Tous les étudiants en économie le savent : les choix publics sont guidés par trois éléments essentiels. D’abord, la nécessité d’agréger les attentes individuelles dans un cadre démocratique. Ensuite, le désir de l’administration de faire la preuve de son utilité. Enfin, la volonté du Parlement d’attester de son efficacité au service de l’intérêt général. Il en est ainsi partout dans le monde et depuis un peu plus de deux siècles maintenant. Si le déroulement des scrutins politiques a toujours des répercussions sur la gouvernance, les fonctionnaires ont généralement tendance à privilégier leurs administrations respectives. Députés et sénateurs cherchent, pour leur part, à satisfaire avant tout leurs électeurs, au point de subir la dictature du court terme.
Causes de la situation actuelle
Au sortir d’une présidentielle heurtée, chaotique et meurtrière tout cela se ressent évidemment dans la loi de finances rectificative, adoptée par le gouvernement le 19 mai dernier. Et pas toujours de la plus belle manière ! Pour l’Union nationale, «la situation budgétaire et financière du Gabon porte un nom : faillite» (lire «Le Gabon est un Etat en faillite»). Selon son commissaire national en charge du Budget, sur le volet ressources, «les prévisions budgétaires annoncées ne sont pas sincères». Côté charges, il dénonce des arriérés de paiements de plus de 800 milliards de nos francs, prédisant même l’aggravation de cette situation et partant, l’augmentation de la dette nationale. Autrement dit, sur 2 860 milliards de charges, le Gabon dispose seulement de 1 714,6 milliards en ressources propres, les 1 145,4 milliards restants devant provenir de prêts concessionnels divers. Conclusion de Jean Gaspard Ntoutoume Ayi : «La loi de finances rectificative confirme l’état de dégradation de la situation budgétaire et financière de l’État, l’irresponsabilité du pouvoir et l’amateurisme de ses choix politiques».
Sur ce sujet, il serait intéressant d’entendre le point de vue du Conseil national de la comptabilité. Le patronat, l’Ordre des experts-comptables et la Chambre de commerce vont-ils se rendre complices d’une forfaiture de grande ampleur ? On en vient aussi à s’interroger sur la sincérité du rapport d’audit des finances publiques rendu en avril de l’année dernière par Jean-Fidèle Otandault. Du coup, l’on aimerait bien avoir le sentiment de la Cour des comptes sur l’état réel du pays. Et pour cause, la loi de finances rectificative fait apparaître la volonté pour le Gabon de recourir à des appuis budgétaires. Si ce mécanisme a déjà été utilisé dans le passé, ça a toujours été au bénéfice de secteurs bien précis. Jamais, il n’a eu une portée générale. Le gouvernement ayant, depuis toujours, affirmé vouloir assainir les finances publiques et diversifier l’économie, ce fait inédit mérite des explications. Au-delà, il serait bon de rechercher les causes profondes et structurelles de la situation actuelle.
Analyse des rapports de forces
Dans un premier temps, il faudrait analyser les fondements de la gouvernance. L’identification des forces et la compréhension des luttes sont un impératif. Autrement dit, l’analyse des interactions, rapports de forces et jeux de pouvoirs est nécessaire. Sur les élections politiques, les nominations dans la haute administration, la justice, le droit des biens, le régime des obligations et transactions, la répartition des richesses, il y a tant de choses à dire. Surtout il y a tant de détails susceptibles d’éclairer d’un jour nouveau les options de l’Etat sur le fonctionnement, l’équipement ou les interventions. Faute de le faire, on ne comprendra jamais vraiment les raisons de l’augmentation des dépenses de biens et services. Est-ce pour contenter les inconditionnels du régime ? Est-ce pour s’assurer la dévotion des institutions ? Est-ce pour irriguer les tentacules de la pieuvre Delta synergie (lire «Anatomie de la sangsue financière Delta synergie») ? On ne peut l’affirmer définitivement. Pour l’heure, le gouvernement se montre incapable d’impulser une réduction du train de vie de l’Etat.
Dans un second temps, il y a nécessité de se pencher sur le rôle du Parlement, notamment l’Assemblée nationale. Ayant vu leur mandat prorogé, les députés sont enclins à toute forme d’arrangement d’arrière-boutique. Plus grave, visiblement satisfaits de la situation actuelle et s’attendant à une nouvelle prorogation, ils ne sont plus en capacité de porter un son de cloche dissident. Ils sont même désormais prêts à se muer en relais du gouvernement voire à laisser les couches les plus fragiles de la population à leur triste sort. La baisse des dépenses d’intervention, notamment la suppression de la subvention de 3 milliards au bénéfice des indigents ou la coupe effectuée dans l’allocation pour les bourses des étudiants ne devraient nullement les émouvoir. Ils ne devraient pas non plus être plus soucieux du sort des retraités, délestés de près de 10 milliards de francs. Loin de toute considération juridique, économique, sociale ou politique, leur attitude est avant tout politicienne. Pour ainsi dire, la confection et le vote de la loi de finances rectificative obéissent d’abord à des impératifs de conservation du pouvoir politique voire de survie du régime.
Le Conseil des ministres a adopté le projet de loi de finances rectificative. Mécaniquement, le Parlement le votera. A ce jour, seule l’Union nationale a livré son sentiment, mettant en garde les parlementaires contre le vote de ce budget. Mais, dans le contexte actuel, il en faut davantage. On ne peut laisser la négociation d’un plan d’austérité se dérouler sans éclairer les protagonistes. Aux forces sociales d’être à la hauteur du défi. Pourquoi les intellectuels et la société civile ne se feraient-ils pas entendre sur cette question ? Pourquoi n’aideraient-ils pas à faire la lumière sur «la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses» ? Décrypter le budget sous l’angle de l’économie politique ? C’est l’intérêt des populations, des entreprises, des politiques et, partant, du Gabon et de ses partenaires.