Enseignant-chercheur au département des sciences de la vie et de la terre à l’Ecole normale supérieure (ENS), Giuseppe Ludovic Tonini Mewono Mewono s’est invité dans le débat autour de l’Immunorex-DM28. Pédagogue dans le libre-propos ci-après, ce diplômé en biotechnologies microbiennes et cellulaires a axé son plaidoyer sur les différentes étapes de la recherche clinique, pour une meilleure compréhension des enjeux.
A première vue, tout porte à croire que le Pr Donatien Mavoungou est la cible d’une cabale orchestrée par des mains noires, qui ne voient pas d’un bon œil qu’un Africain leur arrache le beefsteak de la bouche. Les choses sont-elles si simples ? Assurément non. Que reproche-t-on à Immunorex-DM28 ? Les pourfendeurs du Pr Mavoungou lui font le grief de ne pas disposer d’éléments nécessaires supportant la mise sur le marché de tout médicament. Lesdits éléments nécessaires découlant des résultats des études précliniques et cliniques.
Dans tous les cas, une bonne lecture de la situation commande de faire un détour par les fondamentaux du développement des médicaments. Le développement d’un médicament est un processus long et strictement encadré, normé et standardisé. C’est donc à mille lieues d’une hypothétique auberge espagnole. Il apparait conséquemment que les différentes étapes de ce processus sont rigoureusement codifiées.
De manière synthétique, le processus de développement d’un médicament peut se résumer en trois grandes phases : (i) les phases de découverte du médicament, (ii) la phase préclinique et (iii) la phase clinique. Les phases pré- cliniques et cliniques se distinguent l’une de l’autre par le fait que la première est effectuée sur des animaux de laboratoire, alors que la seconde est réalisée sur l’être humain.
En amont de la phase pré- clinique, il y a un ensemble de travaux de recherche fondamentale in vitro ou in silico, dont les résultats permettront ou pas la mise en route de la phase préclinique. Cette étape est parfois désignée sous l’anglicisme “proof-of-concept”. C’est d’elle dont vont dépendre les étapes suivantes.
Pour ainsi coller au débat, ce libre-propos voudrait se focaliser sur la phase clinique, donc à l’ensemble des étapes qui se déroulent sur l’homme. Pour ce faire et, pour la clarté de notre propos, il convient de définir le médicament et la recherche clinique.
Faute de référence au Gabon, je me réfère à la France. (N’y voyez aucune forme d’allégeance autre que scientifique). Le médicament est défini comme « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales, ainsi que toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou chez l’animal ou pouvant leur être administrée, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique» (Code de la Santé publique L.5111-1). La loi Huriet-Sérusclat (décembre 1998), quant à elle, définit la recherche clinique comme «tout essai ou expérimentation… organisé ou pratiqué sur l’être humain… en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales» En d’autres termes: recherches sur l’être humain, obéissant à un protocole. Ces recherches visent à déboucher sur une publication, une communication et / ou la diffusion d’un rapport.
Sans être exhaustif, les «connaissances biologiques ou médicales» dont il est question recouvrent: (i) l’évaluation de nouveaux médicaments ou dispositifs médicaux, (ii) l’évaluation de nouvelles indications thérapeutiques pour un médicament déjà sur le marché, (iii) l’évaluation de nouvelles combinaisons thérapeutiques, (iv) les mécanismes cellulaires et génétiques de susceptibilité ou de résistance à une pathologie éventuelle et (v) les nouvelles approches diagnostiques.
Parce qu’elle engage la vie des êtres humains, la recherche clinique a été divisée en quatre grandes étapes ou phases qui, chacune en ce qui la concerne, constituent un ensemble de check-points, de garde-fous pour que la dignité des participants soit respectée et que leur vie ne soit pas exposée à un danger supérieur au bénéfice qu’on peut en tirer.
La phase I constitue l’étape au cours de laquelle le produit d’investigation (médicament) est administré pour la première fois à l’homme ; elle porte sur un faible nombre de participants (environ une dizaine). Au cours de cette phase, les participants seront exclusivement des hommes adultes en bonne santé ; la participation se faisant sur la base du volontariat, après avoir pris connaissance du protocole. Les enfants et les femmes en âge de procréer ou toute autre population vulnérable en sont donc exemptés. De façon générale, le choix de la première dose à administrer aux participants au cours de la phase I se fait sur la base de la dose maximale tolérée au cours des phases pré- cliniques. Cette dose maximale sans effet toxique, obtenue de l’expérimentation animale est désignée par l’expression anglaise No Observed Adverse Effect Level (NOAEL) pondérée du facteur de sécurité. Il est important de retenir les principaux objectifs de la phase I consistent à évaluer l’innocuité du produit d’investigation (safety) ainsi que sa tolérance (tolerability). Seront notés, tous les effets attendus et inattendus du produit d’investigation, sur les paramètres hématologiques et biochimiques, les fonctions hépatiques et rénales, cardiaque aussi souvent qui sont les principales voies d’élimination des médicaments seront particulièrement analysées. C’est aussi au cours de cette phase que les premières données sur la pharmacocinétique et la pharmacodynamique sont obtenues ainsi que celles sur les interactions des aliments et les voies d’élimination. Les résultats obtenus au cours de la phase I sont par la suite scrupuleusement analysés par différents organes de régulation, entre autres, les comités nationaux et internationaux d’analyse des données sur la sécurité du médicament (Data Safety Monitoring Board).
