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Art et Culture

Critique littéraire/ « Dans la Fange » de Timothée MEMEY : Quand « Naturalisme » et « Humanisme » se mêlent !
Publié le mardi 3 janvier 2017  |  Gaboneco
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Le psychiatre et psychanalyste français Jacques Lacan n’avait peut- être pas tort lorsqu’il écrivait « Le style c’est l’Homme ». Pour qui s’imagine qui est Timothée Mémey, il lui faut lire l’œuvre pour se convaincre des valeurs que le romancier défend au point de nous faire penser à Albert Camus et à sa philosophie de l’Absurde que nous définissons comme une peinture de l’existentialisme en tant que mode opératoire ou simplement mode de vie. La question est de savoir où situer Mémey tellement « Dans la Fange » apparait à première vue comme une dénonciation d’un certain usage de nos us et coutumes, non sans donner l’impression que celle-ci est doublée d’une réelle volonté d’améliorer le quotidien sans pourtant vouloir s’ériger en donneur de leçon. Livre de chevet, « Dans la Fange » mérite de l’être, si tant est que nous sommes humains et que ce qui est humain ne nous est pas étranger. « Dans la Fange », évocateur ?

L’artiste musicien ivoirien Soum Bill, reprenant les écritures bibliques, s’écrie à la fin de son opus « Qui saura ? » : « Pourtant Dieu a crée l’Homme à son image… ! ». Et nous à sa suite de nous demander pourquoi il « l’Homme » est si misérable ? « Dans la Fange » apporte quelques réponses en même temps qu’il dégage sous la plume acérée de son auteur, une moralité transcendantale puisque, semble-t-il, valable pour toute époque. L’échange entre le personnage principal Lola Matushi et Carle Assonga qui débouche sur une remarque fort légitime, selon laquelle il ne faut pas tout réduire à la sexualité ouvre le riche débat chez le philosophe Platon de la primauté du monde intelligible sur le monde sensible, celui des hautes âmes sur celui des gens de « mœurs modestes ». Si nous admettons avec Pascal que l’Homme est un animal pensant, pourquoi laisser aux seuls Lola Matushi, Malcom Le Brun, Malesta et Jim, comme elle iconoclastes, le devoir de se retirer sur la montagne sacrée, méditer sur leur sort, en fait sur le sort de l’humanité, plutôt que de réfléchir aux moyens de leur emboiter le pas.

En d’autres termes, le monde devrait-il n’être pour nous que libation ? Même si cela se justifie aux yeux de ceux qui soutiennent qu’il faut de tout temps joindre l’utile à l’agréable ? Mais aussi, même si cela peut trouver sa justification dans la misère que nous font endurer ceux qui gèrent notre quotidien et notre désir absolu de survie. L’avalanche de mots et expressions tels « cul, zob, connerie suprême, sale con, capacité zobale », des mots et expressions dépouillés et crus a l’allure d’une révolte, tout comme il ressort du texte, fondamentalement, une sorte de procès contre la religion et l’animisme. Le père Michaud et le pasteur Makoute Irapoula sont décrits l’un comme un missionnaire au service de la colonie brillant par l’exploitation des richesses de l’Afrique et l’autre comme quelqu’un dont l’activité religieuse ne vise qu’une et une seule chose, l’enrichissement, d’où l’usage de l’expression « l’église est son fonds de commerce ». Il ressort également dans le texte de Timothée Mémey que les pratiques du terroir ne font pas que du bien, car si des écorces d’arbre comme « le movinguet » peuvent soigner la démence, il n’est pas normal de représenter Dieu par une statuette de pierre dressée sur un socle en bois planté au milieu des cranes humains. « Dans la Fange » ne manque pas de relancer la traditionnelle question du choc des cultures imagée ici dans l’usage des symboles tels le crucifix et le movinguet.

