Le président de la République a livré une lecture internationaliste de la crise multiforme que traverse le pays. Comme une manière de se laver les mains, se soustraire de toute responsabilité et ne pas regarder la réalité en face.
Ali Bongo joue-t-il les Ponce Pilate ? Dans son dernier discours à la nation, il a rejeté les origines du blocage du pays sur les contingences extérieures et le comportement de ses adversaires politiques. Evidemment partiale, inévitablement partielle, cette lecture est forcément éthérée. On ne saurait attribuer les causes de la crise économique et sociale actuelle aux seuls aléas de la conjoncture internationale. On ne peut mettre les morts enregistrés entre le 31 août et le 3 septembre derniers sur le compte du terrorisme international. On n’a pas non plus la latitude d’attribuer la paternité de la dégradation du climat politique aux seuls candidats de l’opposition (lire par ailleurs «Ali Bongo déculotte un «soi-disant expert en diplomatie»» ).
De toute évidence, il y a comme une dérobade dans son propos. Le président de la République refuse d’assumer sa part de responsabilité. Son discours est celui d’un commentateur, pas d’un acteur politique. Encore moins celui attendu de la clef de voûte des institutions. Cette attitude peut s’expliquer au regard des conditions de son maintien au pouvoir. Elle peut paraître logique au vu de certaines de ses prises de position publiques (lire par ailleurs «Une mystérieuse dame prend «une raclée» d’Ali Bongo»). Elle peut sembler risquée pour la majorité au pouvoir. Mais, on doit avant tout songer à l’Etat, à la République et à la nation. Le chef de l’Etat se livre-t-il publiquement à des oublis volontaires ? Les institutions de la République ne peuvent ne pas être éclaboussées. D’une manière ou d’une autre, tout cela entame leur crédibilité et rejaillit sur leur relation aux usagers. Fatalement, le regard du peuple s’en trouve changé. Sa capacité à maintenir sa cohésion aussi.
Assumer les conséquences
On ne peut faire comme si le dernier message d’Ali Bongo (lire par ailleurs «Ali Bongo : «Il nous faut consolider notre pluralisme par le dialogue et l’inclusion»») concerne uniquement la classe politique et sa capacité à accepter les résultats officiels de la dernière présidentielle. Y voir un simple règlement de comptes entre anciens candidats à la présidentielle serait contre-productif. Si on ne doit rien minimiser ni sur-interpréter, il ne faut surtout pas miser sur le temps ou l’inaction pour un retour à la normale. Il faut aller au-delà, s’efforcer de remettre les choses en perspective et regarder la réalité en face. Il faut considérer le climat post-électoral, tenir compte du rôle constitutionnel du président de la République. Se refuser à cela reviendrait à politiser définitivement l’ensemble des institutions voire à polluer les rapports sociaux par des considérations politiciennes.
Dans les systèmes institutionnels comme le nôtre, le président de la République veille, par son arbitrage, au respect de la Constitution. Il assure le fonctionnement normal des pouvoirs publics et la continuité de l’État. Il a la haute main sur la justice. Gardien de la Constitution, arbitre et garant, il a aussi une fonction tribunitienne. Autrement dit, il a également pour mission de se faire le relais des mécontentements des catégories les plus mal représentées. Normalement, ce rôle doit le conduire à faire corps avec le peuple. Au lieu de se contenter de tirer bénéfice du verdict des institutions en charge de l’organisation de la dernière présidentielle ou d’évoquer vaguement la notion de responsabilité, Ali Bongo gagnerait à faire la lumière sur les raisons de la frustration populaire et à inviter les personnalités mises en cause à en assumer les conséquences. Bien entendu, il a tout le loisir d’aller au-delà…
Sans y être contraint, le président de la République a évoqué la notion de responsabilité. Il doit maintenant passer de la parole aux actes. En clair, il doit accepter de faire la lumière sur l’ensemble du processus électoral et, par suite, d’en assurer les réparations voire d’en assumer les sanctions. Il a certes évoqué la nécessité de «panser nos plaies et reconstruire ensemble, le lien social et le vivre ensemble». Il a certes reconnu l’urgence de convoquer «un dialogue politique, rendu indispensable par la volonté générale d’écrire un nouveau chapitre de notre histoire commune». Mais, il en faut plus. Il faut préalablement dénoncer les violations des droits humains, aller aux sources de la situation actuelle, identifier les acteurs, leurs intérêts et les registres sur lesquels ils évoluent, pour finir par livrer une lecture consensuelle des événements.
Profusion de questions
La Mission d’observation électorale de l’Union européenne (MOE-UE) a clairement noté un déficit de «transparence», mettant en cause «l’intégrité du processus de consolidation des résultats et du résultat final de l’élection», dénonçant, entre autres, le rôle de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap). Les experts de l’Union africaine ont publiquement exprimé leurs doutes, disant même avoir conseillé à la Cour constitutionnelle de différer la proclamation des résultats. Depuis lors, une bonne partie de l’opinion n’a de cesse de dénoncer un «coup d’Etat militaro-électoral». À la faveur du Dialogue national pour l’alternance (DPNA), récemment organisé à l’initiative de Jean Ping, les événements du 31 août au 3 septembre derniers ont été au centre des échanges. Profitant du forum libre expression créé à cette occasion, les participants ont, à l’unanimité, affirmé militer pour la fin du règne de la famille Bongo. Ils ont mis à l’index les dérives des forces de défense et de sécurité. Accusant les magistrats de faire un usage politicien du mandat de dépôt, ils ont exigé un meilleur encadrement de leurs prérogatives.
Si l’on en croit les participants au DPNA, les attentes des populations portent essentiellement sur le bilan des événements post-électoraux, l’Etat de droit et la participation au processus de prise des décisions. Naturellement, ces exigences donnent lieu à une profusion de questions. Les populations peuvent-elles faire le deuil de leurs morts et disparus ou soigner leurs blessés sans enquête officielle ni mea culpa des pouvoirs publics ? Peuvent-elles s’engager sur la voie du pardon en ayant la conviction d’être face à une justice instrumentalisée ? Peuvent-elles croire en la justice tout en accusant les magistrats de servir des intérêts privées et particuliers ? Peuvent-elles donner une chance à la réconciliation nationale sans garantie de non-répétition ? Peuvent-elles croire en la non-répétition en étant convaincues de devoir subir une armée partisane ? Peuvent-elles se sentir en sécurité avec cette armée ? De tout cela, Ali Bongo n’a rien dit.
Il aurait pourtant pu envoyer des signaux. Il aurait dû donner des gages de sa volonté de sortir de la situation actuelle dans l’intérêt de tous. Ayant pris le parti de justifier la crise actuelle par des facteurs exogènes, il a aussi choisi de couper son initiative des attentes populaires. Peut-elle être porteuse dans un tel contexte ? On demande à voir… En s’absolvant de toute responsabilité, en refusant de regarder la réalité en face, le président de la République laisse à chacun le loisir de jouer la carte de l’intransigeance et de la politique politicienne, au péril du vivre ensemble.