Ces organes régulateurs et/ou de contrôle sont indépendants à la fois du promoteur (firme pharmaceutique en général) et des investigateurs (équipe qui mène la recherche clinique sur le terrain) dans le but de réduire au minimum les conflits d’intérêts et de mieux protéger les participants au protocole de recherche. Dans le cas où le produit d’investigation se révèle toxique pour le foie, les reins, le cœur ou tout autre organe, les organismes de régulation qui ont pour mandat la protection des participants, ordonnent l’arrêt de toute recherche clinique impliquant ledit produit. A contrario, un quitus est délivré aux chercheurs pour poursuivre des travaux lorsque le produit est bien toléré et lorsque les effets secondaires ne sont pas de nature à engager le pronostic vital à court et à moyen terme.
La phase II. En sus des paramètres évalués lors de la précédente phase, la phase II évalue entre autres la réponse dose-effet, la posologie optimale (dose minimale qui assure un effet thérapeutique optimal et la dose maximale sans effet nocif sur le participant) et les effets thérapeutiques du produit d’investigation, notamment son efficacité. Le nombre de participants, là aussi des sujets sains ou des malades (traitement d’une affection donnée) est de l’ordre de cent, voire plus selon les protocoles. Et, enfants et femmes en âge de procréer peuvent prendre part à cette phase. Au cours de cette phase, le produit d’investigation est comparé à un autre médicament connu pour le traitement de la maladie visée. L’allocation du « traitement » à chaque groupe de participants se faisant de façon aléatoire (randomisée), en simple ou en double aveugle.
C’est-à-dire que seul le participant ou le participant et les chercheurs ignorent le traitement reçu par chacun des sujets afin d’être le plus objectif possible. Dans le cas où les résultats de cette phase sont concluants, l’autorisation est donnée pour la poursuite des essais vers une phase III.
La phase III constitue la dernière étape avant la mise sur le marché du produit d’investigation. Elle évalue principalement l’efficacité thérapeutique du produit d’investigation et les effets inattendus dudit produit. Lorsqu’un traitement existe déjà pour la pathologie qui fait l’objet de la recherche, le produit d’investigation et ledit traitement sont alloués de façon aléatoire aux participants. Les deux traitements sont ainsi comparés en termes d’efficacité. La phase III porte généralement sur plusieurs centaines de participants, sinon plus (exception faite des maladies rares). Les études de phase III sont généralement multicentriques impliquant préférentiellement plusieurs pays, voire divers continents. Cette phase peut s’étendre sur plusieurs années (2 à 4 ans, par exemple). Cette durée relativement longue permet de suivre les effets secondaires sur une période plus longue car, la durée plus courte des premières phases peut, dans certains cas ne pas suffire à observer certains événements liés à la prise du produit d’investigation. Les résultats de la phase III sont déterminants pour la mise sur le marché du produit d’investigation. Ces résultats seront par la suite analysés (en s’appuyant sur la statistique appropriée) par divers organismes de contrôle, en l’occurrence les autorités de régulation. L’utilisation de tests inappropriés peut invalider des résultats et par conséquent mettre fin au déroulement d’une étude.
La phase IV. Celle-ci concerne les médicaments ayant reçus l’autorisation de mise sur le marché (AMM). C’est la phase de la pharmacovigilance; elle consiste à surveiller les effets secondaires du médicament dans les conditions normales d’utilisation et par une population plus large, dans le monde entier. De même, les indications et l’usage hors AMM sont également notés. Cette phase est obligatoire pour les laboratoires propriétaires du médicament qui sont tenus de rapporter tous les effets secondaires ou complications dûs au médicament, aux autorités de régulation de la santé (OMS et/ou Etats).
