A la croisée des chemins, le secteur de l’enseignement est paralysé. Manifestement, il a besoin d’un diagnostic consensuel et non d’une épreuve de force de plus.
Le gouvernement se résoudra-t-il un jour à prendre à bras-le-corps le questionnement des enseignants ? Depuis bientôt deux décennies et davantage depuis 2009, cette corporation est perpétuellement en grève. Entre revendications salariales, exigence de matériel didactique, dénonciation de l’insuffisance en salles de classe ou de l’inadaptation des programmes, elle est, chaque jour davantage, soumise à une épreuve de force. Filons-nous droit vers une mort programmée de l’enseignement public ? Le foisonnement d’établissements privés, tous degrés confondus, nourrit cette crainte. Assistons-nous à une dévalorisation totale du métier d’enseignant ? La tendance du gouvernement à bander les muscles entretient cette impression.
Le monde de l’enseignement est à la croisée des chemins. Tous les protagonistes sont vent debout. Ils oscillent entre colère et défiance, cherchant à comprendre les priorités des gouvernants. Ils s’interrogent sur le poids exponentiellement croissant du secteur privé, pointant un doigt accusateur vers certains barons du régime ou apparentés. Ils dénoncent l’usage systématique de la méthode forte, exigeant le respect de leur droit de grève. Ils soulignent le rôle de l’école dans la construction des nations, rappelant la constitutionnalité du droit à l’éducation.
Des fondements vermoulus
Et pourtant, rien dans ces revendications corporatistes n’échappe au commun des mortels. Autrement dit, la situation du monde de l’enseignement est connue de tous. Les états généraux de l’éducation de 1983 l’ont dit, ceux de 2010 l’ont redit, les études menées par différents organismes internationaux l’ont confirmé : la part du produit intérieur brut (PIB) consacrée à l’enseignement est en constante régression, très largement en deçà de la moyenne des pays de même niveau ; les redoublements et abandons sont exagérément élevés au primaire, les classes surchargées et les transitions vers l’enseignement supérieur particulièrement difficiles. En un mot comme en mille, tous les observateurs en conviennent : les fondements du système éducatif sont vermoulus. Ils font eau de toute part.
Les défis à relever sont ceux de la protection de la petite enfance, de la couverture de l’enseignement de base, de la réponse aux besoins éducatifs des jeunes et, de l’excellence du système éducatif. Concrètement, il faut améliorer les infrastructures, les équipements et, le matériel pédagogique. Il est aussi question de faciliter le recrutement et la formation des enseignants. Bien entendu, leur traitement salarial et leurs conditions de vie doivent aussi faire l’objet d’une attention particulière. Dans ce vaste chantier, la prise en compte des politiques connexes ou d’accompagnement se révèle être une nécessité. On pense au budget, à l’aménagement du territoire, à la famille, à l’émigration, à la recherche scientifique et surtout à la formation professionnelle. Pourtant connues de tous, ces pistes de solution vont-elles finalement être explorées ? Ou bien va-t-on poursuivre cette politique d’affrontement, paravent commode d’un ravalement de façade si nuisible à la construction de la nation ?
Jeu dangereux
Le gouvernement a récemment laissé entrevoir l’option choisie. Jouant sur le registre de la dilution des responsabilités, il a tenté de faire l’histoire à rebours. Usant de l’intimidation, il a annoncé devoir couper des têtes (lire «Crise à l’Education nationale: le gouvernement opte pour la fermeté» http://gabonreview.com/blog/crise-a-leducation-nationale-gouvernement-fermete/
). Reste à vérifier si ces coupures de soldes permettront de lutter contre la marchandisation du savoir et la régression de l’efficacité pédagogique. De toute évidence, on peut présager du contraire. Reste à savoir si toutes ces menaces contribueront au désengorgement des salles de classe, à la fourniture de tables-bancs et à la facilitation de passerelles entre degrés, d’une part, et entre types d’enseignement, d’autre part. Manifestement, on peut en douter. Et si le gouvernement péchait simplement par un manque de méthode ? Et si des agendas cachés étaient au fondement de toutes ses décisions ?
L’épreuve de force n’est visiblement pas le meilleur moyen d’aborder la crise de l’enseignement. Bien au contraire, c’est un jeu dangereux. Le délitement de l’école publique crée le terreau sur lequel pauvreté chronique, insécurité permanente, incivisme généralisé et défiance politique globale pourraient émerger. Au-delà, une forme de poujadisme à la gabonaise pourrait apparaître, ouvrant la voie à un antirépublicanisme débridé.
Et pour cause : dans le contexte socio-politique actuel, la crise de l’enseignement est d’abord le contrecoup d’une gouvernance hérétique. Elle est aussi la conséquence d’une faible adhésion des pouvoirs publics aux idéaux démocratiques. Les tractations préalables au dialogue national, annoncé avec tambours et trompettes, le prouvent : syndicats et acteurs non étatiques en sont les grands oubliés. Dans quelle instance peut-on aller aux sources des problèmes si ce n’est dans le cadre d’une concertation nationale ? Comment aborder des questions sensibles sans la participation des concernés ?
Rien, dans l’attitude du gouvernement, ne permet de répondre à ces questions. À ce jour, tout laisse croire à une banalisation des revendications des parties prenantes de l’enseignement. Du coup, la rue apparaît comme leur seul terrain d’expression et la grève leur unique mode d’action. Pour tout dire, le raidissement des syndicats de l’enseignement est facilité par l’incapacité du gouvernement à faire preuve de transparence et de responsabilité. Il est légitimé par le refus de leur accorder davantage de place dans la vie publique.
La gouvernance actuelle semble privilégier l’opacité, l’exclusion et l’irresponsabilité. Or, la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques commandent l’implication des parties prenantes. Faut-il le rappeler ? En tout cas, la réforme de notre système d’enseignement et la fin de nos guerres civiles froides passent par l’inclusion, la concertation ou la négociation. L’épreuve de force, la menace ou l’intimidation n’ont, par voie conséquence, pas droit de cité. Le gouvernement le comprendra-t-il un jour ?