La dénonciation, par le leader de l’Udis, de 250 milliards volatilisés des programmes du logement social et les accusations portées contre Magloire Ngambia, Désiré Guédon et Etienne Ngoubou, ramènent au souvenir de quelques coups d’éclats en matière de détournement de deniers publics sous l’Emergence. «Les profito-situationnistes aux chaussures enfoncées dans la boue des chemins tortueux de l’enrichissement astronomique sans cause» ne sont pas toujours là où on croit les trouver.
Jamais une déclaration d’Hervé Patrick Opiangah n’avait eu un tel effet viral. Le patron de l’Union pour la démocratie et l’intégration sociale (UDIS) aura en tout cas alimenté le buzz cette semaine. Sa sortie, le 22 décembre dernier à travers une interview accordée au quotidien L’Union, rappelle dans une certaine mesure la déclaration, en juin 2015, d’Alexandre Barro Chambrier et ses amis d’Héritage et Modernité dénonçant alors «les profito-situationnistes aux chaussures enfoncées dans la boue des chemins tortueux de l’enrichissement astronomique sans cause.»
Hervé Patrick Opiangah : le coup de gueule
Hervé Opiangah estime en effet qu’«il y a des ministres de la République, sortants comme actuels, qui (…) ont un double agenda rongeant de l’intérieur tel le vers dans le fruit». Il répondait ainsi à une question relative aux dernières sorties de Bruno Ben Moubamba, ministre de l’Habitat et de I’Urbanisme, dénonçant ses prédécesseurs à ce département et certains membres de l’entourage d’Ali Bongo ayant sinistré la politique du logement social au Gabon, avec plus de 250 milliards de francs CFA détournés. «Beaucoup d’argent a été dégagé pour la construction des logements sociaux. Cette manne ne peut pas avoir été décaissée sans que les principaux responsables rendent des comptes», a renchéri Hervé Opiangah avant de citer «Magloire Ngambia et ses collaborateurs de l’époque».
Poursuivant Opiangah a ajouté : «Avec lui, beaucoup d’autres ministres. Autre exemple, au sujet du problème d’adduction d’eau pour ravitailler Libreville, Ntoum et autres localités, plus de 110 milliards de francs ont été décaissés du temps des Désiré Guédon et Etienne Ngoubou. S’ils ont échoué, c’est à eux, ainsi qu’aux autres ministres financiers de l’époque de rendre des comptes. Tout comme les différents directeurs généraux du Budget, les Trésoriers payeurs généraux sont parmi les personnalités qui se sont enrichies ostensiblement pendant que les Gabonais continuent de croupir dans la misère. Le Parlement doit enquêter pour tirer toutes ces situations au clair.»
Magloire Ngambia : 2 milliards sur le premier coup
Si on peut être surpris par des noms comme Désiré Guédon, pouvant jusque-là passer pour un monsieur propre, il est difficile de douter des accusations portées contre Etienne Ngoubou, le secteur pétrolier étant connu pour ses «forages en eaux troubles» et l’opacité de ses transactions. Mais l’on en vient surtout à se souvenir de ce que Magloire Ngambia est précédé de la réputation d’avoir fortement siphonné l’argent public.
A titre d’exemple et pour rappel, en novembre 2012 déjà, Confidentiel Gabon, une lettre d’information aujourd’hui en hibernation, relevait que Luc Oyoubi, alors ministre de l’Économie, avait découvert la disparition d’un fonds de 2 milliards de francs CFA. La somme constituait une caution placée à la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Gabon (Bicig) pour les besoins de la liquidation de l’Office du chemin de fer Transgabonais (Octra) alors que Paul Toungui était ministre d’État en charge de l’Économie et des Finances, du Budget et de la Privatisation. Devenu ministre de l’Économie, du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme, Magloire Ngambia avait obtenu de la banque une mainlevée sur ces 2 milliards, ainsi que l’attestait alors une correspondance brandie alors par la Bicig à Luc Oyoubi. Mis au courant, le président de la République, Ali Bongo, avait déversé son ire sur Magloire Ngambia, 45 ans aujourd’hui. Il était, au moment de ce scandale, ministre de la Promotion des investissements, des Travaux publics et des Transports. Nombreux pensent cependant qu’Ali Bongo, dont la sympathie pour le jeune ministre d’alors est de notoriété publique, avait alors eu du mal à se débarrasser de celui qu’il a lui-même initié aux rites maçonniques au sein de la Loge Zéro, début-2011.
