Coordinateur général du Samu social lancé le 3 juillet dernier à Libreville, l’expert en santé publique est revenu avec Gabonreview sur le bien-fondé de cette médecine mobile d’urgence, entièrement gratuite.
Gabonreview : Qu’est-ce qu’un Samu social ?
Wenceslas Yaba Il faudrait d’abord relever deux choses primordiales. La première est que le chef de l’État, Ali Bongo Ondimba a apporté un soutien constant à ce projet comme aux autres projets que j’ai menés ici. Je suis cosignataire de la convention-cadre qui a été faite avec le Samu social international. Et je me réjouis que le ministre Emmanuelli ait accepté de venir au Gabon, avec une équipe importante composée du directeur de SOS Médecin Paris et de la directrice médicale du Samu de Paris.
Un Samu, c’est la médecine mobile d’urgence. Sauf que dans le cas d’espèce, il s’agit du Samu social, nous y intégrons l’exclusion, la pauvreté et la précarité qui sont les maux centraux de ce mandat du chef de l’État qui sont mis sous l’angle du pacte social, de la rénovation de l’accompagnent social. Nous avons le seul Samu social polyvalent d’Afrique. C’est un aboutissement qui mérite d’être encadré et améliorer les aspérités de ce projet.
Pourquoi son lancement au Gabon ?
Son lancement est favorisé par plusieurs points, d’abord un point indéniable, qui est l’enquête Mc Kinsey. 38% des Gabonais seraient pauvres avec 17% à Libreville, notamment dans les quartiers sous intégrés de la capitale qui regorge 56% de la population gabonaise. Vous imaginez Libreville qui est le plus grand centre urbain du Gabon avec autant de pauvres, de miséreux, de personnes incapables de se prendre en charge, des personnes exclues, des enfants dans la rue, des personnes qui n’ont que le ciel et la terre quand il y a un problème. Il fallait réduire considérablement la frontière entre l’État et les Gabonais. Il n’est pas normal qu’une femme qui a subi un incendie, une intempérie liée à la pluie, avec ses deux enfants de moins de six ans, se retrouvent dans un coin de sa maison et ne puisse pas composer le 1488 pour être hébergée le temps d’une nuit, ou appeler un service social pour venir s’occuper d’elle. Que quelqu’un qui est chez un tradipraticien, et qui ne peut être libéré depuis six mois parce qu’il n’a pas payé son traitement, ne puisse pas appeler l’État pour dire venez me chercher, je suis en train de mourir parce que la maladie n’est pas terminée.
Quelle différence existe-t-il entre le Samu social et le Samu médical?
Le Samu médical est payant et c’est 50.000 francs CFA quand vous appelez. Or, le Samu social lui, il est gratuit. Le Samu social ne s’occupe pas que des malades physiques, il s’occupe également des malades psychosociales. Une femme qui a une détresse psychologique, parce qu’elle a trouvé son mari avec sa propre petite sœur dans son lit et qui veut se suicider, peut appeler le Samu social ou un voisin peut appeler le Samu social pour signaler ce cas. Nous envoyons nos psychologues cliniciens pour la prendre en charge.
Comment fonctionne le Samu social ?
Nous sommes dans mon bureau et devant vous, il y a une table vide, si on me dépose quelque chose d’imparfait dessus, et on me demande d’attendre 10 ans pour obtenir quelque chose de parfait sur cette même table, je dirai donner-moi la chose imparfaite et je l’améliore, que d’attendre 10 ans. Pourquoi, je vous le dis? Bien sûr que le Samu-social gabonais n’a pas les ressources financières requises. Nous avons eu une petite enveloppe budgétaire pour faire le lancement, mais il est préférable pour moi, professionnel du sanitaire social gabonais, de lancer un outil qui s’occupe de ceux qui souffrent vraiment, au lieu d’attendre les milliards. Ou on est humaniste ou on ne l’est pas. Et quand on l’est, on fait avec peu et on attend les résultats.
Là, les ambulances fonctionnent 24H/24, le centre d’appel répond au 1488 24h/24, nous soignons les gens depuis soixante-douze heures. Je suis même ému de redécouvrir les gens qui n’ont rien. C’est ce que les Gabonais devraient faire dans tous les secteurs. Faites d’abord. Ne vous demandez pas d’abord comment vous mettrez du temps, ne vous ostracisez pas mentalement en vous disant si je fais, on va m’attaquer. Quand il n’y a pas, on fait et après on apprécie. Pensez-vous que l’État gabonais qui a soutenu le projet dira, les Gabonais sont maintenant habitué à bénéficier du Samu social, je ne finance plus ce dispositif-là qui calme la population? Non je ne pense pas. L’État gabonais est structuré et organisé. Le chef de l’État est derrière ce projet.
