Face à une confusion généralisée et visiblement entretenue, une solution s’impose d’elle-même : la mise en place d’un comité indépendant censé reprendre l’ensemble du processus jusque-là conduit par le Premier ministre.
La réalité finira-t-elle pas s’imposer à Emmanuel Issoze Ngondet et Francis Nkea Ndzigue ? On peut en douter. Finira-t-elle par les rattraper ? On peut l’espérer. S’étant, jusque-là, montrés fermés à toute critique, rétifs à toute suggestion et opposés à tout son de cloche dissident, ils ont du mal à esquisser les contours d’un dialogue national. Entre autisme, enfermement et sectarisme partisan, ils n’arrivent pas à se hisser au niveau des enjeux ou tout au moins à prendre la mesure de leur mission.
Et pourtant, nul besoin d’être grand clerc pour cerner leur mandat. Pas nécessaire de sortir de Polytechnique pour accomplir cette mission, de prime abord, à leur portée. Il leur fallait simplement prendre du recul en se délestant de leurs oripeaux de militants. Au lieu de convoquer des acteurs politiques triés sur le volet dans le confort de leurs bureaux, ils auraient dû commencer par rencontrer les forces sociales, toutes tendances confondues, pour examiner leur mandat. Ils auraient également dû analyser le contexte global et explorer le cadre juridique national afin d’esquisser le statut de cette concertation. À la fin des fins, ils auraient proposé à chacun de leurs interlocuteurs des avant-projets portant respectivement sur le statut juridique, l’ordre du jour, le lieu de la rencontre et, l’instance de facilitation. Pour ainsi dire, ils avaient simplement le devoir de se conformer au sens du mot «dialogue». Il n’était pas de leur devoir de jouer les politiciens retors ou les militants zélés mais plutôt de créer les conditions d’une discussion inclusive.
Le Premier ministre et le ministre en charge du Dialogue politique sont, de toute évidence, dépassés par les événements. Se conformer à une méthodologie applicable connue de tous les apprentis diplomates est chose compliquée à leurs yeux. Depuis le 15 du mois courant et la mise en place de la commission ad hoc, on entend tout et son contraire. Chacun y va de son commentaire. Faustin Boukoubi s’est ému de l’absence de Jean Ping (lire «Dialogue politique : Faustin Boukoubi affligé par l’absence de Jean Ping»). Bruno Ben Moubamba a dénoncé la «colonisation du débat national par les barons du système PDG tapis au cœur du pouvoir et réfugiés dans l’opposition» (lire «Comité ad-hoc pour le dialogue : Ben Moubamba, pas d’accord» ). D’autres voix ont regretté la mise à l’écart de la société civile (lire «Dialogue politique : La société civile exclue des préparatifs»). Il s’est même trouvé des jeunes pour s’émouvoir de la tournure prise par les événements (lire «Dialogue politique : Les jeunes de l’opposition inquiets»). Or, quelques semaines auparavant, le Parlement européen y était déjà allé de son couplet : ayant émis des «réserves quant à la pertinence et à la crédibilité» de ce processus, les eurodéputés ont implicitement recommandé un processus plus inclusif, tenant compte des attentes de Jean Ping.
Partie de bonneteau
Le dialogue voulu par Ali Bongo est manifestement bien mal parti. Son objectif politique global n’a toujours pas été décliné officiellement. Son statut juridique demeure un mystère. La liste des participants reste une énigme. L’ordre du jour annoncé par la bande est loin d’être pertinent, le lien de causalité entre la situation actuelle et les thèmes suggérés n’étant pas toujours évident. Or, les rumeurs les plus infâmes et infamantes circulent sur les aspects financiers : dans les chaumières, on parle carrément de corruption. Dans des circonstances quasi-analogues, les Accords d’Arambo n’ont mené nulle part. Campant dans une logique résolument partisane, Emmanuel Issoze Ngondet et Francis Nkea Ndzigue semblent vouloir rééditer ce vaudeville. Chaussant les bottes de leurs aînés, ils œuvrent, en réalité, pour une combinazione. En clair, ils veulent transformer le dialogue tant attendu en partie de bonneteau. Le Premier ministre joue ainsi les maîtres du jeu à la petite semaine, répétant inlassablement l’identité du roi. Son ministre en charge du Dialogue politique se comporte en manipulateur, battant et brouillant continuellement les cartes, comme pour faire illusion.
Pour sortir de cette confusion entretenue, une solution s’impose d’elle-même : la mise en place d’un comité indépendant. Autrement, le dialogue voulu par Ali Bongo se condamnera à rejoindre d’autres initiatives au musée des souvenirs politiques peu glorieux. Pour tout dire, il pourrait ou se terminer en queue de poisson ou s’enliser, avec le risque d’entraîner les protagonistes dans les sables mouvants de la politique politicienne. À l’inverse, un comité indépendant pourrait repartir de zéro. En se délestant des arrière-pensées partisanes, il pourrait donner des gages aux tenants de la non-participation. En s’ouvrant aux corps intermédiaires, il aurait la possibilité d’analyser le contexte afin de suggérer un ordre du jour adapté. Pendant ce temps, Emmanuel Issoze Ngondet et Francis Nkéa Ndzigué pourraient se concentrer sur leurs tâches gouvernementales. Surtout, ils auraient alors le temps de réapprendre le sens réel du mot «dialogue». Ils pourraient même en profiter pour s’imprégner de la méthodologie…