Pour de nombreux observateurs, le Gabon est sorti fort désuni de la dernière élection présidentielle. Le Gabon n’a d’ailleurs jamais été aussi désuni. Invitant à sortir de cette crise politique et sociale par la tenue d’un dialogue, Ali Bongo pourrait-il redonner confiance et espoir à la Nation gabonaise ? Beaucoup en doutent.
Ce qui surprend d’abord dans la prise de parole du président de la République, le 31 décembre dernier, c’est, comme l’a tout dernièrement écrit Gabonreview sous la plume de Roxane Bouenguidi, qu’Ali Bongo a parlé comme un commentateur, et non comme un acteur politique de premier plan, et non comme la clé de voûte des institutions. L’on en vient à se demander qui peut bien être le rédacteur de ses discours. Ali Bongo a estimé que le dialogue politique à venir doit permettre de consolider le processus démocratique, et «cela passe notamment, affirme-t-il, par l’amélioration de notre système électoral qui comporte en effet trop de risques de division et d’affrontements, et dont il nous faut absolument sortir», mais il ne s’est engagé à rien, il ne s’est engagé pour quoi que ce soit.
Le chef de l’Etat a ajouté qu’«il nous faut également consolider notre système institutionnel, car, héritées de la Conférence nationale de 1990 et des Accords de Paris (1994 – ndlr) et d’Arambo (2006, NDLR), certaines institutions méritent des évolutions et des adaptations aux nouvelles réalités du pays», sans préciser lesquelles de ces institutions doivent être revisitées. Pour un universitaire, «dans ce discours, il s’agit tout juste d’un ensemble de termes, d’une suite de propos, d’un groupe de projets et de promesses, lus avec peu de conviction». Aussi l’universitaire conclu-t-il en lançant : «la mariée est si belle qu’on a envie de dire stop !».
Malgré ce discours, Ali Bongo n’a pas donné le sentiment d’une grande volonté de faire bouger les lignes. Commentateur des derniers événements politiques et sociaux, alors qu’on en attendait qu’il donne de grands signaux, il a été presque décevant. Il n’a pas su donner d’impulsion, ni ouvrir une nouvelle perspective. Et son bilan ne plaide pas pour lui. Pour revenir à ce bilan en effet, certains observateurs avancent qu’il n’a pas eu la force que procure la liberté il s’est toujours comporté comme le chef d’un clan, dont il a toujours paru être l’otage pendant les sept dernières années, il n’est jamais posé comme un rassembleur, refusant de travailler avec un mélange de générations différentes, de femmes et d’hommes talentueux. Et surtout, il n’a pas incarné l’espérance. Quand il disait qu’il mettrait fin aux privilèges, c’était au détriment des amis de son père, et au même moment, il laissait faire ses amis à lui. Il a récemment été révélé qu’un directeur général de société qui lui était proche gagnait 22 millions de francs CFA par mois, alors que le gouvernement avait fixé, en 2010, le plafond des émoluments d’un directeur général d’entreprise publique à 5 millions de francs CFA ! Ali Bongo a laissé faire Toulekima et Engandji qui a fini par réajuster les choses de son propre chef. Il a accepté que ses amis aient des rémunérations scandaleuses. Ceux-ci pouvaient se permettre d’outrepasser des décisions gouvernementales, sans risquer une sanction.
Quand il appelait chacun à l’effort, ses amis pouvaient s’en exonérer de manière indécente. Résultat des courses : le discours d’Ali Bongo apparaît à l’opinion comme ni sérieux, ni crédible. La relation entre un peuple et ses dirigeants n’est fructueuse que si elle est équilibrée. Cela n’a pas été le cas durant les sept dernières années. La fonction présidentielle a des exigences, dont celle de rassembler. Or, Ali Bongo a plutôt clivé. Clivé entre les générations. Clivé entre les sensibilités politiques. Clivé entre les cadres de certaines provinces. Ali Bongo n’a pas suffisamment pris conscience de sa responsabilité historique au moment où il succédait à Omar Bongo.
Du coup, comment croire qu’il va permettre l’amélioration du système électoral et celle du système institutionnel, alors que dès le lendemain de ce Dialogue prévu après la Coupe d’Afrique des nations (Can 2017), ses amis vont lui imposer de ne rien céder de ce qui aura été décidé à ces assises ? Ali Akbar Onanga y’Obéghé, Billie-By-Nzé, Moubélet Boubéya, Otounga Ossibadjouo peuvent-ils accepter de perdre privilèges et avantages ? Peuvent-ils accepter une grande démocratisation des institutions ? Peuvent-ils accepter que René Aboghé Ella, nouvellement reconduit dans le plus grand secret à la tête de la Cenap, et Marie-Madeleine Mborantsuo, soient récusés par les participants à ce Dialogue ? Malgré le caractère «sans tabou» décrété par Ali Bongo, ses amis ne vont-ils pas mettre en avant le caractère sacré de la Loi fondamentale qui donne mandat aux dirigeants d’institutions ? Ne vont-ils pas se faire aider par leurs nouveaux amis – Bruno Ben Moubamba, Gérard Ella Nguéma, voire Dieudonné Minlama, René Ndemezo’o Obiang – qui, avec le zèle des nouveaux convertis, s’arc-bouteront derrière la Constitution pour ne finalement pas changer grand-chose ?
Dans un contexte où les colères sont nombreuses, où les indignations sont compréhensibles, le Dialogue à venir n’est pas perçu comme une occasion pour redonner confiance et espoir au peuple. Déjà, après l’accalmie de 1994, consécutive aux accords de Paris, Omar Bongo avait patiemment et subtilement repris ce que le peuple de la Conférence nationale et des Accords de Paris lui avait retiré.