Ce qui est nouveau, c’est d’intégrer, c’est-à-dire comprendre quel est l’impact du changement climatique dans tous les secteurs, sur tous les territoires. Parce qu’il faut des outils, il faut des instruments, il faut des méthodologies pour pouvoir faire ça. Comprendre exactement quel est l’impact du changement climatique sur l’érosion côtière, sur la salinisation des sols, sur l’agriculture, sur l’énergie, sur le transport. Ça, il faut des études assez fines. Parce que, avant d’avoir accès au financement climat, la première condition c’est de pouvoir expliquer ou quantifier l’impact du changement climatique sur le secteur que vous voulez adresser. Deuxièmement, c’est un métier que de savoir formuler des projets et des programmes bancables. Ça s’apprend. Il y a des gens dont le seul travail c’est d’écrire des projets et des programmes bancables. Ça, en Afrique, on n'en a pas beaucoup. On n’a pas énormément de collègues au sein des administrations publiques ou même privées, qui ont la capacité de faire ce travail. La dernière capacité, c’est de pouvoir suivre et évaluer les progrès. Donc d’avoir des cadres, des méthodologies encore et des procédures de suivi-évaluation de l’impact de ce que nous faisons.
Quel pourrait être l’impact des changements climatiques sur les économies africaines ?
Ce qu’il faut savoir, c’est que la grande majorité des pays africains a des économies qui reposent sur la gestion des ressources naturelles. Et les changements climatiques induisent une raréfaction de ces ressources. Pour une grande majorité de l’agriculture africaine qui est une agriculture basée sur la pluie, quand il y a une déstabilisation du régime pluviométrique, ça rend la production agricole victime de ces changements-là. A cela s’ajoutent les inondations et les périodes de sécheresse qui provoquent une grande incertitude sur les économies, une grande précarité pour les populations également. Nous sommes à Libreville, donc sur la côte Atlantique, l’un des impacts les plus importants va être l’érosion côtière. Dans le Sahel et le Sahara, le plus grand impact va être l’avancée du désert. Il y a aujourd’hui un lien très fort entre dérèglement du climat et intensification du processus de désertification. Il y a aussi un lien très fort sur le système pluviométrique. Avec les changements climatiques, on a de plus en plus de mal à prévoir la saison des pluies. C’est-à-dire qu’il y a une interférence entre les deux systèmes tant en matière de fréquence de pluie, de quantité et de distribution par rapport à la saison. Tout ça induit énormément d’incertitudes et de risques par rapport à des économies qui sont basées sur la gestion des ressources naturelles et l’agriculture. Le dernier point, c’est la variabilité entre des événements climatiques extrêmes. Donc une alternance entre les inondations et les périodes de sécheresse qui s’intensifie.
Que faites-vous en tant que Groupe de négociateurs africains ?
Nous essayons, en tant que groupe de négociateurs africains, de mettre en place des programmes pour renforcer les capacités parce que les deux choses se tiennent. D’un côté, il y a des fonds, mais ces fonds-là répondent à des critères, à des procédures très spécifiques et, plus vous voulez des fonds, plus aussi on vous demande de respecter un certain nombre de critères, de procédures, de standards. Donc pas de prêts à taux zéro. Il y a des ingénieurs de gestion de projets pour pouvoir faire tout le cycle. Parce qu’il faut que vous fassiez un document pour mobiliser. Avec ce document il faut que vous expliquiez le lien entre le climat et ce que vous voulez faire. Ensuite, il faut mettre en place des mécanismes, des indicateurs de suivi-évaluation qui vont vous permettre de faire le suivi de la mise en œuvre de ce que vous faites. C’est un métier et nous sommes en train de travailler sur tous ces aspects.