Le propos de cette contribution était de présenter les différentes étapes de la recherche clinique. Mais, il me semble important de souligner (sans acharnement) que la recherche clinique évolue dans un corpus légal et réglementaire contraignant. Cette réglementation établit des normes et des standards qui obligent les chercheurs et les promoteurs (ou sponsors) à ne pas faire selon leur bon-vouloir. Ces normes et standards sont établis pour garantir la qualité des travaux qui ont été menés. En cela, aucune dérogation n’est possible !
Parmi les acteurs majeurs de la recherche clinique, il n’est pas inutile d’évoquer (même brièvement) le rôle des comités d’éthique et des autorités de régulation.
Les comités d’éthique sont des organisations indépendantes dont le rôle est de s’assurer que le protocole de recherche est exécuté conformément aux règles des Bonnes Pratiques Cliniques et Bonnes Pratiques de Laboratoire. Ces règles disposent que toute recherche doit obligatoirement garantir quatre principes de base : «la justice, le respect de la personne et l’effet bénéfique (maximum d’avantage pour un minimum de risque) et la non-malfaisance». De même le comité d’éthique s’assure que la participation se fait sur la base du volontariat et qu’aucune coercition, ni pression n’est exercée sur le participant à la recherche. L’examen d’un protocole de recherche va notamment s’intéresser : à l’équipe de recherche qui doit être à la fois scientifiquement qualifiée et expérimentée, au protocole qui doit comporter toutes les informations (justification scientifique de l’étude, évaluation des risques et des bénéfices, modalités de conduite de l’étude, etc.), au montant des compensations (si nécessaires). Par ailleurs, les comités d’éthique examinent les documents qui sont distribués aux participants aux études afin de s’assurer que les informations fournies sont conformes au protocole et compréhensibles pour les participants.
A la fin de l’examen du protocole, l’avis du comité d’éthique peut être ou pas favorable. Par ailleurs, tout au long de l’étude, les comités d’éthique examinent différents rapports et informations délivrés par le site ou a lieu l’étude et peuvent sur la base de ces rapports, ou des comptes-rendus d’inspection de ces comités ou d’autres inspections, par des organismes habilités á le faire ou sur la base de plaintes des participants à arrêter une étude ou à renouveler leur quitus pour sa poursuite.
Les autorités de régulation. Les autorités de régulation constituent le versant légal de la recherche clinique. Elles sont mises en place par les gouvernements (FDA aux Etats-Unis, TFDA en Tanzanie, AFSSAPS en France, etc.) ou par un ensemble de gouvernements (EMEA dans l’Union Européenne). Dans la majorité des Etats africains, c’est l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui assure encore le rôle d’autorité de régulation, en accord avec le Ministère de la Santé Publique. Les autorités de régulation ont pour missions de contrôler la qualité, l’innocuité et l’efficacité des médicaments et des dispositifs médicaux utilisés dans un pays. Tout médicament ou dispositif médical doit, en conséquence, faire l’objet d’un examen par les autorités de régulation avant d’être commercialisé dans le pays. Ces autorités délivrent donc une autorisation de mise sur le marché ou une autorisation temporaire d’utilisation, sur la base des résultats obtenus au cours des différentes étapes de la recherche clinique.
De la même façon, les autorités de régulation peuvent décider du retrait d’un médicament. De plus, les autorités de régulation ont mandat pour conduire des inspections dans les laboratoires pharmaceutiques et sur les sites de recherche.
Pour finir et finalement me résumer, la recherche clinique est codifiée par la loi qui est du ressort de chaque Etat et par des normes et standards qui s’appliquent à tous. Ces normes et standards établis par la communauté scientifique internationale et ratifiés par les Etats membres de l’OMS, de l’UNESCO -le Gabon est membre de toutes ces instances-, par exemple. Le respect des bonnes pratiques des essais cliniques est une exigence qui s’impose à tout chercheur et à tout promoteur.
Le Gabon qui a déjà une certaine expérience dans la recherche biomédicale et plus précisément dans la recherche clinique doit à n’en point douter renforcer ses capacités dans le domaine. Un accent particulier doit être mis sur la formation du personnel médical, des chercheurs et des étudiants afin de s’assurer que les sujets de recherche, les éventuels découvertes et développements de médicaments s’inscrivent dans des standards internationalement reconnus et acceptés par la communauté scientifique. Il appert donc que tout débat sur l’Immunorex-DM28 doit répondre au moins à trois interrogations préjudicielles : (i) le développement de cette molécule a-t-il suivi toutes les étapes de la recherche clinique? (ii) sinon que faut-il faire pour que le développement de l’Immunorex-DM28 entre dans les standards reconnus ? (iii) quel rôle l’Etat Gabonais peut et doit jouer dans ce feuilleton ? Tout autre débat aussi passionnant soit-il, est une perte de temps et d’énergie. N’en avons-nous pas assez perdu ?