Participant à la conférence-débat organisée, le 1er juillet 2017, par l’association Imagine-Gabon, axée sur la recherche des solutions à la crise économique et financière qui frappe le Gabon, le Président directeur-général du groupe ACK, Alain-Claude Kouakoua, esquisse, dans cette interview accordée Gabonreview, ses pistes de sortie de crise.
Gabonreview: Vous avez assisté à la Conférence-débat organisée par Imagine-Gabon, consacrée à la recherche des solutions de sortie de crise. En tant qu’opérateur économique, que pouvez-vous proposer?
Alain-Claude Kouakoua: Au-delà de tous les plans qu’il y a eu, le Plan de relance économique (PRE) est bon et me semble crédible, mais sons succès passe par quatre conditions à remplir. La première condition est que tout le gouvernement soit solidaire. Il n’y a pas apparemment de solidarité au sein de ce gouvernement. Il y en a qui ne croit pas, ce n’est pas normal. Il faut que cette cohésion se manifeste autour du ministre de l’Economie pour que ce Plan puisse paraître aux yeux des nationaux comme crédible. Tous les ministères sont et doivent être impliqués. Et le ministre de l’Economie n’est que le commandant de bord du bateau, peut-on dire. Si les autres n’y croient pas, le bateau n’arrivera jamais à bon port. Deuxièmement, on doit payer la dette intérieure. C’est important pour relancer l’économie. Troisièmement, les sociétés de droits gabonais, détenues par les Gabonais doivent participer à cette relance. Le gouvernement doit faire un effort de soutenir les PME gabonaises pour qu’elles viennent renforcer et soutenir notre économie. Il faut noter que la PME est le socle de notre économie, c’est elle qui crée les emplois. Sans cela, on ne va pas réussir parce que si c’est pour donner de l’argent à des sociétés qui renvoient des capitaux à l’extérieur, on aura toujours un problème de liquidité. Le gouvernement doit donc soutenir ce pan de notre économie en aidant les PME et en faisant en sorte qu’elles soient présentes dans tous les secteurs d’activités, il y a des opportunités, il y a des possibilités. Pour terminer, quatrièmement, ceux qui ont réussi, qui ont pris de l’avance doivent aider les autres, les former parce que le métier d’entrepreneur ne s’apprend pas à l’école. Par ailleurs, le ministre de l’Economie devrait pouvoir faire des évaluations tous les trimestres, tous les semestres pour voir ce qui est fait et ce qui n’est pas fait pour qu’on le suive stricto sensu. Il faut qu’on aille jusqu’au bout. Il faudrait que tous les opérateurs économiques soient impliqués dans cette relance économique. Qu’est-ce que cela signifie? Cela veut dire que les Gabonais doivent s’approprier ce plan et le gouvernement doit faire tout pour créer des emplois, parce qu’il y a trop d’argent qui sort. On a un problème de liquidité. Vous ne pouvez pas relancer une économie en empruntant seulement de l’argent à l’extérieur alors que localement, il y a de l’argent mais les entreprises qui en bénéficient ne sont pas nationales. Regardez, tous les jours, toutes les semaines, tous les mois tout l’argent qui sort du Gabon. Comment voulez-vous créer de la richesse quand on sait qu’il n’y a pas un problème de liquidité ?
Vous donnez, en quelque sorte, raison à Bruno Ben Moubamba qui estime qu’on aurait pu se passer du prêt du Fonds monétaire international (FMI)?
Non! On n’avait pas le choix. Nul n’est prophète dans ce monde. Les cours du baril, ce n’est pas le Gabon qui les dicte. C’est une crise mondiale. Elle n’est pas unique au Gabon. Nous subissons les fluctuations du cours du baril. Donc, on n’avait pas le choix. Mais pour soutenir économiquement notre pays, il faudrait que les Gabonais s’approprient tous les secteurs d’activités dans le pays. Le mal du Gabonais, c’est le Gabonais lui-même. Le Gabonais préfère voir l’étranger gagner l’argent et voir son frère ou sa sœur souffrir. C’est inadmissible après plus de 50 ans d’indépendance. Le jeune qui balaie la rue-là, est-ce un Gabonais? Un Gabonais ne peut-il pas balayer la rue?
Que faut-il donc faire pour changer la donne?
