Sous-développée, malgré le potentiel pourvu par l’espace environnemental national, (territoire couvert à 85% de forêt), l’agriculture au Gabon peine à trouver ses marques comme bon nombre des secteurs de rente. En 57 ans de souveraineté économique, malgré les efforts consentis par le Gouvernement, la Société civile et les Organismes internationaux pour sortir ce secteur de l’ornière, le rendement agricole national ne permet pas aujourd’hui de contrer l’importation des produits agricole étrangers ni même de peser dans la consolidation du PIB (seulement 3% du PIB). Pour Yves Fernand Manfoumbi, ministre de l’Agriculture, il est temps de songer à l’avenir de ce secteur, en mettant en place des mécanismes pour son développement. Ci-après, l’intégralité de sa tribune de ce dernier.
L’histoire des pays développés indique que la modernisation de l’agriculture est, presque toujours, le préalable au passage d’une économie peu développée à une économie diversifiée, sophistiquée et mature. Les pays européens, américains, asiatiques : tous, chacun en suivant des chemins et des modèles distincts, ont enclenché leur processus d’émergence et de développement en améliorant la productivité de leur agriculture. Le Gabon n’échappera pas à cette règle.A l’heure où le Gouvernement auquel j’appartiens, sous l’impulsion du Premier Ministre, met en œuvre son Plan de Relance de l’Economie qui définira la politique économique du pays pour les trois prochaines années, il paraît opportun de soumettre à l’opinion publique nationale les problématiques, les enjeux et les voies d’avenir qui s’offrent à nous pour moderniser notre agriculture, créer des emplois, diversifier nos sources de richesses collectives et nous inscrire résolument dans une dynamique d’émergence économique.
L’agriculture n’est pas une. Nous avons trois types d’agriculture dans notre pays, chacune présentant des enjeux et des besoins différents : l’agriculture rurale, périurbaine et intensive. La présente tribune articulera donc son analyse autour de chacune de ces trois formes spécifiques d’agriculture.
L’agriculture rurale
Nous faisons face aujourd’hui à une réalité peu reluisante : nos villages et nos territoires ruraux sont devenus synonyme de pauvreté, d’archaïsme, de lieux de repos des personnes âgées, parfois de déclassement. Nous connaissons les causes de ce phénomène, consécutif à l’exode rural des travailleurs qui ont rejoint l’industrie pétrolière, minière, du bois ou l’administration publique, dans nos villes de Port-Gentil et Libreville principalement. Le fait est qu’aujourd’hui, notre main d’œuvre agricole rurale est vieillissante. Il n’est pas rare, dans certaines zones, de constater que la moyenne d’âge des agriculteurs actifs tourne autour de 60 ans. Cette population, non seulement ne dispose plus de toute la force nécessaire à ce type d’activité, mais est attachée à des techniques culturales d’un ancien temps. Les plantations sont aménagées loin du village (5 à 7 kilomètres), les parcelles cultivées sont trop petites et servent essentiellement à l’autoconsommation, et les agriculteurs déplacent à chaque récolte leur lieu de plantation, pour ne pas appauvrir la lettre et maximiser leurs faibles rendements.
Nous avons donc 4 défis à relever : rajeunir la population d’agriculteurs ruraux ; étendre les surfaces cultivées ; rapprocher les plantations des lieux d’habitation où les populations doivent pouvoir bénéficier des commodités de la vie moderne (eau, électricité, télécom, télévision, et même internet), améliorer les techniques culturales et augmenter significativement les rendements agricoles. L’action gouvernementale des prochaines années consistera à aménager des zones agricoles aménagées à proximité des localités rurales, qui bénéficieront d’un aménagement particulier. Ces zones agricoles aménagées, dont les premières devraient voir le jour dans les provinces du Haut-Ogooué et dans la Ngounié, nous permettront i) d’aménager les plantations dans des conditions permettant une meilleure productivité (irrigation, qualité des sols, pistes rurales, électricité), ii) d’encadrer les agriculteurs pour l’amélioration des techniques culturales et la fourniture d’intrants, iii) d’offrir des conditions d’habitat décent permettant d’attirer de jeunes compatriotes en leur garantissant un confort de vie raisonnable.
Nous couplerons ces zones agricoles spéciales avec le programme GRAINE. Nous inciterons les agriculteurs à se réunir en coopératives, à sédentariser leurs plantations, à se professionnaliser, à utiliser de nouveaux intrants, de nouvelles méthodes agricoles et à devenir des entrepreneurs. En réformant notre agriculture rurale, nous pouvons transformer nos villages et notre planification territoriale, nous pouvons inverser les dynamiques d’exode rurale pour un retour des citadins vers l’intérieur du pays, et ce, faisant créer un véritable changement de société positif, en modernisant le Gabon profond et en résorbant la pauvreté rurale.
L’agriculture périurbaine
Nous avons un nombre important d’agriculteurs en périphérie voire à l’intérieur de nos villes, qui pratiquent une agriculture de production maraichère et vivrière. Toutefois, parce que la grande majorité de ces agriculteurs demeurent dans l’informel, sont peu professionnalisés et disposent de surfaces réduites, nous n’arrivons pas à produire une quantité suffisante de produits pour répondre aux besoins en consommation de légumes ou produits vivriers les plus courants de notre population urbaine.
Des programmes publics comme le PRODIAG, exécuté par l’Institut Gabonais d’Aide au Développement (IGAD), ont aidé à faciliter l’accès à des parcelles agricoles, encadrer et professionnaliser des agriculteurs et éleveurs périurbains. Beaucoup reste à faire pour atteindre une production qui réponde à nos besoins de consommation.