Je souhaiterais d’abord vous dire qu’on ne fait jamais, ce qu’on n’a jamais vu. Moi, je viens de France où j’ai été chef de projet, directeur au cabinet du ministère français de la Santé, j’ai vu des choses et le chef de l’État m’a demandé de rentrer au pays, il faut travailler au pays, j’ai obéi comme un vrai citoyen qui croit en son chef. Mais, vous savez que les pays en ressources limitées ont beaucoup de pesanteurs, liées aux différents problèmes que nous avons. Nous sommes très pessimistes et quand nous ne sommes pas pessimistes et quand ça marche, on a tendance à détruire ce qui est beau. Parce que nous sommes devenus Pavloviens.
Concernant les moyens, de fois, il faut réfléchir un peu avec les compatriotes, savoir transmettre la passion. J’ai appelé des médecins fonctionnaires qui travaillent à l’hôpital et je leur ai dit écoutez, vous aviez déjà un salaire, moi, je n’ai pas l’argent pour recruter des médecins qui ne travaillent pas et leur donner des salaires d’un million et plus, l’État n’a pas cet argent. Vous êtes fonctionnaires, vous travaillez à l’hôpital de 7h30 à 15h30, est-ce que vous aviez fait vos doctorats en médecin pour ne rien faire après 15h30? Je leur ai proposé de venir travailler au Samu social après 15h30 ou ils percevront une petite gratification. C’est ce que j’ai fait. Dans mon équipe, j’ai 10 médecins, j’ai 11 infirmiers diplômés d’État polyvalents de l’INFAS, j’ai 8 psychologues hospitaliers, du personnel dans le centre d’appel et quatre ambulances. C’est ce panel-là qui fait la masse de personnes qui travaillent au Samu social. Il faut savoir expliquer les choses, il faut être honnête. C’est une œuvre sociale, c’est la santé et le social qui se croisent pour le bien de tous et pour tout le monde.
Quel est l’objectif à court terme que vous comptez atteindre ?
Plusieurs objectifs. Mais le premier dans quelques semaines, il y a une dizaine de psychiatres qui arrivera ici avec des médicaments pour que nous nous occupions des problèmes de personnes ayant des troubles mentaux qui trainent dans nos rues. Nous allons les injecter, ils vont s’endormir, le jour même, ils seront perfusés et une fois un peu lucides, ils seront nettoyés, habillés et nourris pendant quelques jours, et après les psychologues du Samu social s’entretiendront avec eux pour comprendre leurs problèmes. Un traitement leur sera prescrit par la fin. Nous ne nous substituons pas à l’hôpital psychiatrique de Melen. Nous souhaitons simplement intervenir pour juguler ce phénomène de personnes qui errent dans les rues, il faut terminer avec cette image de Gabonais insensible.
Nonobstant, cet objectif immédiat, nous souhaitons répondre favorablement aux sollicitations. Circonscrire les problèmes médicaux, psychologiques, avoir une certaine médecine d’urgence et de proximité vis-à-vis des populations les plus vulnérables. Il est indécent pour quelqu’un qui a les moyens de payer ses soins, qui a un dispositif d’assurance-maladie pour payer ses soins, ne puissent appeler le Samu social parce qu’il y a des personnes qui en ont vraiment besoin. Il faut réduire la pauvreté.
Samu social à l’intérieur du pays ? Si oui pour quand ?
Le Samu social sera lancé à l’intérieur du pays à partir du quatrième trimestre 2017. Pour tout projet, il y a des paradigmes que vous ne maîtrisez jamais. Il y a des choses que je vais forcement découvrir. Les compétences, nous en avons au service social, l’argent, nous n’en avons pas beaucoup, mais ce n’est pas grave, mais il est indéniable qu’il sera rapidement mis en place à l’intérieur du pays. Libreville est un bon échantillon à titre exploratoire. Les Librevillois testeront le projet, ce qui fait que si c’est bon à Libreville, ce serait encore mieux à l’intérieur du pays.
Votre mot de fin
Notre pays, c’est un million et demi d’habitants. Nous vivons des choses ici que nous pouvons régler avec ou sans argent. Il y a plusieurs synergies qui doivent se mettre autour des projets qui sont mis en route. Or, il se trouve malheureusement et je le déplore, trop d’énergies, de chapelles et de lobbies sont constitués pour qu’aucun projet ne fonctionne. À la limite, pour que quand quelque chose se fait, qu’on le détruise, qu’on l’éteigne. Mettez-vous au tour de ceux qui dirigent le Samu social, de ceux qui ont conçu ce projet pour le Gabon, des partenaires internationaux puissants reconnus.