Libreville, Gabon (Gabonactu.com) – Au Gabon, le dialogue politique voulu par le pouvoir doit s’ouvrir mardi 28 mars. Celui-ci se tiendra sans Jean Ping, le principal opposant du pays, qui se considère toujours comme le président élu. La crise politique née de la réélection contestée d’Ali Bongo n’est donc pas terminée, comme a pu le constater le premier ministre, Emmanuel Issoze Ngondet, lors de son séjour à Paris, où les partisans de Jean Ping ont manifesté sur les lieux de chacun de ses déplacements. Entretien.
Le dialogue politique, qui va s’ouvrir sans Jean Ping, n’est-il pas voué à l’échec ?
Emmanuel Issoze Ngondet Le dialogue politique convoqué par le président Ali Bongo Ondimba est à la fois un impératif et une opportunité. Un impératif, car il n’y a pas d’alternative crédible pour permettre au Gabon de sortir de la situation tendue qui a prévalu au lendemain de la présidentielle. Il faut bien que les acteurs politiques discutent sans tabou de tous les sujets qui fâchent. Ce dialogue est aussi une opportunité, car il n’y a pas meilleur moment pour discuter de nos institutions politiques. Ceux qui ont tort sont ceux qui refusent de prendre part au processus.
Mais quels peuvent en être les débouchés quand un candidat qui a recueilli environ la moitié des suffrages boycotte ce dialogue ?
La présidentielle est bien la mère de toutes les élections, mais la vie politique ne se résume pas à ce seul suffrage. Au-delà, il y a la gestion politique du pays. Le pouvoir y a un rôle important, mais des partis et leurs élus nationaux et locaux participent aussi à cette gestion. Monsieur Ping a pris part à une élection présidentielle qui ne peut pas être l’élément central de la vie politique du pays.
Aujourd’hui le Gabon est coupé en deux…
Non. Il est marqué par des tensions nées de la dernière présidentielle, mais ceux qui ont accompagné Jean Ping et ont contribué à son résultat participent au dialogue. Si M. Ping représentait 50 % des électeurs, ces 50 % se sont vite effrités au regard de la participation au dialogue de ceux qui l’ont accompagné. Ce dialogue est inclusif parce qu’il s’adresse à la société civile et mille d’entre eux se sont déjà manifestés pour y participer. Il y a aussi une soixantaine de partis qui y participent, plus que ceux qui ont déjà été légalisés.
A quelles concessions êtes-vous prêts ?
Il ne faut pas voir les choses ainsi. Tous les sujets sont sur la table, le président de la République l’a dit. Nous allons voir ensemble quels changements sont nécessaires au fonctionnement des institutions chargées des élections, comme le Conseil constitutionnel ou la Commission électorale. La question de l’encadrement des mandats présidentiels est aussi sur la table. Nous allons aussi revoir le Code électoral, le découpage électoral… Nous pensons que ce dialogue, que nous souhaitons le plus inclusif possible, débouchera sur des décisions qui vont redynamiser la vie politique et institutionnelle du pays.
Le 2 février, le Parlement européen a adopté une résolution considérant que les résultats de la présidentielle d’août 2016 sont extrêmement douteux et a condamné les violations des droits de l’homme constatées lors de cette élection. Aujourd’hui, vous sentez-vous sous la menace de sanctions ciblées ?
Nous n’avons aucune crainte. L’Union européenne (UE) est un partenaire du Gabon et inversement. Si ce partenariat existe, c’est que nous y trouvons tous un avantage. Il y a une situation qu’il faut régler. Les députés font leur travail et sont enclins aux excès, mais ce qui compte, c’est la maturité avec laquelle l’exécutif européen, c’est-à-dire la Commission, et le Gabon vont gérer cette situation. Les contacts sont noués. Des mécanismes sont mis en place. Je suis convaincu que la sérénité et la maturité prévaudront sur les excès.
Votre voyage en France est-il destiné à aplanir les différends avec l’UE ?
Pas forcément. Nous avons deux défis à relever au Gabon. Le premier est de décrisper la situation politique et sociale. Le second est de relancer l’économie. L’un ne va pas sans l’autre, car il n’y a pas de développement sans paix. Le dialogue politique est la voie appropriée pour la décrispation politique. Une fois ce travail fait, il faut nous mettre à l’œuvre pour relancer l’économie. Nous avons adopté un plan de relance qui vise à donner un rôle beaucoup plus important au secteur privé. Nous sommes ici pour présenter ce plan et nous approprier les mécanismes des partenariats public-privé.
Comment avez-vous vécu les nombreuses critiques émises par des personnalités politiques françaises au lendemain de la réélection contestée d’Ali Bongo ?
En politique, les acteurs sont souvent mus par la volonté de prendre part au débat même sur les questions qui leur sont lointaines. Ce qui compte, c’est la position officielle de la France. J’étais auparavant ministre des affaires étrangères et, au mois de septembre 2016, j’ai rencontré le ministre Jean-Marc Ayrault dont la position était loin des critiques formulées par d’autres.
Et la campagne présidentielle en France ?
Contrairement aux autorités politiques françaises, je ne commente pas la vie politique des pays amis.
La crise politique se double d’une crise sociale. L’éducation est en grève. Comment éviter une année blanche pour les élèves gabonais ?
Il faut d’abord souligner que les syndicats dans le secteur de l’éducation sont multiples. Certains défendent de manière respectable les positions de leur corporation. Nous sommes attentifs à leurs réclamations et nous sommes en négociation avec eux. La semaine prochaine, nous commencerons à satisfaire certaines de leurs revendications sur des primes. Parallèlement, d’autres syndicats sont en totale collusion avec les acteurs politiques de l’opposition. Ils ont fait le choix d’être dans la rue, d’être dans la défiance permanente et d’enfreindre les lois.
La solution passe donc par des interdictions d’activité, comme celle visant la Convention des syndicats du secteur de l’éducation ?
La loi doit s’imposer à tous. Ceux qui l’enfreignent doivent en subir les conséquences. Mon gouvernement ne fait qu’appliquer la loi.
La crise politique a engendré de sérieuses difficultés économiques. Quel est aujourd’hui l’état des caisses ?
Notre plan de relance triennal a un besoin de financement que ne pourraient couvrir les ressources propres du Gabon. Nous sommes donc obligés d’aller rechercher des financements extérieurs. Dans cette perspective, nous menons des discussions avec des partenaires multilatéraux comme le Fonds monétaire international (FMI) qui sont encourageantes ou la Banque africaine de développement qui nous a déjà accordé un appui budgétaire. L’appréciation donnée par les partenaires multilatéraux est très encourageante, loin de l’analyse alarmiste de certains. Le pays n’est pas entré en récession. La situation est difficile, mais n’est pas insurmontable.
Propos recueillis par Cyrille Ben Simon, journal Le Monde