A l’approche du dialogue national, les réactions relatives à cette grand’messe sont mitigées et controversées. Parmi les défenseurs du dialogue politique se trouve le Dr.Steeve NZEGHO DIEKO, Maitre-assistant CAMES en science politique à l’Université Omar Bongo de Libreville qui invite les forces vives de la nation à taire les querelles et s’assoir à la table des négociations, et ce, pour l’intérêt général de la nation.
Si les traditions bantoues et africaines en général ont toujours privilégié les voies du dialogue à travers les lieux sacrés que sont : l’arbre à palabres, (Cf. Fweley Diangitukwa). « La lointaine origine de la gouvernance en Afrique : l’arbre à palabres ». Revue gouvernance, 2014.), ou encore le corps de garde, c’est à raison. Cela explique intrinsèquement que les peuples bantous sont de nature pacifique. Aujourd’hui, hélas le pouvoir, la démocratie, la mondialisation ou encore l’économie pour parler simple : l’argent ont profondément changé la nature et la qualité de nos rapports en société. Nos sociétés africaines sont devenues « des loups pour l’Homme », pour emprunter l’expression du philosophe Thomas Hobbes.
En réalité nos sociétés sont en danger permanent. Aussi, confrontée aux lois traditionnelles, s’est vue pervertir donnant lieu à des conflits interethniques ou des guerres civiles dans plusieurs pays qui démontrent à suffisance que la violence est devenue l’un des modes de gestion de la cité. Le Gabon, longtemps considéré comme pays de paix et d’hospitalité en Afrique par la stabilité de ses institutions, est aujourd’hui confronté à l’une des crises les plus redoutables de son histoire politique. Face aux dangers qui minent la « société gabonaise », les autorités en place convoquent un « Dialogue politique » afin de tracer la nouvelle trajectoire de l’histoire politique et institutionnelle du pays comme finalité la décrispation de la crise postélectorale. Cette nouvelle reconfiguration politico-juridico-institutionnelle sera couronnée de succès, si jamais le peuple gabonais sortait vainqueur.
Ceci revient à dire que ce conclave devrait privilégier les attentes des populations et susciter un réel espoir afin de donner un signal fort à la communauté nationale et internationale. Cette modeste réflexion que nous engageons à l’aube de ce dialogue politique, sur le modus operandi du nouvel ethos gabonais suite aux évènements postélectoraux dont les stigmates sont encore présents dans les esprits des Gabonais mérite une attention particulière. En effet, il est vrai qu’aucun outil n’est plus performant que le dialogue pour résoudre un conflit, les expériences dans certains pays, voire dans le monde, nous enseigne que c’est une voie indispensable. Si, dans les usages des diplomates, tout le monde s’accorde à situer le dialogue au cœur de l’activité de communication/négociation, une caractéristique majeure de la démarche scientifique ou d’un politiste consiste à s’interroger sur l’opportunité de ce dialogue ou ces dialogues en référence au premier organisé par M. Jean Ping au mois de décembre dernier.
Personne n’ignore l’importance de l’histoire politique du Gabon, (Parti unique, conférence nationale 1990, multipartisme, Accords de Paris 1994, Accords d’Arambo 2006, le Conseil national de la démocratie, etc.) et d’une sociologie de la connaissance pour identifier le poids des héritages de nos ancêtres. Montesquieu affirme : « chaque système politique met en place un modèle de passion qui correspond à sa structure et à son fonctionnement » (cf. Pierre Ansart, La gestion des passions politiques, Lausanne, l’âge d’Homme, 1983, p8.). L’observateur le plus distrait n’ignore pas l’intensité du désir de pouvoir chez ceux qui aspirent à l’exercice de responsabilités publiques, la vigueur des affrontements verbaux entre candidats aux élections, les phénomènes collectifs d’enthousiasme, d’indignation ou d’amertume qui colorent les manifestations de rue, les craintes que suscite l’irruption de la violence dans le cours de la vie collective sociale. L’univers politique gabonais ne saurait échapper à la puissance de ces phénomènes : processus de construction des intérêts, des aspirations et des exigences. Projections, idéalisations, dénis de réalité, régressions anxieuses, tous ces mécanismes réunis.