C’est la politique. S’il n’y a pas une volonté politique, une volonté gouvernementale de dire: désormais telles branches d’activités sont réservées aux nationaux, on ne s’en sortira pas. A-t-on besoin de sortir de Harvard ou de HEC pour gérer une station-service? Un Gabonais ne peut-il pas gérer une station-service? Pour une fois encore, il faut une volonté politique. Ils ont fait référence au Rwanda qui s’est relancé avec une économie avec des Rwandais. Il y a eu une volonté de dire que tel secteur ou tel autre est exclusivement réservé aux Rwandais. Et ça marché. Lorsque vous allez là-bas, on vous dit que ce métier ou ce travail dans tel ou tel autre secteur est exécuté par des Rwandais. Et nous, quelle référence de ce genre avons-nous dans notre pays ?
Est-ce possible, pour le moment au Gabon ?
Il faut bien qu’il y ait un début. Olam a réussi au Gabon pourquoi? Parce qu’il y a une volonté politique. Si l’Etat dit Mika Service va faire aujourd’hui des routes, du BTP et le travail est bien fait, moins cher et de bonne qualité, derrière cela, n’est-ce pas une volonté politique? Il faut simplement qu’il y ait une volonté politique pour changer les choses.
On parle tellement de Plan de relance économique qu’on a l’impression qu’il s’agit d’une potion magique. N’est-il pas déjà voué à l’échec lorsqu’on voit ce que sont devenus d’autres plans, programmes et projets?
Il faut savoir que pour le PSGE (Plan stratégique Gabon émergent), il fallait que chaque ministère s’approprie des plans sectoriels. Mais ils ne l’ont pas fait. A qui la faute? Lorsqu’on fait ce type de plans, ayons des deadlines en disant qu’au bout d’un an, par exemple, on aboutira à tel résultat. Cela permettra de faire des ajustements et de rectifier le tir lorsqu’il le faut. Le ministre est-il vraiment chef aujourd’hui? Peut-il vraiment donner des ordres à son directeur général? Il faut donc laisser le ministre aller jusqu’au bout de ce qu’il fait aujourd’hui. La dette intérieure sera payée. Nous, en tant qu’opérateurs économiques, nous y croyons. Mais, de grâce, l’Etat doit faire en sorte que les opérateurs économiques soient des nationaux. Ça ne doit pas être des gens qui, tous les mois, font dans la fuite des capitaux.
Ne craignez-vous pas, à la fin, d’être taxé de xénophobe?
Pourquoi? Ce n’est pas cela la xénophobie. Que l’étranger nous apporte sa force de travail, mais qu’il ne vienne pas prendre le petit travail que le Gabonais peut faire. Quand il vient chez nous c’est pour nous apporter sa force de travail, c’est -à-dire ce que nous ne savons pas faire. Or, nous Gabonais, préférons donner le travail qu’un Gabonais peut faire à un étranger. Ce n’est pas normal, ce n’est pas logique! Combien de chômeurs y a-t-il aujourd’hui au Gabon? Les Gabonais ne sont pas des paresseux comme on le prétend. Tout ça c’est du passé, c’est fini ! Tout le monde veut travailler. L’administration ne peut pas, aujourd’hui, absorber tous les étudiants qui sortent des universités et écoles. On peut les recycler. On a parlé de formation, c’est bien. Vous êtes sociologue, vous êtes historien, on n’a pas de place pour vous. Bon, on vous envoie gérer une station-service, par exemple. On apprend à gérer une station-service. On va gagner 700.000, 800.000, 900.000 voire un 100.000 de francs nets par mois, après charges. Le directeur de l’administration centrale ne gagne pas un million net par mois. Il faut envoyer tout le monde dans le secteur privé. Il faut s’approprier notre économie…
Mais il faut des mécanismes pour accompagner cela…
C’est vrai, il faut des mécanismes. Il faut une banque d’accompagnement. Le ministre de l’Economie a parlé d’une banque de l’Investissement ou bien on remet de l’argent dans la Banque gabonaise de développement (BGD). Il faut se dire maintenant que si quelqu’un a un projet qui est crédible, on dit tels ou tels secteurs d’activités sont réservés aux nationaux, il y a un financement. La Chambre de commerce et la Confédération patronale sont là. Elles peuvent bien encadrer les nouveaux qui ne sont pas formés dans le monde des affaires. On n’apprend pas le monde des affaires à l’école. Vous sortez avec un diplôme, vous avez une capacité de réflexion, d’action, de saisir les problèmes, mais l’homme d’affaires se fait par le travail, sur le tas. Les difficultés et les réussites se trouvent sur le terrain.