La cruauté des deux mondes, l’occidental, essentiellement affairiste, vis-à-vis des africains, et l’africain envers les populations peuplant le continent, en témoignent les sévices subis par celles placées sous les ordres du chef Oniak-Niak Mangoudi, est ici dénoncée avec force, de même que les pratiques « insalubres » dans la prison de Kindo dont la plus inhumaine traduite par les enculades d’hommes par d’autres hommes. Le mysticisme est présenté comme une force lorsqu’il est utilisé dans le but de protéger les populations comme lors de l’invasion du sud de Kindo par des essaims d’abeilles à laquelle Justin Bomba, le sorcier, mis fin après sa sortie de prison, mais comme une faiblesse quand elle conduit à la mort d’hommes, à l’instar du frère Guillaume mort miraculeusement désintégré, au nom d’un anticléricalisme affiché par Melcusa Small dont le philosophe français Michel Onfray est le maître à penser, lui, pour qui le christianisme est la cristallisation de l’hystérie d’une époque… dans un personnage conceptuel appelé Jésus.

Que de travers dénoncés ! : Carle Assonga qui meurt d’overdose après avoir consommé un produit « nocif » pour satisfaire sa libido avec Lola Matushi qui lui fait faux bond, lui déclarant, visiblement surprise, que seules ses fesses accrochent sa rétine, Barthel Obando Obando, l’homme d’affaires prospère, et Adolphe Nkoukou de la haute sphère d’Etat qui vont se servir, tout comme le pasteur Makoute Irapoula, du cadavre de Justin Bomba, pour penser renforcer leurs pouvoirs maléfiques, en allant déterrer le corps de ce dernier, mais aussi ces filles de joie du Water Front de Kindo, vendant leur charme au plus offrant, parmi les clients européens des bars de ces lieux de la haute ambiance. Tout cela, alors que d’autres personnes, des hommes d’affaires, y viennent pour deviser au sujet des perspectives d’avenir, ne perdant pas un seul instant le fil de leurs idées. Il n’est pas juste de dire que les filles de joie à l’instar d’Aurélia, elles également, n’ont pas leur logique à elles, elles, qui navrées de n’avoir pas bénéficié des facilités qu’offrent la vie, ont opté pour se lancer à la conquête de riches personnes dans le but de faire fortune si ce n’est simplement d’assurer leur pitance quotidienne.

L’oraison funèbre lue par Lola Matushi lors de l’inhumation de son oncle Justin Bomba, peu reluisant pour ce dernier, qui est accablé d’injures, c’est le cas de le dire, démontre à quel point la nièce du défunt est opposée aux pratiques fétichistes reposant sur des symboles aussi divers que « le Mboko », amulette, siège du pouvoir maléfique de Justin Bomba, que vint récupérer le pasteur Tombale Moukoroya lors de la profanation de la tombe du disparu. De même, le fait que Rocka qui servit tous ceux que le cadavre de Justin Bomba intéressait, ait été sacrifié par ces derniers pour qu’ils ne s’attirent pas les foudres du sorcier qui avait la capacité d’agir, bien que mort, par le phénomène de « transmutation-décomposition-reconstitution », parait, au regard de Lola Matushi, un acte rétrograde, digne d’anciennes civilisations. Finalement, l’on peut s’avancer en affirmant que Lola Matushi qui a été élevée dans sa prime jeunesse par son défunt oncle est au bord du déchirement puisqu’il lui faut, en dépit de l’acquisition d’une culture occidentale, jugée plus positive, admettre qu’il y ait de nombreuses personnes qui n’ont pas la capacité de penser comme elle et d’autres parmi ses compagnons idéels, les intellectuels qui doivent, quoique souvent à distance ou dans des laboratoires, réfléchir au sort de tout un chacun. Pourvu qu’ils bénéficient de l’environnement qui sied pour exercer du mieux qu’ils peuvent leur sacerdoce. C’est que le roman de Timothée Mémey peut paraître finalement un appel à une société moderne, scientifique au sens où tout Etre humain doit être convoqué par la connaissance, le développement et le bonheur de l’humanité. Ce sans quoi son existence sur terre n’est que vaine. Pour tout cela, « Dans la Fange » mérite d’être lu !

Douguenzolou
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