La priorité du Gouvernement est de mener une campagne nationale de recensement et d’immatriculation de ces agriculteurs, afin qu’ils disposent de l’agrément d’exploitant agricole leur donnant droit à un ensemble d’avantages. Il n’est pas normal que nous ayons conçu des facilitations pour nos agriculteurs et que ceux qui y ont droit n’en bénéficient pas, parce que nos procédures administratives sont trop complexes ou illisibles. Je m’assurerai personnellement que les services du ministère de l’Agriculture viennent à la rencontre de ces exploitants agricoles informels et les incitent à s’enregistrer, afin qu’ils bénéficient de tout soutien et tous les conseils auxquels ils ont droit.
Nous devons également être beaucoup plus ambitieux dans la mise à disposition du foncier agricole en zone périurbaine. Cela doit se faire dans le cadre concerté prévu par le Plan National d’Affectation du Territoire (PNAT). Une commission sera mise en place qui identifiera le foncier disponible sur notre territoire et l’affectera aux usages stratégiques prioritaires, au premier rang desquels l’agriculture. Nous délivrerons des titres fonciers agricoles que nous transmettrons aux compatriotes désireux de s’engager dans des programmes d’accompagnement pour une exploitation moderne, productive et saine de produits vivriers, afin de contribuer à notre souveraineté alimentaire. Nous visons un objectif d’au moins 1000 titres fonciers agricoles en zone périurbaine à distribuer sur les quatre prochaines années.
L’agriculture intensive d’exportation
L’agriculture rurale et périurbaine produit principalement pour notre marché national qui, comme nous le savons, demeure limité. Même si notre marge de progression demeure importante pour combler les besoins en alimentation non couverts par notre production nationale – plus de 300 milliards de FCFA par an – la demande nationale n’est pas extensible à l’infini. Toutefois, sur un certain nombre de filières, et pour peu que nous soyons compétitifs, le Gabon est capable de produire pour vendre à l’international et de gagner des parts de marché. C’est le cas aujourd’hui de l’huile de palme et de l’hévéa (dont le latex est transformé en caoutchouc). Nous avons réussi à convaincre lors du dernier septennat un opérateur de rang mondial, Olam, à investir massivement dans des plantations d’huile de palme et d’hévéa. Nous avons d’ailleurs le record africain de la plus grande surface d’huile de palme plantée sur les cinq dernières années. Cet investissement inédit a créé sur la période plus de 6000 emplois, avec un impact social significatif dans la province de l’Estuaire autour de Kango, dans la zone d’Oyem – Bitam dans le Woleu Ntem, ou encore dans la Ngounié. Des jeunes qui auparavant n’avaient que très peu de perspectives qui s’offraient à eux ont ainsi trouvé des emplois stables. Les créations d’emplois dans le secteur agricole ont été un amortisseur important dans le contexte de la crise pétrolière depuis 2015.
Nous pouvons faire encore beaucoup plus. L’agriculture, qui est aujourd’hui un amortisseur de la crise, peut devenir demain le moteur de notre relance économique. De premières plantations d’huile de palme entrent en production et nous commençons à exporter. En plus de l’usine de production d’huile de palme de Kango, une nouvelle usine ouvre à Mouila et d’autres suivront. Nous avons créé des milliers d’emplois sur le dernier septennat. Nous pouvons en créer par dizaines de milliers lors de ce nouveau septennat. Nous aurons à faire face toutefois à certains défis. Tout d’abord, malgré les efforts du Gouvernement et des acteurs du projet, le programme GRAINE peine encore a suscité des vocations parmi les jeunes urbains, cœur de cible du programme. Nous devrons donc redoubler d’efforts, en termes de communication, de pédagogie, de mobilisation de la jeunesse. Nous devrons œuvrer à garantir des conditions de vie confortable dans les zones d’habitation à proximité des plantations, car un jeune agriculteur a les mêmes aspirations qu’un jeune urbain : même s’il vit du travail de la terre, il souhaite avoir Facebook, regarder les chaînes satellitaires, avoir accès à des services d’éducation et de santé de qualité. Grâce à une meilleure coordination de l’action gouvernementale, comme le prévoit le Plan de Relance de l’Economie, nous orienterons prioritairement nos investissements publics dans les zones rurales où se trouvent les bassins d’emplois agricoles.
Dans le cadre du PNAT, nous étendrons les surfaces agricoles disponibles et les aménagerons pour augmenter notre production intensive, non seulement en produits tropicaux d’exportation (nous relancerons à ce titre les cultures du café et du cacao), mais également en produits vivriers comme le riz ou le maïs. Enfin, nous renforcerons les financements disponibles pour le secteur. Les agriculteurs sont des opérateurs économiques qui ont besoin d’investir pour gagner en productivité. Pour cela, il faut qu’ils aient accès à des financements qui, malheureusement, se font encore trop rares. En nous inspirant de l’exemple marocain et de l’exemple rwandais, nous souhaitons mettre en place une mutuelle de crédit agricole, qui collecte l’épargne des agriculteurs et leur finance en retour des crédits, notamment dans le cadre de coopératives agricoles. Nous comptons faire émerger de ces coopératives, dont beaucoup ont été créées dans le cadre du programme GRAINE, de véritables PME agricoles dynamiques et conquérantes. Nous devons tous nous mobiliser pour développer notre agriculture. A travers cette activité, nous pouvons contribuer à la modernisation non seulement économique, mais également sociale et culturelle dont notre pays a besoin.
Nous pouvons redessiner l’aménagement de notre territoire et réparer ses déséquilibres historiques. Les enjeux sont trop importants pour que nous les négligions ou que nous les tournions en dérision. J’appelle toutes les bonnes volontés à joindre leur force, à s’organiser, à se mobiliser, pour amplifier notre action visant à redynamiser notre agriculture. Les patriotes gabonais se reconnaîtront dans cet appel.