Au contraire, les autorités en place sont soumises à ces principes. D’abord, parce que l’exercice élémentaire du pouvoir implique la mise en place d’un contrôle social destiné à prévenir l’irruption de la violence ou des crises postélectorales. (Cf. Philippe Braud. L’émotion en politique. Presses de Sciences Po, Paris, 1996, p.9.). Ce qui caractérise ensuite l’univers politique, c’est d’être un espace décisionnel où s’édictent des règles juridiques obligatoires, donc opposables à tous les citoyens. Certaines sont source de frustrations parce qu’elles formulent des interdits généraux ou imposent des sujétions : militaires, fiscales, administratives. Toute problématique féconde liée au dialogue politique gabonais devrait aborder toutes les questions sociales de gouvernance politique, économique, institutionnelle, juridique, culturelle. Le seul fait de mettre l’accent sur la limitation ou non du mandat présidentiel, pourrait susciter un malentendu qu’il serait regrettable de laisser persister. Il ne s’agit nullement de disqualifier en quoi que ce soit les institutions qui régissent notre système politique sans ravaudages méthodologiques tous azimuts.
« Quand on écrit un article à visée prospective, on aimerait parfois avoir tort et ne pas voir se réaliser ses prévisions les plus sombres. On aimerait aussi, au contraire, voir surgir, au loin, dans les brumes du réel, la première esquisse de ce qu’on rêvé de meilleur » (Cf. Jacques Attali, Demain qui gouvernera le monde ? Pluriel, 2012, p7.), pour le peuple gabonais qui reste l’otage des décisions des acteurs politiques.
Oui le « Dialogue politique » ne devrait pas être un dialogue de l’opinion publique et internationale ou encore celui des acteurs politiques. Au contraire, ce dialogue devrait s’inscrire dans une trajectoire du bien-être des populations gabonaises dont la seule espérance reste l’amélioration de leur condition de vie qui peut se résumer ainsi : le logement, les infrastructures, l’éducation, la santé, la lutte contre la pauvreté, les emplois…
De toute évidence, bien que les termes de référence qui vont constituer l’ossature de ce dialogue politique ont été arrêtés il s’agit de : la réforme des institutions et la consolidation de l’état de droit, les réformes électorales, la modernisation de la vie politique et la consolidation de la paix et la cohésion nationale. Il me paraît aussi primordial que nos acteurs politiques aient en mémoire au cours de leurs échanges les vertus de l’arbre à palabres comme l’affirme le politiste congolais Fweley Diangitukwa : « La palabre est ce lieu traditionnel de rassemblement à l’ombre duquel les citoyens s’expriment librement sur la vie en société, sur les problèmes du village, sur la politique à mener et sur l’avenir. C’est un mode ancestral de résolution et de règlement de litiges. C’est aussi une école de la vie, car les enfants viennent écouter des histoires racontées par un ancien du village. Les sociétés traditionnelles africaines puristes reposaient très largement sur la palabre comme mode de gouvernance ou de gestion des affaires publiques. Les acteurs venaient de différents horizons, et ils représentaient différents secteurs de la vie ». (Voir la lointaine origine de la gouvernance en Afrique : l’arbre à palabres, Revue Gouvernance, 2014, p.3.). Enfin, les acteurs politiques lors de ce dialogue devraient également adopter la posture aronienne (Raymond Aron) qui, dans son Introduction à la philosophie de l’histoire (1938) distinguait deux types de politique : la politique de l’entendement et la politique de la raison.
Dr Steeve NZEGHO DIEKO, Maitre-assistant CAMES en science politique à l’Université Omar Bongo