Des murs de certaines personnalités et autres citoyens criblés d’insultes les plus abjectes ; des commentaires qui virent systématiquement à la délation, à l’intox, et à la désinformation, etc. Bref, s’ils sont vus comme des instruments de la gouvernance publique moderne, l’usage de Facebook, Messenger, WhatsApp, Twitter et autres applications prend un relief inquiétant proche de l’hystérie, qui frise la chienlit politique au Gabon, en cette période post-électorale où l’insulte et la sauvagerie dans tous ses états se sont érigées en argumentation politique.
Les réseaux sociaux sont-ils entrain de devenir sous nos cieux des plateformes d’injures publiques, ou sont-ce au contraire des facteurs d’éveil culturel en ce siècle de révolution numérique ? Est-on en passe d’assister à une révolution à l’envers au Gabon où le Smartphone, plutôt que de la construire, participe au sabotage de la socialisation moderne ?
Autant de questions qui prennent appui dans l’usage actuel par les internautes des réseaux sociaux chez nous, alors que le pays traverse depuis une crise politique inédite. Crise qui s’est cristallisée avec l’issue chaotique de la dernière présidentielle. Tandis que deux camps sont apparus, avec d’un côté les pro-Ping, qui continuent toujours de revendiquer leur victoire, et de l’autre ceux d’Ali Bongo, qui appellent à la tenue d’un dialogue politique national, le débat qui s’est invité à cet effet sur la toile semble lui aussi s’en aller à la dérive. Tant l’argumentation politique, marque de fabrique de toute démocratie s’est peu à peu éclipsée au profit de l’insulte et d’une violence verbale inouïe, signe évident d’une carence d’idées à opposer à l’adversaire politique.
Lequel adversaire n’est pourtant pas un ennemi à injurier dans les quatre coins de votre chambre, à partir d’un téléphone portable connecté, ou à éliminer physiquement, mais plutôt un concurrent ayant un point de vue contraire au vôtre. Et la pratique est d’autant plus immorale et dangereuse qu’elle pose le problème de l’avenir du débat politique au Gabon, où une simple prise de position sur telle ou telle question vous vaut, non pas les arguments de votre compatriote, mais plutôt les injures les plus ignobles et les commentaires d’une extrême violence sur la toile.
Et ce, en même temps qu’on réclame une démocratie véritable dans notre pays. Est-ce à croire comme Léopold Sedar Senghor que l’émotion est nègre en déconstruisant la position de l’autre par l’insulte, et que la raison est bien hellène parce qu’on y admet les oppositions et les points de vue des autres ? La liberté d’expression sur Facebook, Twitter, WhatsApp, etc. se trouve-t-elle finalement au bout des insultes, et donc des atteintes à autrui ?
Les réponses à ces questions engagent la responsabilité des pouvoirs publics, qui ont le lourd devoir de la moralisation de la société. Il leur appartient de tout mettre en œuvre pour traquer tous ceux des internautes confondant l’argumentaire politique aux injures publiques de leurs compatriotes parce que n’étant pas d’accord avec eux. Car si les réseaux sociaux sont de nouvelles plates-formes du débat politique, ceux-ci ne sauraient en aucun cas se substituer à la dictature de l’injure et de l’abjection. Car l’injure quel quelle soit ne peut faire avancer le débat, à moins qu’on ait décidé de faire de la révolution de l’internet une révolution rétrograde, en pensant que l’injure peut participer de la liberté d’expression. Ce qui serait d’ailleurs un libertinage puisqu’une liberté sans limite n’est plus liberté, mais la licence comme le dit Francis Balle.