Le coup de gueule de Hervé Opiangah a donc de quoi susciter quelques interrogations, l’enquête qu’il demande au Parlement et même à l’appareil judiciaire pouvant éclabousser de nombreuses autres personnalités de son camp politique, lui-même avec, le chef de l’Etat aussi. L’une de ces interrogations porte sur l’opportunité d’une telle dénonciation. Connu pour être un proche du président de la République, le leader de l’Udis aurait-il reçu mission de jeter en pâture à la vindicte judiciaire quelques personnalités triées sur le volet ou devenues persona non grata ? Auquel cas, Etienne Ngoubou ou Désiré Guédon devraient craindre. Si une poursuite judiciaire venait à être mise en branle, ce dernier devrait-il démissionner du secrétariat général de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) où il vient d’être porté, pour se mettre à la disposition de la justice ?
20 milliards de francs pour Biyoghé Mba, Nkoghé Békalé et Cie
Certains commentateurs pensent que la sortie d’Hervé Opiangah n’est qu’un stratagème visant, in fine, à inquiéter quelques milliardaires passés à l’opposition, notamment autour de Jean Ping. Mais pour être crédible, la stratégie devrait s’intéresser à bien d’autres personnalités ayant alimenté la chronique au sujet de détournements monstrueux des deniers publics. Et l’on en vient notamment à penser à Paul Biyoghé Mba, ancien Premier ministre et actuel ministre du Développement social et familial.
En février 2013, en effet, l’hebdomadaire La Griffe révélait, à coups de fac-similés, le détournement de 20 milliards de francs CFA au ministère du Pétrole entre 2009 et 2011. Le scandale financier avait pour acteurs Paul Biyoghé Mba, Julien Nkoghé Békalé alors ministre du Pétrole, un directeur nommé Alilat Antsélévé Oyima et la BGFIBank. L’ancien ancien Premier ministre et actuel ministre du Développement social et familial, avait alors donné l’autorisation informelle à Nkoghé Békalé d’ouvrir un compte dans une banque privée, alors que selon les normes et procédures il n’était pas habilité à poser un tel acte. Pour avoir «dissimulé et détourné des fonds publics à son profit» au mépris des règles de gestion de l’argent public, Julien Nkoghé Békalé, principal acteur de ce scandale, était alors indexé pour «actes de fraude, de détournement des ressources et de biens publics, de corruption, de recel, d’abus de pouvoir, de trafic d’influence, de blanchiment». Selon La Griffe, les éléments de l’enquête indiquaient qu’il était le bénéficiaire de 60 % des 20 milliards de francs CFA détournés. Au sujet de la BGFIBank, il était alors indiqué que «les documents du compte révèlent de graves irrégularités et négligence de la part de la banque». La banque devrait donc être poursuivie pour «abus de pouvoir, trafic d’influence, conflit d’intérêt et complicité ayant conduit à un détournement de fonds publics, blanchiment et enrichissement illicite».
BGFIBank et les 26 milliards des fêtes tournantes
En juillet 2012, un rapport titré «Audit des projets d’investissements Fêtes Tournantes – Éditions 2005, 2006, 2007 et 2008», réalisé par le groupement audit & conseil 2AC/Hentou, indiquait alors, en sa page 14, que «des opérations non définies, des bénéficiaires non identifiées, correspondant à des transferts du Trésor vers la BGFI» et en sa page 21, qu’un cas «flagrant est constitué par les virements à la BGFI pour un total de 26 milliards sans que l’auditeur n’ait pu, à ce stade de l’audit, y associer le nom des entreprises bénéficiaires et des marchés/opérations correspondantes.» Autrement dit, 26 milliards de francs CFA se sont ainsi volatilisés de la BGFIBank.
La saga du détournement des deniers publics au Gabon serait trop longue à conter. Elle remplirait de nombreux tomes. Aux personnalités indexées par Hervé Patrick Opiangah s’ajouterait une longue ribambelle de naufrageurs du pays, tous du parti au pouvoir. Pour paraphraser Me Louis-Gaston Mayila, si sous Omar Bongo, le vol des deniers se faisait avec des cuillères, sous l’Emergence il se sera effectué avec des pelles mécaniques. Nombreux en tout cas, parmi les donneurs de leçons d’aujourd’hui ne pourraient justifier leur fortune ou plus simplement leur train de vie. Si l’opposition en compte, ils sont bien plus nombreux au parti des démocrates gabonais ou dans la majorité au pouvoir.